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« buissons, tout autour on ne voyait qu'une épaisse forêt et le <«< flux de la mer en était éloigné de trois lieues, excepté qu'il « s'avançait dans les rivières. Ces hermites ainsi sequestrez du « bruit du monde ne le purent pas toujours estre de celuy de la <«<mer, car icelle flotant souventes fois contre les terres et les << racines de la forêt qui lui estait voisine les renversait petit à petit et faisant tomber les arbres sens dessus dessous, les couvrit pour la plupart de ses ondes et de son sable en moins de « deux ou trois ans, chose qui est grandement merveilleuse. « Car bien que quelquefois la mer renverse ses rivages et «< s'étende sur les terres habitables (comme l'expérience jour«nalière nous l'apprend) si est-ce néantmoins qu'elle renverse « rarement en si peu de temps des forêts si longues et si larges <«< comme estait celle-là qui avait de longueur 6 lieues ou envi«ron, et 3 de large en quelques endroits. >>

Les auteurs ne sont pas moins d'accord sur ce point, que la forêt submergée s'étendait d'Aleth (Saint-Servan) jusqu'à Avranches.

Aussi, dans sa «< Géographie historique et administrative de la Gaule romaine »>, M. E.Desjardins a-t-il pu donner une carte comparative de l'état de la baie du Mont-Saint-Michel avant la submersion de la forêt et de son état actuel.

Ce document démontre que la destruction de la forêt du Mont-Tombe n'a pu avoir aucune influence ni sur Jersey ni sur les îles circonvoisines.

Il faut donc renoncer à fixer en 709 l'isolation simultanée de Jersey et des Ecrehous. Il faut même renoncer à déterminer avec précision l'époque de ce phénomène soit pour la première, soit pour la seconde de ces îles. Mais si sur ces points nous manquons de données précises, il y en a deux autres sur lesquelles nous pouvons nous prononcer avec certitude:

1° L'isolation de l'île de Jersey est antérieure à celle des îlots des Ecrehous, qui sont restés partie intégrante du continent bien après que Jersey eut été séparée; 2° les îlots des Ecrehous n'ont jamais été une dépendance de Jersey, ni au point de vue géographique, ni au point de vue géologique.

Il suffit de jeter les yeux sur la carte d'Elie de Beaumont pour se convaincre que la nature géologique du sol diffère absolument entre les îles de Jersey, Guernesey, Aurigny et la côte du Cotentin, ainsi que celle du sol sous-marin adjacent, y compris les Ecrehous, qui appartiennent au terrain de transition du système silurien.

Il suffit également de jeter les yeux sur la carte des côtes de France levée en 1829, 1831, 1832 par les ingénieurs hydrogra

QUEST. DIPL. ET COL.

T. XXII.

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phes de la marine sous les ordres de Beautemps-Beaupré dans la partie comprise entre le cap Frehel et le havre de Carteret, pour constater ce fait décisif. Tandis que les groupes des Dirouilles et des Ecrehous sont séparés de l'île de Jersey par un chenal dont les sondes atteignent jusqu'à 40 mètres, le passage qui sépare actuellement les Ecrehous du Cotentin n'atteint pas 10 mètres de profondeur maxima.

Les Ecrehous font géographiquement partie du continent; il suffirait d'un léger abaissement de la mer pour qu'ils s'y rattachassent de nouveau; actuellement encore c'est un cap protégeant la côte.

A ces témoignages de la nature, l'histoire en joint d'autres non moins concluants.

M. Ernest Desjardins, dans sa « Géographique historique de la Gaule romaine », constate qu'à première vue il ressort des lignes de relèvement des sondages, que M. Germain a tracées sur la carte de France du ministère de l'Instruction publique, que la mer a creusé à une époque relativement assez moderne la côte normande et fait reculer la côte du Cotentin. Mais il ajoute qu'il ne faut pas, de ce que cette conquête des flots marins se continue de nos jours, conclure que la séparation du continent de tout ou partie des îles de l'archipel anglo-normand puisse être reportée à un temps postérieur à notre ère. Il rappelle que les îles de cet archipel se trouvent indiquées sur les portulans du moyen âge et poursuit : « On doit reconnaître d'ailleurs la

plupart de ces îles dans l'itinéraire maritime d'Antonin « (Iv° siècle). Entre Vectis, qui est très probablement l'île de « Wight, sur la côte d'Angleterre, et Uxantis, qui est certai<<nement l'île d'Ouessant, nous trouvons inscrites dans l'ordre <«< suivant: 1° Riduna, qui correspondait à la plus septentrio«<nale Aurigny ou Alderney; 2° Saruna, Sarma, ou Sarnia, <«< Guernesey, sur les anciennes cartes Garnasei ou Garnsey; «<3° Cæsarea, Jersey. Ces identifications paraissent à peu près. «< certaines. >>

