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soit restée, comme l'affirme l'attorney général de Jersey dans son memorandum, la tranquille possession du roi d'Angleterre, et que les Français n'aient jamais mis les pieds dans une île qui contenait un bon ancrage pour leurs vaisseaux et qui était plus rapprochée du continent que les autres. Evidemment cette assertion est inadmissible, et qui veut trop prouver ne prouve rien.

Quant à nous, nous nous bornerons à réunir les documents historiques que l'on possède sur les Ecrehous. Nous montrerons par leur simple exposé qu'en 1203 les Ecrehous constituaient une île française possédée au nom du roi de France par un établissement ecclésiastique français et qu'à la fin de la guerre de Cent Ans, la situation juridique de ce plateau n'avait pas changé. Or, en ce qui touche la souveraineté des îles de la Manche, la question de droit dépend d'une question de fait. Les traités de 1259 et de 1360 attribuent à chacun des deux belligérants, roi de France et roi d'Angleterre, les îles qui se trouvaient, au moment de la cessation des hostilités, en sa possession ou en celle de personnes placées sous sa suzeraineté.

Ceci démontré, il nous sera aisé d'établir que, depuis cette époque, rien n'a fait ni pu faire sortir les Ecrehous du domaine de la France, ni la cérémonie de prise de possession à laquelle s'est livré il y a quelques années un navire anglais, ni les actes d'acquisition auxquels les notaires jersiais ont jugé opportun de se prêter, ni les décisions de la cour de Jersey.

Remontons à la donation de 1203, le premier acte où il soit fait mention de l'île d'Ecrehou. Quelle est la portée juridique de cet acte? Pierre Despréaux, bailli du Cotentin et seigneur des îles de Jersey, Guernesey et Aurigny, placé sous ce double titre « in dominio et in potestate regis Francia » pour se servir du langage du temps, donne en pleine et entière propriété, « concessisse et dedisse... habendam et possidendam « libere et quiete, plenarie et honorifice, in puram et perpe<< tuam eleemosynam », une terre faisant incontestablement partie du duché de Normandie et par suite française à un établissement ecclésiastique français. Cette donation n'a eu pour but et pour effet que de faire passer cette ile du domaine dont disposait à cette époque Pierre Despréaux, dans le domaine de l'abbaye du Val-Richer. Cette donation est un vrai démembrement de fief, sans la moindre réserve ni la moindre charge féodale. L'ile sort libre des fiefs de Despréaux, elle entre définitivement dans les fiefs de l'abbaye française. Vainement on essayerait d'arguer de ce que Despréaux portait à cette époque les armes pour Jean-Sans-Terre contre Philippe-Auguste, de ce

qu'il agissait sous l'autorité et avec le consentement du duc de Normandie. Jean-Sans-Terre ne contestait pas alors sa qualité de feudataire du roi de France, il la revendiquait. En raisonnant comme si Pierre Despréaux avait agi en représentant du roi d'Angleterre, on commettrait un complet anachronisme. Cé n'est que près de deux siècles plus tard, à la fin de la guerre, que les rois d'Angleterre revendiquèrent le droit de ne pas rendre hommage au roi de France pour celles des îles, du Cotentin que les hasards de la lutte avaient laissées én leur possession.

Le traité d'Abbeville en 1259 est formel dans ce sens. L'article 4 spécifie que le roi d'Angleterre devra hommage lige pour les iles.

Ainsi, la donation de Pierre Despréaux n'a eu et n'a pu avoir pour but et pour effet que de délier l'ile d'Ecrehou des liens du fief quelconque auquel elle appartenait et de la faire passer à titre définitif et sans réserve dans les fiefs de l'abbaye du ValRicher. Si donc il existait entre l'île d'Ecrehou et l'île de Jersey un lien quelconque avant la donation de 1203, ce lien a cessé d'exister à partir de 1203.

