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qu'il en eût la possibilité, rendu dans les pays dont il avait entrepris d'étudier la géographie physique et les civilisations indigènes; il s'est contenté de lire, dans le silence du cabinet et la plume à la main, «< les documents imprimés de toute nature, et accessoirement les ouvrages de seconde main qui intéressent à quelque titre » les Rivières du Sud et le Fouta-Diallon; et c'est avec leur aide exclusive qu'il a patiemment composé, dans les instants de loisir que lui laissait sa besogne quotidienne de professeur de lycée, un intéressant tableau d'ensemble des connaissances acquises, en l'année 1905, sur la géographie physisique et les civilisations indigènes des pays dont il s'était proposé l'étude.

Un fait se dégage surtout du travail de M. Machat, je veux dire la superficialité, s'il m'est permis d'employer une telle expression, des notions actuellement acquises sur les Rivières du Sud et le Fouta-Diallon. De nombreux voyageurs, énumérés dans la longue introduction géographico-historique où l'auteur a indiqué les principales étapes du progrès des connaissances 1, ont, il est vrai, déjà visité ces pays; mais les uns n'avaient pas l'éducation scientifique nécessaire; d'autres n'ont donné de leurs travaux que de trop brefs résumés. Aussi que de lacunes, que d'imprécisions subsistent encore! M. Machat se trouve amené à le constater à chaque instant. « Les données précises que fournissent sur la géologie de la Guinée française les documents publiés sont (écrit-il à la p. 59) relativement peu nombreuses, et leur rapprochement ne permet encore que d'arriver à une vue d'ensemble, de dresser une sorte de cadre général pour le progrès ultérieur des connaissances. »« L'un des savants (lisons-nous ailleurs) qui connaissent le mieux la botanique du Soudan, M. Aug. Chevalier, a pu récemment écrire que « la flore du Sénégal reste encore à publier3. » Que dire, dès lors, de la Guinée française, malgré les résultats auxquels sont parvenues les dernières missions d'étude?» Pour la faune sauvage, l'ignorance est au moins aussi grande; «< on se

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1 P. 9-57. Il est fâcheux que M. Machat y ait daté de la première moitié du XIXe siècle (à la p. 24) l'oeuvre accomplie dans la seconde moitié du xvIe siècle par le capitaine André Alvarez d'Almada; le Tratado breve dos rios de Guine do Cabo Verde n'a été, il est vrai, publié qu'en 1841, mais il a été rédigé en 1594. Cette erreur chronologique a sans doute empêché M. Machat de se servir du Tratado et de le citer aux p. 204-205 de son ouvrage. Signalons aussi, à la note 2 de la p. 71, une regrettable faute d'impression; il y est dit que M. Coudreau a noté, pour la région de l'Oubanghi, la correspondance des granits et des argiles ferrugineuses; c'est du Dr Cureau qu'il est évidemment question dans ce passage

2 P. 147.

3 Un voyage scientifique à travers l'Afrique occidentale, p. 18.

trouve presque réduit, en ce qui concerne la Guinée française, aux remarques faites en passant par les voyageurs; aucune étude scientifique d'ensemble n'a été essayée, comme pour le Soudan et le Sénégal1.» M. Machat veut-il enfin envisager les sociétés indigènes, surtout dans leurs rapports avec la terre et dans leurs relations mutuelles d'histoire, d'emplacement présent, de civilisation, force lui est d'écrire, au début de son chapitre VIII: « Si nos connaissances sur les Rivières du Sud et sur le Fouta-Diallon laissaient moins à désirer à cet égard, l'un des problèmes capitaux de la colonisation se trouverait résolu; mais, ici encore, les documents imprimés ne font guère que poser les questions et mettre sur la voie de leur solution générale 2. »Sans doute, sur certains points, l'état actuel des connaissances est déjà moins rudimentaire; il est possible de constater dès maintenant, par exemple, en dépit de l'absence de toute carte topographique, que le trait essentiel de la Guinée française occidentale est un massif allongé de roches granitiques, se rattachant directement par sa partie Sud-Est au pays de hautes collines du Niger supérieur, et que, orographiquement, la Guinée française occidentale ne s'oppose pas à la haute Sénégambie ni au Soudan 3; les conditions climatiques du même pays sont assez bien connues, et quelques-unes le sont depuis la première découverte, tout au moins en ce qui concerne le littoral; on pourrait, d'autre part, tirer des récits des voyages faits à la côte occidentale d'Afrique, du xv siècle à la fin du xvII, les éléments d'une description générale des rivages de la Guinée française actuelle. Mais il n'en demeure pas moins vrai que, plus encore que des données positives, ce sont des questions, des problèmes à résoudre que met en pleine Inmière le consciencieux ouvrage de M. Machat sur les Rivières du Sud et le Fouta-Diallon.

