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prises dans ces pays; cet obstacle s'appelle la main-d'œuvre. Elle est bien seule en face de lui; elle sait qu'elle ne doit compter sur aucune aide, pas plus qu'elle n'ignore qu'en cas de différend avec le personnel indigène qu'elle recrute très péniblement, serait-ce avec le dernier de ses manœuvres, elle devra, si elle veut éviter de voir les plaintes de ce personnel. ou de ce manœuvre, prises en considération avant ses explications, payer au prix convenu pour un travail bien fait tout travail mal fait ou même inexécuté.

Il est vrai de dire que, en cela comme en toutes manifestations hostiles de ladite Administration, la scierie d'Abidjan est logée à la même enseigne que tous ceux qui, pour une cause ou pour plusieurs, lui ont déplu. Je m'empresse d'ajouter, pour rassurer ceux qui pourraient être tentés d'installer à la Côte d'Ivoire industrie ou commerce, que sans cause et sans raison, et aussi, sans appui influent, on n'aura à supporter que sa plus complète indifférence; il suffira, pour se l'assurer, de dire que tout est bien dans la meilleure des colonies possibles.

De Grand-Bassam à Dabou, la durée du trajet est très variable, selon que l'on s'y rend directement, ou que l'on fait escale à l'un ou plusieurs des nombreux points de traite situés sur les lagunes, ou encore aux deux centres administratifs: Bingerville, résidence du Gouverneur et des services administratifs, sauf celui de la douane, et Abidjan, tête de ligne du chemin de fer actuellement en construction, résidence du commandant, officiers et sous-officiers du génie, chargés de cette construction, et du chef du service des douanes de la colonie, le premier éloigné d'environ 20 kilomètres ou deux heures de vapeur de Grand-Bassam, le second de 40 kilomètres ou quatre heures de vapeur.

Le siège du gouvernement, primitivement fixé à GrandBassam, fut déplacé à la suite de plusieurs épidémies de fièvre jaune et transporté au fond d'une des lagunes, sur un point isolé, paraissant présenter de meilleures conditions hygiéniques, à cause de son élévation au-dessus du niveau des eaux et auquel, en l'honneur de l'un des premiers explorateurs et gouverneurs du pays, actuellement Directeur des Affaires d'Afrique au ministère des Colonies, on donna le nom de Bingerville. L'expérience a depuis prouvé combien on eut tort d'opérer ce déplacement. Grand- Bassam, exempt de fièvre jaune, présente de bien meilleures conditions hygiéniques que Bingerville, tant par la nature de son sol fait d'une couche de sable de plusieurs mètres d'épaisseur, sans émanations, que par sa situation immédiate au bord de l'Océan, ce qui lui assure une

meilleure aération; la moitié, à peine, des dépenses qu'ont nécessitées la construction à Bingerville d'une résidence pour le gouverneur, d'habitations pour les nombreux fonctionnaires de tous grades qui l'entourent, de locaux pour les bureaux des différents services, etc. (une partie de ces constructions ayant déjà été édifiées à Grand-Bassam), la moitié à peine, dis-je, de ces dépenses, eût suffi pour faire de Grand-Bassam un point sanitaire parfait: l'asséchement de quelques marigots, foyers à moustiques, la construction de quelques centaines de mètres

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de murs de soutènement formant quai, en bordure de la la-
gune, le nivellement de quelques dépressions dans Grand-
Bassam même, étaient seuls nécessaires pour obtenir ce ré-
sultat, empêchant à jamais tout retour offensif de la fièvre
jaune. Les exemples d'assainissement de ce genre ne man-
quaient point; parmi les plus récents on peut citer ceux de
Cuba; la terrible maladie y existait à l'état endémique, au
temps de l'occupation espagnole; les Américains l'en ont com-
plètement chassée sans qu'un seul cas s'y soit produit depuis
plusieurs années, en procédant, dès leur arrivée, à l'asséche-
ment des marais environnant la ville. Plus près de nous et
chez nous, dans une de nos colonies, à Dakar, plusieurs épi-

