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ici, si par sa répercussion sur les conditions de notre politique extérieure et coloniale, notamment en Orient et en Extrême-Orient, elle ne rentrait, en une certaine mesure, dans le cadre de notre Revue. Nous avons déjà signalé plusieurs des conséquences fâcheuses, à l'extérieur, de cette politique de séparation. On en trouvera plus loin encore un nouvel exemple.

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Allemagne. Les scandales coloniaux. Le maintien de M. de Podbielski au ministère. La démission de M. de Hohenlohe. Nous disions, dans notre dernière livraison, que le ministre de l'Agriculture de Prusse, M.de Podbielski, compromis dans une affaire de fournitures militaires et coloniales, avait envoyé sa démission à la Chancellerie; mais que l'Empereur avait ajourné sa décision à ce sujet. Depuis on a appris que M. de Podbielski restait — du moins provisoirement — en fonctions, à la grande indignation de la majeure partie de l'opinion publique qui déclare regrettable que l'on conserve à un ministre compromis ses hautes fonctions, uniquement pour ne pas paraître le sacrifier à la rancune de la presse radicale et socialiste.

D'autre part, les scandales coloniaux viennent d'avoir une conséquence assez inattendue. Le directeur du département colonial allemand, le prince de Hohenlohe-Langenburg, a donné brusquement sa démission, et son entourage n'a pas hésité à déclarer que le prince de Hohenlohe, dont la femme est apparentée à la maison impériale de Russie et à la maison royale d'Angleterre, ne pouvait rester à la tête d'une administration compromise par de pareils scandales.

Le successeur du prince de Hohenlohe à la direction du département colonial allemand est M. Bernhard Dernhurg, directeur de la Darmslædter Bank, et réputé pour sa grande habileté financière. M. Dernburg, qui a quarante et un ans, étant né en 1863 à Darmstadt, fut très jeune attaché à la maison Thalmann et Cie, de New-York, et entra ensuite à la Deutsche Bank, qui le mit à la tête de la Treuhand Gesellschaft. C'est en cette qualité qu'il fut chargé de l'assainissement des banques hypothécaires de Prusse et de Poméranie. La réputation qu'il y acquit est cause qu'on lui confie aujourd'hui l'assainissement. des colonies. M. Dernburg s'occupa aussi beaucoup des entreprises minières de l'Afrique du Sud, à cause des rapports existant entre la Treuhand et la maison Garz. M. Dernburg s'est démis de ses fonctions directoriales de la Darmstadter Bank, et dans une séance extraordinaire du conseil, il a coupé tous les liens qui l'unissaient aux divers établissements financiers dont il était administrateur. La nomination de M. Bernhard Dernburg a été très attaquée par les journaux de la droite.

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Echec de la germanisation des provinces polonaises. La lutte dans les écoles; refus de prier en allemand. Dans son intéressante étude sur la Question polonaise en Prusse, notre collaborateur M. Moreux démontre, de façon péremptoire, l'échec de la politique officielle de germanisation de la Pologne. Le Journal des Débats a publié, à ce

même sujet, la dépêche suivante de son correspondant de Berlin, dont les renseignements ont la valeur d'avis officieux, et qui confirme avec une singulière précision l'exposé de M. Moreux :

Berlin, le 1er septembre. La politique de la commission allemande, chargée de l'établissement de colons allemands dans les provinces de la Posnanie et de la Prusse orientale, a complètement échoué. On sait que les propriétaires polonais devaient être remplacés par des propriétaires allemands. Or, la commission officielle vient d'être obligée de relever qu'au cours des dix derniers ans, les Polonais, bien loin de perdre du terrain, ont conquis des milliers d'hectares.

Et l'Etat prussien a dépensé des millions de marks pour obtenir de tels résultats. La commission, il est vrai, n'a pas manqué d'acheter des terres seigneuriales dans les provinces polonaises; mais les Polonais en ont acheté également, même dans une mesure beaucoup plus étendue. Aussi bien, des journaux allemands reprochent aux propriétaires allemands des terres seigneuriales, vendues à des Polonais, d'avoir violé les principes mêmes du patriotisme.

