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tache rouge, à l'extrémité de ses plumes; vivant très bien en captivité, parlant très distinctement, il apprend vite le répertoire qui lui est enseigné.

Les singes sont aussi en grand nombre, mais d'espèces peu variées; celle du singe chien (cynocéphale) domine; il atteint, debout, 150; presque impossible à apprivoiser, même pris jeune, sa force et sa redoutable mâchoire en font un animal dangereux; cette espèce circule par bandes de trente et quarante individus, quelquefois plus. En liberté, ils sont inoffensifs; pourtant le voyageur, qui, passant près d'eux et pour se distraire, voudrait les effrayer soit par gestes, soit en jetant dans leur direction pierre ou morceau de bois, verrait la bande entière, hurlante et gesticulante, répondre par une grêle de tout ce qui sera à sa portée. Si ce sont des pierres, il courra le risque d'être sérieusement blessé, car les gros, en même temps que très forts, sont aussi très adroits; la vue seule de sa fuite les calmera et il ne sera pas poursuivi. Le bruit de la détonation d'une arme à feu les effraye et les disperse, surtout si l'un d'eux est blessé ou touché à mort. La chair de ces animaux, coriace et fade, est insupportable à l'Européen, je n'en ai goûté moi-même qu'un jour où je n'avais rien autre chose à me mettre sous la dent; les nègres, que rien ne rebute de ce qui peut s'absorber, en font leurs délices. On trouve aussi, mais en moins grande quantité, le singe de palétuviers qui se tient toujours dans cette végétation, au bord des lagunes et des cours d'eau. Dans la forêt, le chimpanzé vit par familles de trois ou quatre individus, parents et enfants; il atteint, lui aussi, la taille de 150 et plus; pris jeune, il est facile à apprivoiser et se dresse, sans trop de difficultés, à quelques usages civilisés, tels que se tenir correctement assis à table, la serviette nouée, sans barboter dans les plats ou assiettes voisines et sans rien répandre du contenu de la sienne; il apporte gravement, sans rien briser, un plateau garni de verres, ou, sur un signe de son maître, qui attend, pipe, cigare ou cigarette à la bouche, il enflamme une allumette et la présente sans se brûler ni risquer de brûler son maître. Sous ces dehors de sauvage dégrossi et de serviteur fidèle, il cache de terribles défauts naturels, vite augmentés au contact de l'homme. S'il goûte une seule fois d'une boisson alcoolique, cognac, vermouth, absinthe, etc., il est perdu; il aura vite fait de connaître l'endroit où ces liquides sont rangés; naturellement voleur et très adroit, il profitera d'un moment d'inattention et même de la clef, dont il saura très bien se servir, oubliée sur le meuble qui les renferme, pour s'emparer d'une bouteille, la première venue

qu'il ira vider dans un coin où on le trouvera ivre mort; ses rapines s'étendent aussi aux confitures, sucre, gâteaux secs, à tout ce qui est sucré. Gorgé de tout, il s'ingéniera à la malveillance, ouvrira le robinet du filtre, arrachera consciencieusement tous les joncs d'un balai, toutes les soies d'une brosse, jouira délicieusement de répandre le contenu d'un flacon d'encre sur le parquet, parfumera le lit, s'il trouve la porte d'une chambre non fermée à clef, d'un mélange de flacons de dentifrices, eaux de toilettes et contenu de la lampe à pétrole, s'y endormira, surtout s'il est ivre, sans oublier d'y laisser d'autres traces plus désagréables encore; ses méfaits sont innombrables et continuels. Cet intéressant animal est actuellement très recherché par l'Institut Pasteur; ses jours y sont comptés, comme ils le sont toujours d'ailleurs sous le climat d'Europe; il y meurt rapidement, mais utilement, ainsi que le prouvent les récentes découvertes faites par la science, concernant plusieurs maladies d'origine microbienne.