démies de fièvre jaune firent, il y a quelques années, de terribles ravages; loin de l'évacuer, on entreprit son assainissement par les mêmes procédés, asséchement et nivellement. On est si certain de la réussite, qu'on n'a pas hésité à commencer la construction d'un magnifique port de guerre et de commerce dont les travaux sont déjà très avancés, et que le gouverneur général de la côte occidentale d'Afrique lui-même, quittant Saint-Louis, est récemment venu s'installer, provisoirement, dans l'île de Gorée, en face de Dakar, en attendant de pouvoir y occuper le vaste palais actuellement aux mains des ouvriers d'art envoyés d'Europe.

En dehors de l'importante économie qui eût pu être réalisée dans les finances de la colonie de la Côte d'Ivoire, le commerce n'aurait pas à déplorer les difficultés, pertes de temps et d'argent, qu'il éprouve dans ses relations fréquentes avec l'Administration. Grand-Bassam, point facilement accessible de toutes les parties de la colonie, touché plusieurs fois par semaine par des vapeurs de diverses nationalités, anglais, allemands, belges et français, courriers rapides et cargo-boats, ces derniers faisant escale sur tous les points de la Côte, même les moins importants, pour peu qu'ils aient quelques ponchons d'huile de palme ou quelques sacs de palmistes à charger, assurait, très faciles, ces relations administratives et devenait, tant par sa situation sur l'Océan que par celle qu'il occupe à l'embouchure du Comoë et des lagunes, le principal centre, c'est-à-dire le chef-lieu de la colonie, alors qu'on peut dire que ce chef-lieu n'existe actuellement nulle part, tel un pays sans capitale. Aujourd'hui, le voyageur venant de l'extérieur ou d'un point quelconque de la colonie, pour se rendre à Bingerville, doit passer par Grand-Bassam; seules, les maisons de commerce y sont restées; les plus importantes y ont établi leur siège, c'està-dire leurs principales installations, magasins et entrepôts, mais il n'y trouvera ni hôtel ni restaurant; il lui faudra, s'il est complètement étranger au pays, vivre comme il pourra dans une case de nègre, ou s'ingénier pour se faire offrir le vivre et le couvert par l'une des maisons de commerce de la place, cela souvent pendant plusieurs jours, la communication n'étant assurée qu'au fur et à mesure des besoins du commerce.

Si ledit voyageur a quelque question à régler avec le Service des douanes ou la Direction du chemin de fer, il devra se rendre à Abidjan. S'il a affaire au Service de santé, son chef est à Grand-Bassam. S'il veut voir le Commandant des troupes, il devra se rendre à Grand-Lahou. Pour les autres services, il pourra s'arrêter à Bingerville. S'il veut les voir

tous, il s'en tirera, s'il est favorisé, avec huit jours de voyage. Je terminerai sur Bingerville, en disant que l'Administration y est bien chez elle. Le pays environnant n'offrant aucune ressource au commerce, aucune maison n'y a installé de factorerie et l'on n'y trouve que deux ou trois boutiques de produits alimentaires et liquides apéritifs variés, gérées par des nègres. Le spleen y vit en maître, avec toutes ses conséquences; l'Administration y règne, mais dans un isolement où elle se complaît. De Grand-Bassam à Bingerville, il n'existe que quelques points de traite très peu importants, de même que de Bingerville à Abidjan. Ce dernier point est occupé par des factoreries de presque toutes les maisons de la colonie; il a été choisi comme tête de ligne du chemin de fer en construction; le rail atteint actuellement le 60° kilomètre, l'infrastructure le 80° et le défrichement le 90°; il se dirige, en traversant le Baoulé, vers Kong et les régions du Haut-Niger sur un point non encore exactement déterminé.

