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tative ou crime accompli, elle sera le sacrifice d'une partie de la pacotille.

Il dépend entièrement de l'Européen en voyage de toujours avoir un bon boy. Ce dernier sera toujours retenu sur la pente de ses vices, s'il a affaire à une autorité ferme, juste et sans familiarité; là est l'écueil pour beaucoup de voyageurs ne connaissant qu'imparfaitement le caractère des noirs; ils jugeront sans importance de rire de leurs grimaces, s'amuseront de leurs réparties plus ou moins drôles, allant même, quelquefois, jusqu'aux bourrades amicales. Leur fermeté devant fatalement, forcément s'affirmer, de temps à autre ne sera plus de mise et mal acceptée, s'ils se sont précédemment compromis par quelques familiarités de ce genre; elle sera du. meilleur effet, au contraire, si elle se manifeste justement et seulement dans les occasions en valant la peine.

La pacotille, dont j'ai parlé plus haut, au sujet du règlement des divers palabres soulevés par un boy mal dressé, est destinée à un tout autre usage; grâce à elle, on peut se procurer, dans les villages, les vivres dont ils disposent: poulets, œufs et fruits divers, quelquefois du lait, et, pour les porteurs, riz, manioc, ignames; elle sert aussi à rétribuer les menus services que l'on est, quelquefois, obligé de demander aux habitants et dont le principal, pour le voyageur sans matériel de campement, est, aux étapes, de se faire donner un abri. Dans tout le Sénégal, dans la plus grande partie de la Guinée française et du Soudan, la pacotille est devenue inutile; toutes les transactions s'y font maintenant, en espèces, pièces de 5 francs et monnaie divisionnaire. Il n'en est pas de même dans la plus grande partie de la Côte d'Ivoire. Celle que j'avais emportée, à l'occasion de ce petit voyage, faisait à peine la charge d'un porteur (la charge est 28 kilos). Elle se composait de 4 à 5 kilos de tabac en feuilles (de provenance américaine, ce tabac est importé dans nos colonies, vià Liverpool, Anvers ou Hambourg, une faible quantité l'est par nos ports); de quelques douzaines de pipes en terre (provenance allemande); d'autant de boîtes d'allumettes, dites Suédoises (provenance. allemande et anglaise); de cinq ou six bouteilles de gin (provenance allemande et hollandaise); de 3 ou 4 kilos de perles et verroteries (provenance allemande et autrichienne); de quelques douzaines de mouchoirs coton imprimé et de 40 à 50 mètres de tissus fortement coloriés (le tout de Manchester). Le tissu, d'une largeur de 80 centimètres à un mètre, que l'on déchire par pagnes, c'est-à-dire par morceaux d'une longueur de 2 à 2m50, est, avec le gin, réservé aux person

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nages importants, tels que rois, chefs de village et griots. J'ai indiqué la provenance des marchandises qui composaient ma pacotille; j'ajoute, en passant, que si j'exposais ici, la nomenclature de ceux qui remplissent les magasins des factoreries de toute la côte occidentale d'Afrique, la provenance française n'y figurerait pas dans la proportion de plus de 10 %.

Il semblera que le remède soit simple; il n'y a, dira-t-on, qu'à établir des droits protecteurs? S'ils étaient appliqués, on pourrait dire, avec juste raison, que le remède serait pire que le mal. Sauf le Sénégal, toutes nos colonies sont voisines de concurrents redoutables, Anglais, Allemands et Belges; les droits protecteurs détermineraient immédiatement l'exode général des produits facilement transportables, le caoutchouc, entre autres, chez ces concurrents. Qu'importe aux noirs huit ou quinze jours de marche de plus et même davantage, lorsqu'ils savent qu'ils trouveront, en tel pays, des marchandises à un prix inférieur, si peu que ce soit, que dans tel autre! Les frontières douanières, dans nos colonies, sont illusoires; de grands espaces sont et seront encore longtemps mal surveillés; pour un noir fraudeur, qui se ferait prendre, 100 passeraient. Le remède, pour nos colonies comme pour tous les pays où nous devrions exporter, est dans l'effort à faire par l'industrie et le commerce français. D'ailleurs l'accord francoanglais du 14 juin 1898, interdit, pendant trente ans, l'établissement de droits préférentiels.

J'ai dit que certaine partie de la pacotille était réservée aux rois, chefs et griots. Je veux dire ce que sont ces derniers. Le griot n'est autre chose qu'un bouffon: il tient, auprès des rois, très nombreux dans ces pays, et des chefs de village importants, le même emploi que celui de fou à la cour de nos rois, aux siècles passés. Si, en temps ordinaire, il passe à peu près inaperçu, il se rappelle bruyamment à tous à la moindre occasion; sorties du chef, visites aux ou à des chefs voisins, mariages, décès, naissances et fêtes diverses; la voix du griot domine tous les bruits. Une calebasse traversée d'un morceau de bambou, sur lequel sont tendues quelques cordes d'aloès, voilà sa guitare; il en gratte furieusement, mais les sons, plus ou moins harmonieux qu'il en tire, sont bien des fois couverts par le bruit infernal qu'il fait lui-même, en même temps qu'il exécute les plus effrénées gambades épileptiques qui se puissent concevoir. Il hurle les mérites de son maître, le plus grand roi ou le plus grand chef de la terre; ceux des nouveaux époux ou de celui qui vient de rendre l'âme; la beauté, la force et les brillantes destinées de l'enfant qui vient de naître.