Les fauves et animaux, plus ou moins féroces, sont d'espèces peu variées à la Côte d'Ivoire. Dans les lagunes et dans quelques rivières pullulent les caïmans; ils y atteignent 5 ou 6 mètres de longueur. L'hippopotame y est peu commun; ce dernier est absolument invulnérable à tout autre projectile que la balle explosible. L'espèce de caïman de ces pays, de couleur grise uniforme, se confond avec les rochers ou la vase sur lesquels il s'échoue pour dormir au soleil; il faut les yeux perçants et habitués des noirs pour le découvrir; ce n'est que lorsque le courant porte dans sa direction et qu'on peut s'en approcher sans bruit de rame et de pagaie, qu'il est possible de le tirer; encore faut-il le voir bien en face et bien diriger la balle en pleine tête, entre les yeux; au moindre bruit, il s'éveille, se laisse tomber à l'eau s'il est sur un rocher, ou s'y dirige et plonge avec une rapidité incroyable, s'il est sur la vase au bord de la lagune. L'hippopotame, d'approche un peu plus facile, se rencontre par groupes de 5 à 6 individus; sa masse énorme émerge souvent complètement hors de l'eau, près des rives; il faut le tirer également à la tête ou au flanc, près de l'épaule, être certain de son arme et de son adresse, car, seulement blessé, il est terriblement dangereux. Ce genre de chasse se pratiquant dans le fond des rivières ou lagunes où il est impossible aux petits remorqueurs de circuler, c'est toujours de l'embarcation rudimentaire et instable, la pirogue, dont on se sert pour ces expéditions; dans le cas de blessure non rapidement mortelle, la pirogue sera soulevée comme une plume; précipités à l'eau, chasseurs et pagayeurs, blancs et noirs, auront à

redouter, tant qu'ils n'auront pas gagné la rive, les coups de boutoir de l'animal furieux; ils ne s'en tirent généralement que parce que celui-ci s'acharne sur la pirogue, qu'il finit par mettre en pièces. Ce bain forcé, presque toujours pris près de la rive, est sans danger du caïman, qui ne se tient jamais dans le voisinage de l'hippopotame; mais ses conséquences sont toujours très désagréables et souvent dangereuses pour l'Européen; armes, provisions, effets de rechange, non seulement tout cela est perdu, mais souvent aussi la coiffure insolaire, le casque, a disparu et il faudra, presque toujours, parcourir une longue distance à travers marécages, savanes ou forêts, avant d'atteindre un village. Gare l'insolation et, si l'Européen y échappe, l'accès de fièvre pernicieux, infailliblement mortel s'il survient loin de tout secours et soins immédiats. Aucun de ces deux cas ne se produisant, il n'est pas encore hors de danger, car, pour peu qu'il y soit disposé par quelque temps de séjour dans les lagunes ou la brousse, avec les fatigues et privations que comporte ce genre d'existence, son aventure peut encore avoir pour épilogue, quelques jours plus tard, une fièvre bilieuse hématurique, c'est-à-dire, neuf fois sur dix, la mort. Dans la forêt et la savane se rencontrent le jaguar et la panthère, tous les deux de petite espèce, sans danger pour l'homme qu'ils fuient de loin, ayant à profusion tout le gibier nécessaire à leur subsistance. L'éléphant ne se rencontre plus dans la plus grande partie de la Côte d'Ivoire; la chasse au piège, que lui ont faite les indigènes, alléchés par les hauts prix payés pour l'ivoire dans les factoreries, celles faites par quelques Européens bien armés, les ont fait reculer très loin de la côte. J'en ai souvent relevé de nombreuses traces, dans mes voyages, et n'en ai vu qu'une seule fois, mais de très près; c'était à environ 30 kilomètres de Faranah, sur le bord du Niger, à peu de distance de sa source, à vingt-cinq jours de la côte. La bande se composait de huit animaux, dont deux très petits, les autres adultes et de grande taille; elle se livrait, lorsque je l'aperçus, à de copieuses ablutions dans le fleuve; armé seulement d'un Winchester et d'un Lefaucheux, sans balle explosible, me trouvant en terrain complètement découvert, ainsi que l'est toute la vallée du Niger, je jugeai prudent de m'abstenir de toute démonstration hostile; ce ne fut pas sans regret, car, sauf les deux petits, ils étaient armés de défenses superbes, dont j'aurais volontiers emporté plusieurs paires. M'étant avancé presque en rampant à travers les hautes herbes, je pus les observer pendant près d'une heure sans que ma présence et celle de mes porteurs soient éventées;

un peu de bruit de ces derniers attira l'attention de l'un d'eux, tous soufflèrent bruyamment, rejetant violemment dans notre direction l'eau qu'ils venaient d'absorber, et, après quelques instants d'agitation et quelques barrissements qui ne devaient être autre chose qu'un court conciliabule, ils se mirent en marche, lentement, majestueusement et même, me semblat-il, très dédaigneusement, le long de la rive, nous tournant le dos; je n'en ai plus jamais revu depuis; il est vrai de dire que je ne l'ai jamais cherché, n'ayant jamais pratiqué ce genre de chasse pas plus qu'aucune autre.

