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PROTECTORAT CATHOLIQUE DE LA FRANCE

Le Journal des Débats a publié, dans son numéro du 20 septembre, la lettre suivante de M. Denys Cochin, qui fait ressortir avec force les conséquences désastreuses de la politique qui semble abandonner de parti pris la défense de nos traditions et de notre influence en Orient :

Monsieur le directeur,

Les Débats publiaient il y a quelques jours, au sujet de notre protectorat d'Orient, un article excellent. L'auteur anonyme constatait, contrairement à l'affirmation de plusieurs hommes politiques actuels, que notre prépondérance en Orient est due beaucoup plutôt à la constante bonne volonté des Papes, qu'à nos traités passés avec les Sultans. Et redoutant l'envoi d'un chargé d'affaires de la Porte auprès du Saint-Siège, il suppliait le Pape, quelles que fussent les fautes de notre gouvernement, de ne pas céder aux demandes des ennemis de notre pays.

Il avait doublement raison. Car, d'abord, nous possédons, il est vrai, des Capitulations; mais tout le monde en possède. Le Commandeur des Croyants a accordé le droit de protéger dans ses Etats les communautés catholiques à François Ier, empereur de France (1535), à Henri IV (1604), à Louis XIV (1673), à Louis XV (1740), à Napoléon III, enfin à M. Delcassé, après l'occupation de Mitylène.

Mais S. M. l'empereur d'Autriche pourrait invoquer aussi des traités dont voici quelques extraits: le traité de Carlowitz (26 janvier 1699), art. 13. Tous les privilèges... le Sérénissime et tout-puissant empereur << des Ottomans les confirmera, en sorte que lesdits religieux puissent libre«ment rétablir et réparer leurs églises, etc... De plus, il sera permis à l'am<«<bassadeur du très Puissant empereur des Romains d'exposer ce qui lui << sera commis par rapport à la religion dans la grande cité de Jéru« salem... >>

Le traité de Vienne : mai 1616, art. 7. « Que ceux qui font partie des « peuples chrétiens qui professent la religion du Pape; que les prêtres, << les moines édifient leurs temples, annoncent l'Evangile, etc. »

Le traité de Pas sarowitz, 21 juillet 1718, répétant en l'article 11 l'article 13 du traité de Carlowitz.

Le traité de Belgrade, 18 septembre 1739. Art. 9, fort explicite, mais trop long pour être cité ici.

Avec le roi d'Angleterre, le Sultan a signé à Andrinople, en 1675, une capitulation dont l'article 8 est ainsi conçu :

«Tous les privilèges accordés aux Français, aux Vénitiens et à d'autres << princes ayant été accordés par faveur aux Anglais, en vertu de notre com<< mandement spécial, ces mêmes privilèges, articles, capitulations devront << en tout temps être observés..., etc., etc. »

Les Pays-Bas aussi pourraient arguer d'une capitulation du 15 septembre 1680, ainsi conçue « Tout ce qui est inséré dans les capitulations impériales accordées à la France et à l'Angleterre est aussi confirmé en « faveur des Néerlandais. >>

La Russie possède le traité de paix de Kutschuk Kainardji, juillet 1774, dont voici l'article 7: « La Sublime Porte promet une protection cons<< tante à la religion chrétienne et aux églises de cette religion... » Il n'y a aucune restriction; et il n'est pas dit : « religion chrétienne orthodoxe. » Enfin le traité de Berlin, tout en mentionnant et déclarant respecter le droit de la France, reconnait à chaque puissance le droit de protéger ses sujets.

Où donc faut-il chercher l'origine et la nature de ce droit de la France et de son influence prépondérante en Orient? Ce n'est pas dans nos traités avec la Sublime Porte puisque d'autres puissances ont obtenu d'elle des privilèges presque semblables aux nôtres. Il faut la chercher surtout dans la constante volonté des papes, et dans les directions pratiques et les ordres donnés par eux aux communautés catholiques établies en Orient. Pourquoi ont-ils voulu un protecteur unique? La raison en est simple. Les religieux sont de nationalités diverses; et s'il fallait que chacun réclamât la protection des siens, elle irait aux individus et non à la Communauté. Il fallait donner à la Communauté une patrie et planter sur les couvents, les écoles, les églises, non pas un faisceau de drapeaux, mais un drapeau. Et les Papes ont tout naturellement choisi celui de la France, la plus grande nation catholique et la plus connue et respectée en Orient.

Ce protectorat nous est-il favorable? Ce fut l'avis de Gambetta, de Ferry, de Freycinet, de Paul Deschanel, de Delcassé, de Waldeck-Rousseau. Ce n'est pas celui de M. Combes qui fait à ce sujet ses confidences à la Neue Press de Vienne, et avec lequel il serait bien inutile d'entamer une discussion.