Ainsi est établi ce premier point que Jersey était une île à une époque fort antérieure à tous les documents que nous possédons sur la géographie de cette partie des Gaules. Nous allons démontrer, par des preuves non moins incontestables, qu'à une date très postérieure à l'établissement du christianisme en Gaule, le plateau des Ecrehous faisait partie du continent et constituait une partie du village d'Ecrehous dont la fraction restante est encore aujourd'hui la section la plus importante et la plus peuplée de la commune de Carteret.

D'après les constatations des cartes sous-marines, la rivière

de l'Ay, dont l'embouchure est actuellement au havre de SaintGermain, venait se jeter plus loin, dans l'estuaire qui sépare aujourd'hui Jersey des Ecrehous, et qui la séparait alors du continent. Des cailloux roulés, des coquilles fluviales, des arbres déposés par les inondations, se retrouvent sur la côte Est de Jersey et appuient ces données.

L'auteur anglo-jersiais, M. Pégot-Ogier, dans son «< Histoire des îles de la Manche », écrit : « A ces preuves vient s'ajouter « une certitude. On possède la liste hélas! bien longue des «< chapelles, prieurés, couvents, payant rentes ecclésiastiques « aux grandes fondations continentales qui ont été englouties << par les flots. » Et il donne cette liste. A cette liste il faut ajouter une autre église. Au bord de la mer, en effet, dans la paroisse de Carteret, il existe une vieille église du vi° siècle, aux quatre cinquièmes ruinée, et dont le porche renversé par les flots se voit encore très distinctement à marée basse, au bas du rivage. Cette église, dédiée à saint Germain, est inscrite dans le pouillé de 1279 du diocèse de Coutances comme l'église paroissiale de Carteret et on la voit également notée avec la même destination dans ceux qui subsistèrent jusqu'à la Révolution.

A ces progrès de la mer sur le continent français, nul ne peut assigner une date précise, parce qu'ils ne sont pas, comme certains écrivains l'ont cru à tort, le résultat de cataclysmes, mais bien la conséquence d'un phénomène constant et ininterrompu. Il est inadmissible que l'Angleterre suive le flot dans son invasion et mette successivement la main sur les îlots et roches à mesure qu'ils sont détachés du continent. L'archipel anglo-normand proprement dit forme un tout très distinct séparé de la terre ferme par des profondeurs et des courants sous-marins qui l'isolent complètement.

Les autres îles, îlots et récifs de la baie du Cotentin, tels que les Minquiers, les Chausey, les Ecrehous, sont par contre des portions du continent français sur lesquelles le gouvernement britannique n'est pas plus fondé à exercer un droit de souveraineté que sur ce continent lui-même.

Examinons maintenant les titres que l'Angleterre a fait valoir à diverses reprises pour justifier ses revendications sur les Ecrehous. Nous verrons ensuite s'il ne résulte pas de l'histoire de l'île d'Ecrehou qu'elle n'a jamais cessé d'appartenir à la France.

L'attorney général de l'île de Jersey a établi dans un memorandum que « depuis sa séparation du continent, en l'an 860, jusqu'à l'époque actuelle, Ecrehou n'a jamais appartenu à

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« la France; qu'il n'existe aucune preuve que les rois de «France aient exercé, dans ce long espace de temps, aucune <«< autorité sur cette île, mais qu'il existe des preuves histo<<< riques incontestables que les rois d'Angleterre l'ont fait. »

Ce qui ôte un peu de sa valeur à cette assertion du magistrat jersiais, c'est que les Archives de l'île de Jersey ne remontent point au delà de l'année 1603. A cette époque, une peste ravagea l'île. Le bailli, qui était alors Hélier de Carteret, dans un but qu'il serait superflu de rechercher ici, crut devoir attribuer cette peste aux nombreux parchemins qui dormaient ensevelis dans la poussière des greffes; on résolut dès lors d'en faire un feu public sur le « Vieux Marché » de Saint-Hélier. Entraînés par l'exemple, les autres habitants s'empressèrent d'imiter leur bailli, et brûlèrent toutes les pièces qui auraient pu jeter quelque jour sur l'histoire locale.

