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pour que l'Allemagne se querelle avec nous; mais nous voyons beaucoup de raisons pour que nos relations avec l'Allemagne n'acquièrent pas, dans les circonstances actuelles, le même caractère d'intimité que nos relations avec la France. Modifier ces relations soit par addition, soit par soustraction, sur l'invitation de l'Allemagne, serait reconnaitre une sorte d'hégémonie allemande en Europe, et l'histoire est là pour nous dire que la grandeur de l'Angleterre est basée sur sa résistance dans le passé à des prétentions semblables d'hégémonie, qu'elles aient été formulées par Charles Quint, par Louis XIV ou par Napoléon.

D'autre part, l'Economist commentant à son tour le même article de la Deutsche Revue, a déclaré tout d'abord qu'il est absolument inexact que l'entrevue de Friedrichshof ait amélioré les rapports anglo-allemands; c'est au contraire parce que ces rapports étaient devenus moins tendus que l'entrevue a pu avoir lieu. L'Economist ajoutait ensuite :

La proposition que nous fait l'Allemagne de conclure une entente avec elle se heurte à une grosse difficulté : nous avions avec la France des questions litigieuses très précises, tandis que nous n'en avons pas avec l'Allemagne. Il ne pourrait donc s'agir que d'une bonne volonté générale de part et d'autre et d'un désir de favoriser réciproquement les buts légitimes poursuivis. Quant à agir de concert avec l'Allemagne, l'Angleterre a déjà fait deux fois cette expérience depuis sept ans, en Chine et au Venezuela, et elle n'est pas disposée à la recommencer.

Mais, avant de rien entamer, il faudrait savoir exactement ce que l'Allemagne attend d'une entente avec l'Angleterre. Nous présumons que l'Allemagne ne recherche pas, en Orient, des avantages exclusifs, mettant les autres puissances dans un état d'infériorité. Nous désirons, en effet, voir maintenir le principe de la porte ouverte et de l'égalité de traitement pour tous. Mais alors, s'il en est ainsi, on ne voit pas bien pourquoi l'Allemagne recherche avec tant d'empressement une entente avec nous. Pour atteindre un but aussi modeste, ce n'est pas nécessaire. D'autre part, l'article en question laisse entendre que l'approbation de l'Allemagne doit être un préliminaire nécessaire de toutes négociations entre la Grande-Bretagne et la Russie au sujet de l'Orient?

Si l'on rapproche ceci de l'attitude de l'Empereur dans la question du Maroc, on a l'impression que le gouvernement allemand ne veut pas laisser de transaction se conclure entre deux autres Etats sans son assentiment, ce qui équivaudrait à se rendre l'arbitre du monde.

L'insistance avec laquelle l'auteur de l'article a fait ressortir qu'une entente anglo-française, pour être stable, devait comprendre l'Allemagne, nous reporte de dix ans en arrière, au moment où le Kaiser répétait : « L'Angleterre doit être avec l'Allemagne ou contre elle. » Mais alors l'Allemagne avait quelque chose à nous offrir pour le cas d'un conflit francoanglais. Actuellement elle n'a rien à offrir ni rien à demander, sauf qu'elle nous signifie qu'elle pourrait se montrer désagréable et que tout projet tendant à se passer d'elle est destiné sans doute à échouer.

Et l'Economist concluait en déclarant qu'une entente ne saurait s'établir entre l'Allemagne et l'Angleterre avant que celle-ci n'ait plus à redouter le bureaucratisme allemand et les pangermanistes.

Russie. - Le programme de réformes gouvernementales. - Le 6 septembre a été publié, à Saint-Pétersbourg, le communiqué officiel suivant qui contient l'exposé complet du programme politique ministériel:

Le mouvement révolutionnaire.

Depuis deux ans, le mouvement révolutionnaire a pris une force extraordinaire. Il s'est augmenté surtout depuis le printemps de cette année, et il ne s'écoule presque pas de jour sans un crime nouveau. Des soulèvements armés, des mutineries à Sébastopol, à Sveaborg, à Revel, à Cronstadt, des assassinats de fonctionnaires et d'agents de police, des tentatives de pillage se sont succédé sans interruption.