Dans ces régions du Haut-Niger, la panthère n'est plus de la même espèce que celle qui habite les savanes et forêts du littoral; elle atteint sa taille maxima, fait de grands ravages dans les troupeaux de moutons et de brufs, aux environs des villages et parfois jusque dans ces villages mêmes; elle n'est pas sans danger pour les habitants.

Les reptiles, en Côte d'Ivoire, sont nombreux et d'espèces variées; quelques-unes seulement sont dangereuses, entre autres le trigonocéphale, dont la morsure cause la mort presque foudroyante; la vipère cornue, ou serpent cracheur, également très venimeux. Ne s'écartant pas des sentiers, toujours fréquentés, qui sont là-bas les routes d'un village à l'autre, on ne risque guère la rencontre de ces animaux; il ne faut jamais s'aventurer dans les hautes herbes ou le fouillis de la forêt, sans de hautes guêtres; en face du serpent cracheur, il faudra se garantir la figure pour mettre les yeux à l'abri du venin qu'il lance avec violence et dirige toujours de ce côté; ce venin épuisé, il sera facile de le tuer. Le boa, de l'espèce dite constrictor, y est en grande quantité et y atteint sa plus grande longueur et grosseur; j'en ai vu de 8 et 9 mètres; abondamment pourvu de gibier, il n'attaque jamais l'homme ; j'en ai tué plusieurs, dans mes divers voyages, à la grande joie de mes porteurs, pour qui c'était un régal; quant à moi, je ne pus jamais me résoudre à y goûter; tout parfum à base de musc me rappelle encore maintenant celui de la cuisine que faisaient mes nègres, les jours où je leur avais procuré ce genre de gibier.

(A suivre.)

N. GENGHIS.

UN QUESTIONNAIRE

SUR LES RIVIÈRES DU SUD ET LE FOUTA-DIALLON

Il y a deux manières de faire progresser la connaissance scientifique des différentes parties de notre empire d'outre-mer. L'une consiste à se rendre soi-même, pendant un temps plus ou moins long, dans la colonie que l'on désire étudier, à travailler de son mieux à la reconnaître en regardant soigneusement autour de soi et en notant minutieusement les résultats de son enquête, puis, une fois rentré dans la métropole, à classer systématiquement et à mettre en œuvre les matériaux de toute nature patiemment réunis au cours du voyage et à les publier; c'est la méthode généralement adoptée, celle des explorateurs. D'autres procèdent différemment: après avoir réuni tous les documents (cartes, livres, photographies, collections de toute nature) relatifs à tel ou tel pays, ils en font une étude critique, ils les rapprochent, ils en dégagent les traits communs, et ils arrivent ainsi à dresser un véritable inventaire de nos connaissances, à déterminer les points indiscutables et à préciser par contre ce qui demeure encore ignoré, — à rédiger par conséquent, pour les explorateurs futurs, un véritable programme de recherches. Pour être moins couramment suivie, cette méthode n'en a pas moins ses très grands mérites, même lorsque celui qui l'adopte n'a pas pu se rendre lui-même dans le pays qu'il étudie, et n'y a pas pris contact avec la nature et avec les hommes; de là, en effet, résulte en règle générale, au bout de quelques années, - en particulier sur les desiderata signalés, un nouveau et très sérieux progrès de nos connais

sances.

C'est ce dont on se rendra compte en lisant le travail de M. J. Machat sur les Rivières du Sud et le Fouta-Diallon'. Aucun livre ne semble, en effet, plus susceptible de montrer l'utilité d'une révision et d'une coordination systématiques, exécutées par un géographe de profession, des données recueillies sur place par les voyageurs. Mû par un scrupule de conscience exagéré à notre avis, M. Machat ne s'est jamais, encore

1 GUINÉE FRANÇAISE. Les Rivières du Sud et le Fouta-Diallon. Géographie physique et civilisations indigènes, par J. MACHAT. Paris, Augustin Challamel, 1906, in-8° de 326 p., avec 5 croquis.

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