Le premier titre relatif à l'île d'Ecrehou est conservé dans un ouvrage français, la Gallia Christiana.

Ce titre est un acte de donation de l'île d'Ecrehou faite à l'abbaye du Val-Richer, près Lisieux, par Pierre Despréaux et daté de 1203. Pierre Despréaux appartenait à une des plus puissantes familles de Normandie. Il était à ce moment bailli du Cotentin, et depuis 1200, gardien des trois îles de Jersey, Guernesey et Aurigny. D'après les termes de la charte, sa libéralité parait dictée par un double but :

1° Se concilier l'abbaye du Val Richer qui jouissait à cette époque d'une grande popularité en Normandie et à laquelle il donne, en outre un moulin à Jersey (V. Gallia Christiana, vol. IX, col. 447);

2o Témoigner sa gratitude à Jean-Sans-Terre qui l'avait nommé seigneur des îles, et dont il soutenait encore la cause. Aussi met-il comme condition à sa donation que, dans la basilique à édifier sur l'île, il sera prié pour l'illustre roi d'Angle

terre.

C'est cette dernière mention qui a, sans doute, induit en erreur le rédacteur de la Gallia Christiana et qui lui a fait donner à Pierre Despréaux la qualification d'Anglais. Pierre Despréaux était un Français, sa famille était tout entière française, et s'il a momentanément soutenu la cause du duc rebelle de Normandie, dès cette même année 1203, il a reconnu ses torts et est rentré dans le devoir vis-à-vis du roi de France.

M. Pegot-Ogier, dans son « Histoire des îles de la Manche », après avoir raconté une conspiration ourdie en l'année 1203 contre Jean-Sans-Terre et dans laquelle entrèrent, avec Réginald de Carteret, les principaux barons ayant des fiefs dans les

îles et notamment les gardiens de Serk, de Herm, etc., le seigneur du Royal, etc., ajoute :

« On pourrait voir dans ce complot des principaux insulaires « le désir de profiter de l'expulsion du duc Jean pour se donner «< à la France. Il n'en fut rien; malgré le parti français réunis<< sant dans les îles tout le clergé attaché au diocèse de Cou<< tances, tous les couvents, abbayes et prieurés, dont les «< maisons-mères étaient françaises, toute la noblesse possédant << en terre ferme des terres plus considérables que dans l'archipel, le roi de France fut contraint d'en faire la conquête. <«< En souverain habile, Philippe-Auguste usa d'abord de diplo« matie. En 1204, des agents du Roi, et ceux des nobles qui «< venaient de rendre hommage à la couronne de France, vin<< rent dans les îles pour négocier, en son nom, leur pacifique « retour au duché. Les insulaires voulurent probablement poser « des conditions, exiger la reconnaissance de leurs privilèges. « Le roi de France vainqueur ne pouvait admettre ce que le

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«duc de Normandie vaincu devait tôt ou tard leur accorder au « nom de l'Angleterre. La négociation échoua. Les émissaires << français renvoyés, c'était la guerre; les insulaires accep«<tèrent cette fatalité sans hésiter. Les Français en 1205 étaient << maîtres des îles.

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En 1206, les Anglais, commandés par Eustache le Moine, les enlèvent aux Français après des combats acharnés que Adam Leroi, dans sa Chronique en vers, dépeint ainsi :

Bataille iot et grand et fière
Le jour iot fait mainte bière
Wistace d'illuec les jeta
Et tous les isles estilla,

Kil n'y remest rien à arsoir
Né en castel né en manoir.

En 1212, l'archipel est reconquis par les Français commandés par ce même Eustache le Moine, qui avait passé dans leur camp.

En 1213, Jersey et Guernesey sont repris par les Anglais, tandis que Serk et le reste de l'archipel restent aux Français. Ces faits sont attestés par les procès-verbaux des plaids de warranto tenus dans les îles en 1308.

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Ces débuts de la guerre de Cent Ans ne sont rappelés ici que pour montrer avec quel acharnement, dès l'ouverture des hostilités, Anglais et Français se disputèrent la possession des îles du Cotentin. Le moindre îlot, le moindre récif, furent tour à tour pris et repris et devinrent le théâtre de sanglants combats, de surprises incessantes et de conquêtes éphémères.

Comment admettre qu'au milieu de ce tourbillon, Ecrehou

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