Pendant l'été de 1906 ont été assassinés : le commandant de la flotte de la mer du Nord, amiral Tchoukhnine; le gouverneur de Samara, Block; le gouverneur général de Varsovie, Vanlialiarsky; le général Markgresky et le général Min. En outre, de nombreux et horribles attentats, faisant de nombreuses victimes, ont été perpétrés, comme celui de Sébastopol dirigé contre le commandant de la forteresse Nepluef, et celui dont a failli être victime le président du Conseil des ministres.

Enfin la police subit quotidiennement des pertes énormes. Ces crimes montrent que les organisations révolutionnaires s'efforcent par la violence d'empêcher le gouvernement d'accomplir son œuvre avec calme, de jeter le trouble dans les rangs de ses fidèles, de faire cesser toute œuvre de la pensée et toute possibilité de vie créatrice dans l'Etat.

Les populations des diverses classes de la société, effrayées par les révolutionnaires, s'adressent au gouveruement et attendent une déclaration autorisée sur les causes de ces crimes qui oppriment la conscience publique et sur l'attitude du pouvoir à l'égard de ces crimes épouvantables.

Le gouvernement juge nécessaire de déclarer que les révolutionnaires, même avant la dissolution de la Douma, préparaient, d'un côté, un soulèvement armé avec l'aide de l'armée et de la flotte, de l'autre, un mouvement agraire général devant atteindre le pays tout entier.

Tout ce mouvement révolutionnaire devait être soutenu par les membres du parti extrême qui avaient pénétré dans la Douma et qui faisaient tous leurs efforts pour usurper le pouvoir exécutif et transformer la Douma en assemblée constituante. Selon les révolutionnaires, le succès était assuré par des tournées dans les villages et par la propagande des membres de la Douma qui jouissaient de l'inviolabilité de la personne. En même temps on se promettait de faire cesser la vie économique du pays par la grève générale.

Après la dissolution de la Douma, la faillite de la grève générale et les mesures prises contre les désordres agraires, les groupes révolutionnaires essayèrent d'atténuer l'impression de l'échec de leurs projets et d'empêcher l'œuvre créatrice du gouvernement; ils décidèrent d'impressionner le pays et d'effrayer le gouvernement par le massacre des hauts fonctionnaires. Le recours de ces actes de haut terrorisme a prouvé la faiblesse de la révolution pour arriver à réaliser un mouvement général. Beaucoup plus que des chances de succès, la cruauté de pareils crimes crée dans le public une agitation et effraye à mesure que le mouvement révolutionnaire se prolonge.

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de répression.

L'attitude du gouvernement. Les moyens Quel est donc le devoir du gouvernement dans de pareilles conditions?

QUEST. DIPL. ET COL. -T. XXII.

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Il n'y a qu'une réponse à cette question,

Le but du gouvernement et le problème qu'il a à résoudre ne sauraient être modifiés par les projets des criminels; on peut tuer telle ou telle personne, mais il est impossible de tuer l'idée dont le gouvernement s'est inspiré. Il est impossible d'anéantir une volonté tendant au rétablissement des conditions permanentes de la vie et du travail libres. Ces crimes rendent le but final difficile à atteindre, mais ce sont des faits occasionnels. Le sens commun démontre la nécessité d'écarter les obstacles et de marcher de toutes ses forces vers la solution du problème posé. Ces crimes doivent être réprimés sans aucune hésitation. Si l'Etat ne les réprime pas promptement, toute notion d'existence de cet Etat sera perdue. En conséquence, le gouvernement opposera la force à la violence.

Le devoir de l'Etat est d'arrêter la marche violente de la révolution qui tend à usurper le pouvoir et à établir, en qualité de nouveaux maîtres, des éléments antisociaux qui feraient tout sombrer.