D'autre part, des journaux libéraux allemands font le procès de la politique peu prudente du soi-disant Ost-Marken-Verein, « l'Association des Marches orientales », payant beaucoup trop cher aux hobereaux allemands leurs terres seigneuriales chargées de dettes. Quant aux quelques propriétaires polonais qui, pour le même motif, ont vendu leurs terres à la commission prussienne, ils ont été obligés de mettre leurs capitaux à la disposition des banques polonaises dans la ville de Posen et ailleurs. Ce sont donc encore les Polonais qui ont profité de la politique allemande. L'Association des Marches orientales voudrait prendre sa revanche de cet échec signalé. Elle vient d'adopter une résolution, demandant à l'Etat prussien d'ordonner l'expropriation des propriétaires polonais. On voudrait donc réparer une faute politique par une autre faute plus grande encore, parce qu'elle serait en même temps une injustice grave. Tout en étant des Polonais, les propriétaires qui seraient visés par de telles expropriations arbitraires sont des citoyens prussiens. C'est l'article 3 de la Constitution de l'Empire qui établit expressément que chaque citoyen d'un Etat confédéré de l'Empire sera protégé dans son droit d'acquérir et de posséder de la propriété territoriale.

Est-ce que les fanatiques de l'Association des Marches orientales oublient complètement qu'ils facilitent par de tels projets la besogne des socialistes? Si l'Etat ordonnait l'expropriation arbitraire des citoyens polonais, MM. Bebel et Singer pourraient demander pour leur Etat d'avenir l'expropriation des expropriateurs actuels. S'il n'y avait pas d'autre moyen pour la germanisation des provinces polonaises que l'expropriation arbitraire des propriétaires polonais, alors la politique anti-polonaise aurait fait longue route. Il est donc bien certain que le prince de Bülow n'adhérera jamais aux résolutions de l'Association des Marches orientales. La liberté du commerce, demandée, toujours par l'Allemagne dans ses rapports internationaux, doit être reconnue également pour les citoyens polonais de la monarchie prussienne. SH.

D'autre part, les journaux ont signalé les faits suivants, fort instructifs. Une récente circulaire du ministre prussien de l'Instruction publique prescrit que les prières doivent être dites en allemand à

l'école dans les provinces polonaises. Il en est résulté une véritable grève d'élèves polonais dans les écoles de la province de Posen. Les enfants se rendent en classe, mais ils refusent énergiquement de répondre aux cours d'instruction religieuse qui sont donnés en allemand. Ils s'abstiennent aussi de prendre part aux prières dites en langue allemande, objectant simplement que leurs parents le leur ont défendu. Les punitions qui s'accumulent sur eux n'ont pas pu vaincre leur obstination, et cette résistance passive des petits Polonais ne fait que croître. Elle s'étend maintenant à toute une province. Dans plusieurs villes, à Posen, à Gnesen, à Gostyn, à Sloupy, des enfants ont été frappés par leurs maîtres pour avoir refusé de se conformer à cette circulaire. Des élèves du lycée de Gnesen ont été renvoyés pour le même motif.

Le gouvernement se montre assez perplexe en présence de cette résistance scolaire méthodiquement organisée, et les autorités provinciales de Posen ont demandé l'envoi d'un haut fonctionnaire du ministère de l'Instruction publique pour chercher le moyen d'avoir raison de ces enfants.

Le discours de Guillaume II à Breslau. L'empereur Guillaume a prononcé, le 8 septembre, à l'Hôtel de Ville de Breslau, un discours qui a soulevé les plus vives protestations d'une grande partie de la presse allemande. Répondant au bourgmestre de Breslau qui lui souhaitait la bienvenue, Guillaume II fait cette déclaration :

Nous avons besoin d'un nouveau serment. Jurons que, désormais, nous sacrifierons tous nos efforts intellectuels et corporels à la grandeur et aux progrès de la patrie.