Traversant la lagune, en face d'Abidjan, sur un parcours d'environ 10 kilomètres, on atteint Port-Bouet, appelé jadis Petit-Bassam, situé sur l'Océan et séparé de la lagune par une bande de sable de 800 mètres; un canal, établissant la communication, y a été entrepris; la violence de la vague déferlant sur le rivage, vague de formation spéciale appelée barre, a jusqu'à présent mis obstacle à son achèvement, et il sera nécessaire de se résoudre enfin à construire les deux lignes jadis projetées par M. le commandant Houdaille et destinées à atténuer, sinon supprimer, les effets de cette vague qui amène constamment de forts apports de sable obstruant l'ouverture chaque fois qu'on a tenté de la faire. L'exécution de ce travail est de grande importance pour la colonie. D'abord accessible aux allèges seulement, il pourra être rapidement creusé pour donner passage aux navires de fort tonnage qui trouveront dans la lagune, en même temps que des eaux profondes, un abri sûr avec tout l'espace nécessaires à leurs libres manœuvres, en un mot, le meilleur port qui se puisse désirer; cette œuvre achevée, Abidjan deviendra sûrement le principal centre commercial de la colonie; l'abord en sera facile aux grands navires qui pourront y faire leurs opérations d'embarquement et de débarquement sans les risques nombreux et dangereux que courent, actuellement, dans les allèges servant à ces opérations, passagers et marchandises à la traversée de la barre. Placé à la tête de ligne d'un chemin de fer parcourant une immense forêt riche en essences de valeur et en lianes à caoutchouc de variétés diverses, il acquerra vite une importance à

laquelle ne peut prétendre aucun des points commerciaux de la colonie.

D'Abidjan à Dabou, les points de traite sont nombreux; la distance est d'environ 50 kilomètres ou cinq heures de vapeur; toutes les maisons de la colonie y possèdent des factoreries et il s'y fait un très important commerce d'huile et amandes de palme; quelques caravanes du Baoulé et du Soudan y apportaient anciennement leur caoutchouc, elles ont cessé d'y venir depuis l'occupation commerciale de Tiassalé, plus près d'elles. La pacification des pays environnants y fut longue et difficile; la proximité de la forêt, s'opposant à toute pénétration, rendait ainsi toute expédition absolument inefficace; actuellement encore la tribu, toute proche, des Ebriés, est toujours très remuante et ne paie que très incomplètement l'impôt auquel se sont soumises les tribus plus dociles.

La colonie est administrativement divisée en un certain nombre de régions appelées cercles; chacun de ces cercles, dont le moindre égale en superficie une dizaine de nos départements, est commandé par un administrateur dont le grade varie selon l'importance du cercle. Cette dénomination d'administrateur est rarement employée, ce fonctionnaire est presque toujours désigné par le titre de commandant de cercle; ses fonctions sont multiples, il est chargé de la direction des affaires politiques indigènes, de la police, de la justice de paix avec compétence étendue, de la répartition des impôts qui se fait actuellement à raison de 2 francs par case et de leur recouvrement, etc.; il centralise, en un mot, de multiples fonctions qui sont en France réparties entre de nombreux services, mais il a, en réalité, peu d'influence. Le fait suivant, qui m'arriva en juin 1905, montrera combien l'autorité des commandants de cercle est nulle dans certaines parties de la Côte d'Ivoire.

Ayant besoin de me rendre, ce jour-là, avec un remorqueur, de Dabou à Armébé, j'appris, l'avant-veille, que les indigènes du village d'Agnéby, situé sur la rivière du même nom, par laquelle le remorqueur devait remonter pour atteindre Armébé, avaient établi une pêcherie dans toute la largeur de cette rivière, d'une rive à l'autre. J'en informai le commandant du cercle, qui envoya des miliciens porteurs de l'ordre donné à ces indigènes de pratiquer dans la pêcherie une ouverture suffisante pour permettre le passage du remorqueur. Parti vers sept heures du matin, j'étais, deux heures plus tard, devant le village d'Agnéby. Tous ses habitants étaient assemblés sur la rive; pas un pieu de la pêcherie n'avait été déplacé; ils s'étaient contentés d'enlever tout le poisson qu'elle contenait. A leurs

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