Des instructions détaillées seront données aux autorités locales pour lutter contre ces éléments. Une grave responsabilité incombe à ceux qui manqueraient de résolution et à ceux qui désobéiraient à la volonté impériale.

L'administration fera tous ses efforts et emploiera tous les moyens légaux pour faire cesser la propagande violente et, si cette propagande réussit à provoquer des désordres agraires parmi les éléments ignorants de la population, ces désordres seront réprimés par la force armée, et la responsabilité, s'il y a des victimes, incombera aux agitateurs.

Le gouvernement considère que la procédure judiciaire actuelle n'est pas suffisamment adaptée aux circonstances actuelles et il juge nécessaire de publier des règlements provisoires sur les conseils de guerre de campagne (veldkriegsgerichte) pour les crimes graves commis dans les régions placées sous la loi martiale et en état de défense extraordinaire.

La procédure et l'exécution de l'arrêt seront réglées et se trouveront suivre de plus près les crimes.

Des règlements provisoires sur l'aggravation des peines pour propagande parmi les troupes seront également établis.

Les malheurs dont souffre notre patrie ont fait naître la nécessité d'amender l'organisme de l'Etat pour supprimer le mal sans toucher à la vitalité de l'Etat.

Toutes ces mesures sont nécessaires pour assurer la liberté de vivre et de travailler. Elles constituent des moyens et non un but; elles absorberont beaucoup de temps et de travail, et pourraient barrer la voie aux réformes indiquées par l'empereur; mais ce serait une grande faute de considérer la répression des attentats criminels comme but unique et d'oublier les causes qui ont engendré les troubles.

Le programme des réformes.

Le gouvernement ne peut pas laisser dire qu'il suspend toute réforme et fait cesser toute vie pour porter absolument son attention sur la répression de la révolution.

De même il ne serait pas conforme aux circonstances actuelles et aux intérêts de la Russie de ne s'occuper que de réaliser des réformes libérales dans cette idée que la révolution perdrait alors toute raison d'être.

Les révolutionnaires ne luttent pas pour les réformes, dont l'introduction est considérée comme nécessaire par le gouvernement lui-même, mais pour l'introduction dans l'Etat d'un régime socialiste.

Par conséquent, le plan du gouvernement est clair: il consiste à conserver l'ordre et, par des mesures décisives, à défendre le peuple contre les éléments révolutionnaires et à diriger tous les efforts de l'Etat de façon à ramener de nouveau l'ordre basé sur une loi de liberté rationnelle.

Le gouvernement sait qu'il a en face de lui des questions de natures diverses, dont les unes doivent être résolues par la Douma et le Conseil de l'Empire et d'autres urgentes, qui doivent être immédiatement réglées.

Les premières seront traitées dans les projets qui précèderont la réunion de la Douma, conformément aux principes indiqués dans les Manifestes impériaux et dont les solutions partielles ne sauraient nuire à l'activité législative de la Douma, dont la nature est déjà déterminée.

Il s'agit premièrement de la question agraire.

Le gouvernement assurera à des commissions agraires locales le moyen de continuer à travailler à l'amélioration du sort des paysans dans les régions où l'on a souffert de la pénurie des terres.

L'œuvre ainsi accomplie dans ces localités fournira les matériaux à la Douma pour résoudre cette question extrêmement complexe.

Quelques mesures urgentes dans le sens de la légalité stricte pour la liberté religieuse seront également mises à exécution. Le gouvernement veut abroger les décrets qui gênent les paysans vieux-croyants en déterminant les droits de ces derniers par un règlement législatif exact.

En ce qui concerne la question juive, on abrogera les prescriptions qui ne servent qu'à faire naître l'irritation et qui pourront être abrogées immédiatement, ainsi que celles qui touchent à l'essence même des relations entre les juifs et la nation russe et qui constituent une œuvre de conscience nationale.

L'augmentation du nombre des écoles populaires, conformément au plan d'introduction de l'instruction générale et l'amélioration des conditions de la vie matérielle des instituteurs sont déjà projetées par le gouvernement, qui a prévu dans ce but, au budget de 1907, une somme de 5 millions 1/2 de roubles.