Continuons l'exposé des faits dans leur ordre chronologique.. Hermant (Histoire du diocèse de Bayeux, manuscrit de la bibliothèque de Caen) nous apprend qu'en 1209, Guillaume d'Argences donna sa terre de Sartinville pour faire vivre deux religieux de l'abbaye du Val-Richer dans l'île d'Ecrehou. Or, nous savons, d'autre part, par l'état des biens de Notre-Dame d'Ecrehou, heureusement retrouvé dans les archives départementales du Calvados, que cette donation consistait dans le domaine de Sartinville, à quelques kilomètres de Carteret, avec un moulin à vent et une pièce de terre. Ce qui fut confirmé par Hugues de Merville, évêque de Coutances.

Dans cette même année 1209, autre donation à la même abbaye par Simon, comte de Dammartin, et sa femme, fille du roi Louis de France.

Comment expliquer ces donations, si Notre-Dame des Ecrehous n'était pas en terre incontestablement française? Comment en pleine guerre la fille du roi Louis de France auraitelle fait une libéralité à un établissement anglais? Une telle supposition est inadmissible.

Tous les autres documents relatifs à cette intéressante question contribuent à établir de même, et de la manière la plus irréfutable, que l'île d'Ecrehou n'a jamais cessé d'être française.

Tout démontre au contraire que la couronne d'Angleterre n'y

a, à aucune époque, exercé aucun droit. Nulle part, en effet, il n'est question d'une confiscation de cette île comme bien possédé par une maison religieuse du continent dans une terre soumise à la souveraineté britannique. Or, les biens des abbayes n'ont pas échappé à cette mesure poursuivie avec la dernière rigueur. Nulle part, il n'est parlé de la fermeture de la chapelle or, toutes les chapelles situées en terre anglaise et dépendant de maisons françaises furent fermées; il n'est pas parlé non plus de l'arrestation ou de l'internement des moines, et tous les moines français ont été détenus et séquestrés.

Ces diverses mesures, soit contre les personnes, soit contre les biens, donnaient lieu, dès qu'une trêve arrêtait les hostilités, à d'innombrables réclamations. Si elles avaient été exercées à l'encontre de l'abbaye et des moines d'Ecrehou, on en trouverait des traces. Les enquêtes de quo warranto ont été conservées, elles ont été publiées; toutes sont muettes sur l'île d'Ecrehou.

Il n'est aucunement question de cette île dans les commissions du gouverneur de Jersey. Ce silence général ne peut s'expliquer que parce que cette île n'a jamais été placée sous la souveraineté britannique.

A l'encontre de toutes ces preuves si précises, si pertinentes, si concluantes, l'attorney général de l'île de Jersey, dans son memorandum, ne cite qu'un fait.

Ce fait est exact; mais, loin de conclure en faveur de sa thèse, il la renverse.

En 1688, dit-il, les commissaires des revenus de la couronne font mention d'arriérés de redevances dues pour le compte du prieuré d'Ecrehou. Quelques-unes de ces redevances, ajoutet-il, ont été payées aussi récemment qu'en 1785 et probablement se paient encore de nos jours.

Il est vrai que les ententes, c'est-à-dire les rôles ou états détaillés des revenus du roi d'Angleterre dans chaque paroisse, non seulement en 1688, mais aussi en 1607 et dès 1528, font. mention de redevances dues au prieuré d'Ecrehou.

Mais qu'en résulte-t-il?

La charte de donation de l'île d'Ecrehou à l'abbaye du ValRicher par Pierre Despréaux contenant la clause suivante : « Item concessi prædictis monachis quidquid ab hominibus. << meis de Jersy et de Jernese et de Aurene, eis, caritatis «< intuito rationabiliter datum fuerit saluo pro meo. » Les habitants de Jersey avaient usé de la faculté qui leur était ainsi ouverte.

Ils en avaient usé surtout à l'époque où, par suite du séquestre de tous les biens ecclésiastiques dépendant des maisons continentales et de la fermeture des chapelles, la chapelle d'Ecrehou, qui échappait à ces mesures parce qu'elle était située en terre française, était le seul lieu de culte à proximité où ils pussent faire accomplir leurs intentions pieuses. Les libéralités des Jersiais étaient ainsi venues se joindre à celles beaucoup plus considérables, émanées de donateurs français qui constituaient le patrimoine de Notre-Dame d'Ecrehou.