J'arrive à la seconde pensée dont j'ai été frappé en lisant le bel article des Débats; aux plaintes que nous devrions adresser au Saint-Siège, s'il songeait à se passer de nous en Orient. Je vois, non sans plaisir, que le bruit des négociations directes entre la Porte et le Saint-Siège n'était pas fondé. Mais j'apprends avec moins de plaisir qu'à son retour M. Constans vient d'être salué par tout le corps diplomatique, sauf l'ambassadeur 'Italie, et le délégué apostolique — Mgr Tacci Porcelli était à Rome mais, contre l'usage, il a négligé de se faire représenter.

Avant de montrer nos craintes, et surtout avant d'étaler nos griefs, il faut nous rappeler comment fonctionne le protectorat, et nous demander s'il est possible qu'il se maintienne dans les conditions actuelles.

Avions-nous passé un traité avec le Pape? Et le Pape peut-il déchirer ce traité aussi aisément que nous venons de déchirer notre Concordat et accorder nos privilèges à d'autres? Non certainement : le protectorat ne peut pas être aussi aisément repris et transféré. Il tombera en désuétude; il périra ou bien il demeurera français. Mais il n'est établi par aucun traité avec le Saint-Siège; et je crois que nos droits n'ont jamais été mentionnés par écrit que dans trois pièces : une instruction de la Propagande, du 22 mai 1888; une lettre adressée par le Pape Léon XIII le 1er août 1896 à M. le cardinal Langénieux; enfin, chose curieuse, la fameuse lettre écrite au sujet du voyage de M. Loubet : jamais nos droits, auparavant, n'avaient été aussi solennellement affirmés.

Donc point de traité avec le Saint-Siège, mais ce qui est plus long et

difficile à établir et ne peut passer subitement en d'autres mains, un constant et antique usage, une pratique de tous les jours, continuée depuis des siècles et à laquelle les populations sont de temps immémorial accoutumées. D'innombrables affaires, cause d'incessantes relations, sont communes au Saint-Siège et à la France protectrice, le premier indiquant quelque intérêt à défendre, la seconde se plaignant de quelque écart de ses protégés. Le Vatican les rappelait toujours à l'ordre : témoin, en ExtrêmeOrient, cet évêque franciscain, victime de l'insurrection chinoise, et qui, ayant porté sa demande d'indemnité au marquis Salvage Raggi, fut châtié et rappelé en Europe, par le Pape, sur la demande de M. Pichon : ce même M. Pichon qui a vu à l'œuvre à Pékin les religieux, ses compagnons de péril, et qui tranquillement aujourd'hui oblige le bey à ruiner leurs œuvres et à les chasser de Tunis! Aux temps où M. Lefèvre de Béhaine et où M. Nisard nous représentaient à Rome, les Minimes qui administrent une grande paroisse à Péra, protégés jadis de la République de Venise, et clients de la France depuis cent cinquante ans, n'auraient pas osé, comme ils l'ont fait l'année dernière, déclarer hautement que la France était impuissante à les bien représenter et qu'ils se donnaient à l'Italie.

L'exercice du Protectorat exige de fréquentes conversations destinées à arranger d'innombrables affaires : comment peut-on penser que nous resterons les protecteurs des catholiques sans connaitre même l'existence du Pape? C'est une espérance déraisonnable.

Il n'est pas exact de prétendre que le Saint-Siège montre de la mauvaise volonté pour le maintien de l'ancienne tradition: Mgr Tacci Porcelli, arrivant il y a dix-huit mois à Rome, avait ordre d'adresser sa première allocution au corps diplomatique en français. Le cardinal Gotti, l'éminent préfet de la Propagande, ordonnait, il y a quelques mois, aux religieux italiens qui avaient arboré les couleurs de leur pays, de reprendre notre drapeau tricolore.

Mais, par la force des choses, l'ancienne tradition s'effacera peu à peu. Par exemple, après la mort de Msr Piavi, l'Allemagne n'a pas manqué de présenter des candidats au siège patriarcal de Jérusalem. Mgr Piavi ne s'était pas montré ami de la France; il eût été naturel qu'elle soutint une candidature plus favorable à notre protectorat. Or le siège est vacant depuis deux ans. Et le Souverain Pontife attend; il attend probablement que le gouvernement français daigne lui exprimer un désir. Car pouvonsnous raisonnablement espérer qu'il fasse choix d'un candidat désagréable à l'Allemagne, sans même savoir si la France sera heureuse de ce choix ? Mais la France ne dit rien: elle ignore le Pape.