Les projets de loi qui seront présentés à la Douma sont très nombreux. Outre les travaux sur les lois permanentes concernant les religions et les syndicats de presse, le gouvernement s'occupe maintenant d'une série de questions de grande importance dont voici la liste :

1° Liberté religieuse;

2o Inviolabilité de la personne;

3o Egalité civique.

Dans le but d'abroger les lois restrictives appliquées aux groupes de

nations:

1o Amélioration de la propriété foncière des paysans ;

2o Amélioration de la santé des ouvriers;

3o Assurance de l'Etat;

4o Réformes des gouvernements autonomes locaux ;

Afin d'établir un contact direct entre les institutions administratives locales et les organismes des gouvernements autonomes réformés :

1o Création de zemstvos dans les régions du Nord-Ouest des provinces baltiques;

2o Etablissement de zemstvos et de municipalités en Pologne;

3o Transformation de la justice locale;

4o Réforme des écoles supérieures et moyennes ;

5o Impôt sur le revenu;

6o Réforme de la police afin d'unifier la police et la gendarmerie.

Des mesures spéciales pour la défense de l'ordre et la sécurité personnelle seront réunies en une seule loi. Enfin les travaux préparatoires pour la convocation du conseil national des Eglises continuent conformément à l'oukase impérial.

S'étant imposé le maintien de l'ordre, la préparation et l'exécution des réformes nécessaires, espérant fermement la sanction des travaux législatifs de la session prochaine, le gouvernement a le droit de s'appuyer sur la fraction libérale de la société qui désire la tranquillité de l'Etat et non sa mise en péril.

Le gouvernement considère de son devoir de ne pas poursuivre les opinions exprimées par la presse et dans les réunions publiques; mais si ces moyens d'expression de la conscience publique sont employés pour la propagande des idées révolutionnaires, le gouvernement n'hésitera pas à exiger que ses agents prennent des mesures légales pour empêcher la transformation d'instruments bons en eux-mêmes en instruments de propagande par la violence et l'insurrection.

- La Banque agraire des paysans. Par ordonnance impériale en date du 25 août, la Banque agraire des paysans a été chargée d'organiser la vente aux paysans d'un certain nombre de propriétés, dans le but d'augmenter la quantité des terres qui sont propriétés paysannes.

Parmi les terrains choisis pour cet objet se trouvent les biens de la Couronne en état de culture, qui ne sont pas contigus aux districts forestiers et dont les baux sont expirés; les forêts qui sont partiellement limitrophes des terres déjà possédées par des paysans ou qui sont entourées de propriétés de cette nature; les terrains boisés, dans les gouvernements d'Arkhangel et de Vologda, qui sont propres à être vendus aux paysans.

Les conseils de guerre en campagne. L'Empereur a sanctionné, le 7 septembre, la décision du conseil des ministres instituant des conseils de guerre de campagne. Dorénavant, les gouverneurs généraux ou autres autorités investies de pouvoirs similaires, dans les districts qui sont en état de siège ou en état de protection extraordinaire, auront le pouvoir de déférer toute personne accusée de crime dans des lieux publics devant un conseil de guerre de campagne, sans qu'aucune enquête préliminaire soit nécessaire.

Le conseil de guerre de campagne peut être formé par un gouverneur général ou par toute autorité investie de pouvoirs semblables, par l'intermédiaire du commandant de garnison, chef de détachement ou commandant de port. Le conseil de guerre sera composé d'un président et de quatre officiers de l'armée ou de la marine. L'ordre constituant le conseil sera publié par le gouverneur général dans les vingt-quatre heures de la perpétration du crime à punir. La cour s'assemblera immédiatement et décidera à huis clos dans les dix-huit heures. Sa sentence aura immédiatement force de loi et sera exécutée dans les vingt-quatre heures sur un ordre des autorités militaires en question.

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