En 1414, la confiscation des « alienes priones » devient définitive; cette mesure est complètement réalisée en 1451 et la couronne d'Angleterre a joint à cette époque au domaine du roi tout ce qui appartenait aux maisons religieuses du continent. C'est par application de cette mesure qu'elle s'est approprié les redevances dues à Notre-Dame d'Ecrehou par les Jersiais.

La logique de cette déduction est irréfutable.

Les confiscations qui ont mis entre les mains de la couronne d'Angleterre les biens des abbayes catholiques anglaises sont toutes postérieures à cette date de 1528.

Hermant nous apprend aussi qu'au cours des guerres de religion, une bande de réformés anglais débarqua dans l'île d'Ecrehou, s'empara de l'abbaye et la détruisit.

Cependant Mariette de la Pagerie, dans sa carte du diocèse de Coutances, dressée en 1689, figure encore la chapelle comme existante.

En tout cas, l'abbaye du Val-Richer continua de posséder l'ile d'Ecrehou qui, au dire d'Hermant, avait encore, à la fin du xvii siècle, une lieue de long sur une demi-lieue de large. A l'époque de la Révolution, par suite de la nationalisation des biens du clergé, elle passa dans le domaine public, imprescriptible et inaliénable, de l'Etat français.

Quant aux faits plus récents cités dans le memorandum. anglais, ils ne sont ni précis ni pertinents. L'Angleterre ne peut avoir la prétention d'acquérir par prescription la souveraineté sur une portion du domaine public français. Au surplus, les faits cités par elle, à raison de leur discontinuité, de leur clandestinité à l'égard du gouvernement français, ne pourraient même, entre particuliers, être invoqués pour établir une possession continue, publique.

La souveraineté de la France sur le plateau des Ecrehous reste donc indéniable.

P. AUBERY DU BOULLEY.

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France. Le congrès colonial de 1906. Le congrès colonial de 1906 s'est ouvert le 28 juin, sous la 'présidence de M. F. Deloncle, député de la Cochinchine. M. Clémentel, ancien ministre des Colonies, a inauguré les travaux du congrès par un discours très applaudi sur « l'expérience coloniale ». Il a terminé ainsi :

Si votre tâche est belle, magnifiques sont les résultats déjà obtenus. Ils prouvent qu'au choc de l'expérience, si dures qu'en soient les leçons, nous ne devons rien abandonner de nos espérances, rien abdiquer de notre idéal.

Ouvrons les yeux; regardons autour de nous; le drapeau français flotte sur d'admirables pays, en plein essor, prospères et riches, à qui nous avons donné la paix et la sécurité.

Partout notre domination est acceptée, respectée. Il nous reste de la faire aimer comme elle le mérite.

Pour y parvenir, point n'est besoin de soulever des controverses de métaphysique coloniale. Il nous suffit de nous souvenir de nos erreurs, d'écouter parler le passé, d'en comprendre les leçons et de savoir, à l'heure voulue, passer aux actes.

-Leroi du Cambodge à Paris. - Le roi du Cambodge, Sisowath, est arrivé à Paris le mardi matin, 19 juin, accompagné de ses fils les princes Essaravong, Duong-Mathuro, Moniyong, Sophanonwong et Wong-Kat; du prince Chantaleka, fils de son prédécesseur le feu roi Norodom, de Col de Monteiro, ministre de l'instruction publique, et Thiounn, ministre de la cour, des finances et des beaux-arts, de trois secrétaires et de onze danseuses ou musiciennes du palais, qui ont rang de princesses.

Le souverain asiatique était accompagné également d'une mission française attachée à sa personne pendant son séjour en France et composée ainsi : M. Gautret, secrétaire général des colonies; MM. le docteur Hahn, inspecteur des services civils de l'Indo-Chine; le capitaine Chapuis, de l'infanterie coloniale, breveté de langue cambodgienne, et Munier, administrateur des services civils de l'IndoChine.

Le roi de Cambodge sera notre hôte pendant un mois environ. Il visitera en détail Paris et ses environs et assistera à la revue du

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