Combien sont importantes ces questions et quel intérêt présente leur examen au point de vue de la colonisation, c'est ce qu'un simple énoncé permet de comprendre aussitôt. Nous sommes loin d'être exactement renseignés sur les formations de surface des Rivières du Sud et du Fouta-Diallon; à côté des

1 P. 191. Au sujet des gisements métallifères, M. Machat avait fait des constatations analogues. « On n'a jusqu'à présent, écrit-il aux p. 77-78 de son ouvrage, publié les résultats d'aucune recherche directe des minerais dans la partie de la Guinée française que je considère... Tout un champ d'observation reste ouvert à cet égard. »

2 P. 223.

3 P. 102-103.

4 P. 107.

5 P. 203.

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argiles qui, avec les alluvions, tapissent, surtout au Nord, le fond des vallées et qui constituent la surface de certains plateaux dans le Fouta-Diallon sud-occidental et occidental, à côté des alluvions des plaines et du littoral', qu'est-ce exactement que les « boouals » des Foulahs, que les « oulaï », que les « fili » des Soussous? « Quand on aura fixé la signification vraie de ces «<expressions et dressé une carte générale de répartition de ces divers sols ainsi que des alluvions, on tiendra, dit très « justement M. Machat, les données essentielles permettant « d'expliquer le mode des établissements indigènes, et l'on pourra poser avec quelque netteté les questions préliminaires « à la colonisation. » D'une portée aussi considérable est la solution du problème du climat; si on peut et si même on doit effectivement, dès aujourd'hui, ranger les Rivières du Sud parmi les contrées très malsaines de l'Afrique Occidentale, il en va tout autrement du Fouta-Diallon, qui « se distingue du littoral, « à la fois par des pluies moins fortes, sinon moins prolongées, « et par des minima thermométriques beaucoup plus accen<< tués pendant la saison sèche ». D'ores et déjà, ce pays apparaît au total comme beaucoup plus habitable que les Rivières du Sud; mais une longue expérience seule, - déjà inaugurée et assez encourageante d'ailleurs, dira si, avec une hygiène bien entendue, l'Européen peut y vivre à demeure et y travailler, si certaines plantes utiles et certains animaux de nos climats peuvent y prospérer. Ne convient-il pas, d'autre part, de chercher, tout autant que dans le prosélytisme religieux, dans la demi-famine qui règne chaque année, au début de la saison des pluies, dans ce pays de culture maigre dans l'ensemble, l'explication de l'humeur entreprenante et des efforts d'expansion des Foulah et des Mandés, beaucoup plus dangereux pour leurs voisins, de tout temps, beaucoup plus nombreux parmi les dioulas de Guinée, que ne le sont les indigènes du Niger "?

Nous ferions injure aux lecteurs des Questions Diplomatiques et Coloniales en insistant sur la gravité de ces pro

1 P. 68-69.

2 P. 318-319.

3 P. 320.

4 P. 324-322.

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- C£. (à la p. 199) le passage où l'auteur montre combien il serait désirable de pouvoir tracer sur la carte «< la limite un peu précise des régions ou des zones continues dans lesquelles sont fréquents les pachydermes, les antilopes, les félins étude intéressante au premier chef pour l'anthropologie, et qui, si elle était un jour faite pour l'ensemble du Soudan, fournirait bien des indications sur les déplacements, les rapports actuels, le degré de civilisation des tribus indigènes ».