En Egypte, où notre situation n'a pas grandi, demeure vivante et active une admirable colonie catholique française. Les Frères des Ecoles chrétiennes, les Pères des missions de Lyon, d'autres religieux encore ont fondé des écoles et des collèges, bien connus et célébrés par l'Alliance française, où les enfants de toute classe sociale et de toute religion, fils de fellahs laboureurs, ou fils de pachas, gros fonctionnaires, musulmans, grecs ou juifs apprennent à parler notre langue et à respecter notre nom. Cette colonie française, religieuse et enseignante, souhaitait ardemment un évêque français au Caire, étant soumise à la peu bienveillante juridiction de l'archevêque italien d'Alexandrie. Il serait possible que ce vœu fût entendu au Vatican, si la France voulait le transmettre. Mais la France, ne connaissant plus le Vatican, laisse libres les autres puissances d'accumuler contre elle leurs objections.

La Syrie nous est attachée plus solidement encore que certaines de nos conquêtes. Nous ne l'avons pas conquise, en effet; mais nous l'avons affranchie. Notre langue y est parlée couramment; elle nous doit, et ne l'oublie pas, ce qu'elle possède de prospérité et d'indépendance.

Le vicaire apostolique de Beyrouth est un person nage plus influent encore que le patriarche de Jérusalem, bien que son titre soit moins pompeux. Il y a trois ans encore le siège était occupé par un très bon Français, Mer Duval; il mourut, et nous devions souhaiter qu'il eût un successeur français. Mais notre gouvernement n'exprimait à ce sujet aucune préférence il ignore le Vatican! Mgr Giannini, Italien, remplaça Mer Duval. Peut-être, aujourd'hui même, serait-il possible de chercher un nouvel arrangement. Mer Giannini, peut-être, pourrait être promu au patriarcat de Jérusalem, et le siège de Mgr Duval nous être rendu. Mais nous ne voulons pas nous inquiéter de telles affaires. Nous conservons notre dignité muette! Nous ne parlerons pas.

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Ces exemples auxquels bien d'autres pourraient être joints montrent que si nous n'avons pas à craindre, pour nos privilèges séculaires, une dépossession solennelle et une transmission immédiate à des puissances rivales, nous pouvons du moins prévoir avec certitude, dans les conditions que nous avons créées nous-mêmes, le dépérissement progressif de notre protectorat d'Orient. Il n'est pas possible qu'il soit exercé utilement en l'absence de toute relation avec le Saint-Siège. Le fait pontifical, suivant le mot de Brunetière, est là devant nous, évident et tangible; et la mauvaise humeur de nos ministres ne changera rien à l'état présent du monde.

Agréez, Monsieur le Directeur, l'assurance de mes sentiments bien distingués et dévoués.

DENYS COCHIN.

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France. Le voyage du président de la République à Marseille. M. Fallières vient de faire son premier voyage présidentiel : il s'est rendu à Marseille, le 15 septembre, pour visiter l'Exposition coloniale. et est reparti le lendemain soir. A cette occasion, l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie avaient envoyé chacune un croiseur cuirassé dans notre port pour saluer le président de la République. Le soir de son arrivée, M. Fallières a offert, dans les salons de la Préfecture, un dîner officiel aux conseils général et municipal et aux officiers des escadres étrangères. Au dessert, le président a prononcé trois toasts en l'honneur des marines et des nations anglaise, italienne et espagnole.

Nous noterons, à ce propos, le soin qu'a pris le président de la République d'écarter toute apparence de manifestation politique de ces intéressantes démonstrations, afin de leur garder la simplicité de son échange courtois de témoignages d'amitié.

Allemagne. La mort du prince Albert de Prusse. La succession de Brunswick. Le prince Albert de Prusse, régent de Brunswick, est mort le 13 septembre. Il avait été nommé, en 1885, par l'Assemblée brunswickoise, régent du duché. Cette mort pose de nouveau la question de la succession du duché de Brunswick.

Le trône de Brunswick, en effet, est vacant depuis 1885. Le dernier duc régnant fut le duc Guillaume, qui avait succédé à son frère, le duc Karl, chassé de ses États en 1830 par son peuple insurgé.

A la mort du duc Guillaume, qui ne laissait pas d'héritier direct, la couronne revenait au chef de la ligne cadette de la maison de Brunswick, le duc Ernest-Auguste. Mais le duc Ernest-Auguste, fils du dernier roi détrôné de Hanovre, qui a pris le titre de duc de Cumberland, refusa une couronne qui l'aurait forcé à reconnaître la suzeraineté de l'empereur d'Allemagne, spoliateur de son père. Or les années écoulées n'ont pas atténué son intransigeance. Il s'est même toujours obstinément refusé à tout essai de conciliation, et la semaine dernière encore, il s'abstint d'assister aux noces d'or du grand-duc de Bade, oncle par alliance de sa fille aînée, pour ne pas se rencontrer avec l'empereur Guillaume. Son fils a clairement montré de son côté, en devenant officier autrichien, qu'il entendait maintenir absolument le non possumus formulé par son père. Or, la diète de Brunswick, convoquée pour désigner un nouveau régent, a adopté le 25 septembre, à l'unanimité et sans débats, une résolution dans laquelle il est déclaré que la prolongation d'une situation provisoire

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