Son endurance est extrême; plusieurs heures durant, sans un instant d'arrêt, sans que sa voix baisse de ton, il tiendra son rôle. Méprisé de tous, il est très craint; c'est à qui s'attirera ses bonnes grâces, car il passe pour jeter de terribles sorts. Cet emploi se transmet de père en fils.

Ma première étape terrestre, dans ce petit voyage, fut Lopou, où j'arrivai vers cinq heures de l'après-midi. Ce village est le plus important de ceux que j'ai vus à la Côte d'Ivoire. Les cases en bambous, rectangulaires, recouvertes de feuilles tressées de cet arbuste, n'y sont point disséminées sans ordre ainsi que dans la généralité des autres villages, mais groupées par rectangles à peu près égaux, bien empalissadés. Mon premier soin fut de dépêcher mon boy à la recherche d'une case. Mon entrée dans le village mit en fuite des bandes de négrillons, dont les cris avertirent d'un événement inusité; sauf quelques passages rapides d'hommes et femmes, traversant le sentier, je ne rencontre personne, mais, à travers les palissades, je me sens épié par tous les yeux. Le centre de tous les villages, dans ces contrées, est indiqué par une petite place généralement plantée de manguiers, dans certaines parties du Soudan et du Fouta-Djallon, d'orangers. A cette place viennent aboutir tous les sentiers qui sont les rues des centres habités, guère plus larges que ceux circulant dans la brousse. M'étant assis, à l'ombre des manguiers, j'attendis le retour de mon boy et le résultat de ses recherches. Il arriva bientôt, accompagné d'un noir de la maison du chef; la chose allait sans difficulté, pas de tirailleur ni miliciens, donc pas d'ennui d'aucune sorte à craindre avec moi. Sans beaucoup d'empressement, mais non plus sans trop mauvaise grâce, on mit à ma disposition deux cases, pour moi et mes porteurs; il faisait beau, quoique en fin de saison sèche, il n'y avait pas d'orage à craindre pendant la nuit, je ne m'inquiétai donc pas de constater que, de mon lit, je pourrais contempler les étoiles. Le traditionnel poulet étique, un peu de manioc, furent payés le double de leur valeur. La nuit se passa sans incidents et c'est très dispos que je quittai Lopou le lendemain, au point du jour, me dirigeant sur Bécédi, à environ 35 kilomètres de là.

Pendant environ 15 kilomètres, le sentier circule à travers le même paysage que la veille. A cette distance de Lopou, il entre brusquement en forêt. Quel contraste avec nos forêts d'Europe! Les plus denses d'entre elles ne peuvent donner la

moindre idée du fouillis inextricable qu'est la forêt équatoriale. A part quelques taillis, les éclaircies sont nombreuses, dans nos forêts; sous les hêtres et les chênes, il est possible de parcourir de longues distances en dehors des chemins et sentiers; la forêt équatoriale est impénétrable; les grands arbres, fromagers, baobabs, acajous et autres essences, émergent de la masse compacte d'une végétation dont l'intensité ne peut se décrire; lianes enchevêtrées, bambous, toute l'énorme variété de plantes et arbustes, se pressent et luttent pour percer et atteindre la lumière; les vaincus périssent étouffés et pourrissent, accumulant aux pieds des vainqueurs la couche d'humus qui les fera s'élever triomphants vers le ciel, où ils domineront cette lutte sans cesse renouvelée, jusqu'au jour où, vieillis et ébranlés par les orages, ils s'écrouleront écrasant tout ce qui les entoure, renversant souvent de plus gros qu'euxmêmes, touchés par le temps. Quelques semaines, à peine, suffiront pour qu'ils soient ensevelis sous la nouvelle végétation qui luttera alors pour prendre leur place; ils se décomposeront lentement, donnant la vie à leur tour.

Ce ne sont plus, dans cette forêt, les longues ondulations de terrain de la savane, mais des descentes et montées raides et brusques; le sentier, pierreux et raviné, est encombré de troncs d'arbres que les orages ont couchés; c'est, sur tout le parcours, une suite ininterrompue d'obstacles, dont un petit nombre seulement peut s'enjamber et qu'il faut escalader; pas de transport en hamac possible, dans ces conditions. Le soleil filtre à peine à travers le feuillage, pas un souffle d'air ne se fait sentir, la chaleur, lourde et humide, est écrasante; les porteurs eux-mêmes se taisent, abattus, les escalades continuent sans interruption, les haltes deviennent de plus en plus fréquentes et c'est à bout de forces que j'arrive à Bécédi, ayant mis plus de dix heures à accomplir un parcours que j'eusse mis sept heures à franchir en terrain ordinaire.

N. GENGHIS.

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