Le monde appartient aux vivants, et ceux qui agissent ont raison. Je ne veux pas de pessimistes; que celui qui ne se sent pas apte au travail, qu'il s'en aille et se cherche un autre pays. J'attends de mes Silésiens qu'ils s'unissent aujourd'hui de nouveau dans la résolution de continuer à suivre les grands exemples du passé et d'aider leur duc dans son œuvre de paix pour son peuple.

Les journaux allemands rappellent, à ce propos, qu'en 1892, s'adressant aux Brandebourgeois, l'Empereur avait déjà dit :

Les mécontents peuvent secouer la poussière allemande de leurs souliers. A ceux qui critiquent le nouveau régime et ses hommes, je réponds : «Ma direction est la bonne et je n'en changerai pas. »>

Les journaux déclarent que si l'on pouvait, en 1892, mettre sur le compte de la jeunesse les imprudences de langage de l'empereur, il n'en est pas de même aujourd'hui. La Gazette de Voss réclame du prince de Bülow des explications. La Gazette de Cologne fait remarquer que si le conseil de Guillaume Il était pris au pied de la lettre, le nombre des émigrants serait énorme et Sa Majesté découvrirait qu'elle n'aurait pas perdu que ses mauvais sujets. Le gouvernement, conclut la Gazette de Cologne, doit se charger d'éclairer l'esprit de

l'Empereur sur le peuple allemand d'aujourd'hui. La Gazette de Francfort écrit de son côté :

Même une volonté impériale, si forte fùt-elle, n'empêche pas qu'il existe des gens qui voient tout en noir. Ce n'est que par des actes qu'on peut leur répondre, par une politique qui fasse effectivement avancer la patrie dans la voie du progrès. Or, la nouvelle politique économique n'est pas favorable au pays.

Même la Gazette nationale, généralement modérée, estime qu'un monarque constitutionnel devrait avoir plus d'égards pour son peuple. Seul le Berliner Tageblatt dit que les paroles de l'Empereur sont adressées à la bourgeoisie, et désire que celle-ci y réponde par une action décisive contre le mouvement socialiste grandissant.

Angleterre. Les relations anglo-allemandes. - Le Times a publié, le 5 septembre, quelques passages les plus saillants d'un très important article de la Deutsche Revue sur les relations de l'Angleterre et de l'Allemagne, dont il disait avoir reçu les bonnes feuilles. Voici quels étaient ces passages:

Des accords définitifs n'ont pas été faits à Friedrichshof, mais l'éloignement des personnes, qui avait sérieusement affecté les relations politiques des deux pays, a si heureusement cessé qu'il ne peut plus servir de facteur dans les calculs de ceux qui ont intérêt à maintenir une inimitié entre l'Allemagne et l'Angleterre.

L'initiative du roi Edouard mérite d'autant plus d'être appréciée, que tout a été évité de ce qui aurait pu provoquer la méfiance de la France et soulever les doutes sur la sincérité de l'entente anglo-française...

Le fait que sir Charles Hardinge a accompagné le roi a une portée spéciale, car cela indique, dès le commencement, que la réunion avait une importance beaucoup plus considérable que celle d'une simple réunion de famille...

Avec sa politique pacifique, la France ne peut que désirer que les relations entre l'Angleterre et l'Allemagne prennent un caractère amical. Une entente anglo-allemande avec la participation de la France serait la meilleure garantie de la paix, car personne en Allemagne ne songe à une guerre agressive contre la France, guerre qui, même dans le cas de victoire, ne nous offrirait pas d'avantages. L'Allemagne ne se serait jamais embarquée dans une guerre d'agression contre la France et les ambitions que la presse française nous attribue, soit à Tripoli, soit au Maroc, soit dans le monde entier, sont en vérité imaginaires.