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blèmes, d'ordre colonial non moins que d'ordre géographique, posés par M. Machat de la manière la plus rigoureuse et la plus précise. Ces problèmes et d'autres également considérables, la détermination des conditions et des modes du commerce indigène, par exemple', - il appartient aux explorateurs futurs de les résoudre . Pour délicate que demeure incontestablement cette tâche, il convient cependant de reconnaître que M. Machat l'a rendue relativement facile. Son ouvrage sur les Rivières du Sud et le Fouta-Diallon renseignera, en effet, les prochains voyageurs sur les travaux multiples de leurs prédécesseurs, au lieu de leur laisser découvrir le pays chacun pour son compte, comme cela s'est trop souvent fait jusqu'à l'heure actuelle; il constituera vraiment pour eux un guide précieux et appellera leur attention sur ce qu'il leur conviendra d'observer.

HENRI FROIDEVAUX.

1 P. 323.

Sans parler de la question de savoir si les tornades humides existent au Fouta-Diallon (p. 133), etc.

2 Déjà, déclare M. Machat (à la note 1 de la p. 317), un jeune géologue attaché au laboratoire de la Faculté des Sciences, M. Jean Chautard, en accomplissant une reconnaissance du Fouta-Diallon, a recueilli des informations qui continueront à compléter et peut-être à modifier sur quelques points les résultats exposés dans Les Rivières du Sud et le Foula-Diallon.

3 Après les avoir énumérés d'ensemble dans son introduction, M. Machat a soin de signaler, dans les bibliographies particulières qui précèdent les différents chapitres de son ouvrage, les études les plus importantes pour chacun des points dont il aborde successivement l'examen.

LES TARTARES CONSTITUTIONNELS

Le Congrès islamique qui vient de réunir à Makaria plusieurs centaines de musulmans russes a donné des indications curieuses sur le mouvement des esprits provoqué parmi les populations tartares de l'Empire moscovite par les réformes politiques du gouvernement du tsar. Ce mouvement des esprits tartares avait d'ail leurs été déjà mis en lumière par les très intéressants articles que l'éminent voyageur et ethnographe Vambéry a publiés récemment, dans la National Review, et que, pour cette raison, il nous paraît utile de faire connaître au moyen des extraits suivants :

A la lecture des explications et commentaires publiés dans les journaux tartares au sujet de la Douma impériale, on inclinerait à supposer que les braves Tartares, regardés autrefois comme le prototype de la passivité asiatique, ont été, depuis longtemps, familiarisés avec la forme constitutionnelle de gouvernement et introduits dans les intrigues et les minuties de la vie parlementaire.

Le manifeste impérial était à peine publié qu'ils décidaient d'organiser une assemblée générale, en vue de délibérer sur les mesures prochaines à prendre, en présence des conjonctures nouvelles.

Les gouverneurs de Nijni-Novgorod et Kazan ayant refusé l'autorisation nécessaire, les délégués des divers comités de l'empire se sont enfin réunis le 6 janvier à Pétersbourg, où, avant toutes choses, les questions de politique des partis ont été soumises à une discussion d'ensemble avec tous les arguments se rapportant au développement moral, matériel et national.

Ici, comme dans d'autres réunions analogues, la présidence a été oecupée par un prêtre influent (mollah) dont le savoir religieux commandait le respect. Il fut appuyé énergiquement par les jeunes Tartares de civilisa tion occidentale moderne, qui, n'ont pas toujours les meilleurs rapports avec les interprètes du Coran, et sont même parfois en guerre avec les représentants de l'école conservatrice et orthodoxe.

Mais, en matière politique, tous les partis sont d'accord. La plus stricte union est sans cesse recommandée, tantôt par les journaux, tantôt par les professeurs tartares qui agissent en émissaires dans les parties les plus éloignées du monde musulman.

Il y a peu de temps, je lisais dans un journal tartare les notes d'un mahométan qui s'était rendu jusqu'à Sakhaline pour répandre l'idée d'union parmi les forçats musulmans de l'ile.

L'union est, en fait, le mot de ralliement des sujets mahométans du tsar; en tous lieux et en toutes circonstances, il y est fait allusion, et c'est

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