Cette question se pose à nous pourquoi la diplomatie française se montre-t-elle si désireuse d'empêcher un rapprochement entre l'Angleterre et l'Allemagne ? Comme cette raison ne peut être la préservation de la paix, il ne reste que l'espoir d'un appui en cas de guerre, et de guerre que la France aurait l'intention de déclarer...

Si l'on examine les opinions des hommes d'Etat qu'il y a actuellement en Angleterre et en Allemagne, on doit constater qu'ils ne sont pas hostiles à la combinaison. En somme, la question peut se résumer ainsi.

Le groupement anglo-français est un rapprochement destiné à former un contrepoids à l'influence de l'Allemagne; mais bien des diplomates français ont conscience qu'il n'est pas assez fort, étant donné surtout

l'élimination temporaire de la Russie, et ils chercheraient alors à étendre cette entente à l'Allemagne, ce qui, bien entendu, ne devrait pas être pris comme une accession de l'Allemagne à la politique des puissances occidentales.

Depuis la réunion de Friedrichshof, nous pouvons dire que nous marchons lentement et pas à pas vers une période de rapprochement. L'Allemagne peut suivre, et non sans succès, une politique pacifique. Quant à l'Angleterre, elle le peut en tendant la main à l'Allemagne, et par là elle peut arriver à assurer le succès de sa proposition de désar

mement.

La politique d'entente en dehors de l'Allemagne et contre l'Allemagne n'est pas sans danger et, aussi longtemps que l'Angleterre pourra craindre de déplaire à Paris et continuera à traiter avec froideur les invites honorables de l'Allemagne, l'Allemagne sera obligée de rester sur ses gardes. Et l'Angleterre doit se faire à l'idée de voir la flotte allemande occuper à côté de la flotte anglaise une position qui commande et impose le respect

sur mer...

Enfin, pour ce qui est de l'Empire russe, il est évident qu'une Russie consolidée doit revenir aux traditions du passé et veiller au maintien des bonnes relations avec son voisin d'Allemagne.

Le Times faisait suivre ces extraits du commentaire suivant :

La tendance tout entière de l'article de la Deutsche Revue, malgré ses euphémismes diplomatiques, est de ruiner en Angleterre les bases sur lesquelles repose l'amitié anglo-française par des moyens tout différents et bien plus subtils que ceux qui ont été employés et qui n'ont pas réussi il y a un an à Paris.

Le point capital de l'article est constitué par la déclaration faite d'une façon presque menaçante que l'Angleterre doit choisir entre deux alternatives celle d'adopter envers l'Allemagne la politique, qui pourrait être aisément désastreuse, du contre poids anglo-français ou d'étendre le cercle de ses amitiés de façon à y comprendre l'Allemagne.

Cette déclaration implique une nouvelle et très importante doctrine. Pendant ces trente dernières années, la paix européenne a été assurée par un système de contrepoids, et nous ignorons que l'Allemagne ait jamais, jusqu'à présent, permis qu'on mette en doute son droit, ou mis en doute celui des autres puissances, de chercher dans un système d'ententes et d'alliances les combinaisons qui pourraient sembler plus efficaces pour le maintien, de temps en temps, de la balance des puissances européennes.

Une première fois, une tierce puissance profita d'une action comme celle de l'entente entre la France et l'Angleterre pour tenter d'affirmer que les relations amicales entre deux puisssances doivent être envisagées comme hostiles à une tierce puissance, à moins que cette tierce puissance ne soit autorisée à convertir un ménage à deux en un ménage à trois. Il est nécessaire de parler clairement.

Nous ne croyons pas que les sollicitations allemandes à Londres affecteront nos relations avec la France, pas plus que les menaces allemandes à Paris ne les ont affectées il y a un an. Ces relations sont basées sur des considérations d'intérêt commun et de politique générale qui ont été appréciées également par les deux gouvernements et les peuples des deux

pays.

Nous ne voyons aucune raison pour nous quereller avec l'Allemagne et

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