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Tous ces incidents, et d'autres aussi qui, bien que de moindre importance, sont cependant également regrettables, accusent encore davantage le lamentable état d'insécurité du Maroc que nous déplorions déjà il y a quinze jours. A ce sujet, le Temps a publié le 3 octobre, dans ses Propos diplomatiques, la note suivante :

Il s'est manifesté dans l'opinion publique, en France, en Angleterre, en Allemagne, quelque surprise de voir que l'on ne parlait guère des résultats pratiques de la conférence d'Algésiras. Nous avons, quant à nous, montré combien l'insécurité persistante, croissante même, qui règne dans les ports marocains, rendait nécessaire l'organisation de la police dont l'instruction a été confiée à la France et à l'Espagne.

Un fait, resté jusqu'ici, par suite de sa nature, absolument secret, vient fort à propos compléter ces explications.

Le corps diplomatique accrédité à Tanger n'a pas méconnu l'intérêt qu'il y avait à ce que l'acte d'Algésiras déjà signé par le sultan du Maroc ne restât pas lettre morte, bien que jusqu'ici trois puissances seulement aient été à même de le ratifier.

Il a donc, récemment, au cours d'une des séances qu'il tient, comme on sait, plusieurs fois par mois, adopté à l'unanimité la résolution sui

vante :

Bien que la ratification de l'Acte final d'Algésiras ne soit pas encore intervenue de la part de l'ensemble des puissances, le corps diplomatique est d'accord pour déclarer que tous ses membres, dans leurs rapports avec le Makhzen, devront se conformer aux principes posés par la conférence.

Notamment en matière de travaux publics et de concessions, il ne sera fait aucune dérogation à la règle de l'adjudication destinée à maintenir l'égalité de tous sur le terrain économique.

On ne peut qu'approuver cette décision qui confirme la bonne harmonie établie à Algésiras et rassurera ceux qu'inquiétait la mission à Fez des ministres d'Allemagne et des Etats-Unis.

- Ce qu'on dit à Fez. Sous ce titre, le Temps a publié, le 4 octobre, les très intéressants renseignements suivants :

Au lendemain de la conférence d'Algésiras, la satisfaction d'en avoir fini sinon avec la question marocaine, du moins avec les négociations internationales, a été telle qu'on a détourné les yeux du Maroc. On s'était trop occupé de ce pays pendant de longs mois; il semble qu'on ait voulu ne plus s'en occuper après. Les Marocains ont eu une façon éclatante de ramener l'attention. Les troubles de Tanger, de Mogador montraient assez que l'anarchie marocaine reprenait de plus belle.

Nous avons eu des nouvelles précises de Fez. Quelqu'un qui avait qualité pour nous renseigner nous disait ces jours derniers quelle était l'attitude du sultan et du Makhzen et ce qu'il fallait penser des récents désordres. « Sitôt après la conférence et avant même d'avoir reçu notification du « Protocole, le sultan ne cachait pas son mécontentement. Il se prétendait humilié. D'ailleurs El Mokhri, qui se méfiait de l'accueil qu'on lui réseravait, s'attardait à Tanger quand une lettre flatteuse le rappela. A peine arrivé, les compliments se changèrent en paroles amères; il fut sévère«ment critiqué. Quant aux vizirs, ils ne se montraient pas moins déçus « et irrités. Ils n'avaient qu'une pensée : il eût fallu, déclaraient-ils, se « servir de M. de Tattenbach pour obtenir des modifications et des atté

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<< nuations dans le programme français et finalement s'entendre avec la << France. De fait, les prédictions de M. Saint-René Taillandier se véri«fiaient, ce qui lui valait auprès du Makhzen une popularité rétrospec«tive. Mais bientôt un revirement s'est produit dans l'entourage du sultan. « Les incidents de la frontière algérienne, la remise en liberté de Bou« Amama avaient indisposé contre nous les vizirs. Ils soutenaient au sul«tan que la France s'intéressait à la cause du Prétendant, puisqu'elle « délivrait un lieutenant du Prétendant. Par contre, les réclamations dans « l'affaire Charbonnier ont été jugées, à Fez, naturelles.

« Ce qu'il est nécessaire de bien mettre en lumière, c'est l'attitude dif«férente du Makhzen vis-à-vis de la France, suivant qu'il s'agit de la « frontière Nord ou de la frontière Sud de l'Algérie. La première seule le • préoccupe, tandis que la seconde le laisse indifférent. L'occupation de « Malaska, par exemple, ne l'a pas autrement ému. Mais la curiosité du «Maghreb était vive de savoir comment la France allait organiser, selon « le droit qui lui a été reconnu, sa frontière algérienne septentrionale. « Peut-être même ne nous sommes-nous pas assez pressés de nous établir « solidement dans les régions sur lesquelles s'exercent, seules, notre a influence et notre action,

« Les désordres ne sont pas près de cesser au Maroc. La conférence a << sans doute réformé les bords de l'Empire chéritien; elle assainit et con« solide la périphérie. Mais il faudrait surtout fortifier le Makhzen. Celui« ci se trouve désarmé à l'intérieur. Il existera un foyer d'anarchie « entouré d'un cordon de police. Ajoutez que le trésor du Makhzen « — qu'Allah le remplisse - est complètement à sec.

« Une autre cause essentielle des troubles, c'est que la population maro<< caine aime l'anarchie et recherche les coups de main, les attaques. L'au<torité la pousse à la révolte. Sitôt au contraire qu'un caid est tué, l'ordre, « un ordre relatif, renait. Les affaires vont mieux.

« A peine une tribu se sait-elle riche, elle achète aussitôt des cartou«ches, des armes, des chevaux. Elle met son blé dans les silos et forme « des bandes pour aller piller. Aussi, lorsque le Makhzen apprend qu'une « tribu achète des chevaux, il se méfie et s'arme à son tour.

<«<Les troubles de Mogador s'expliquent facilement. Anflous est un chef « berbère plein de vanité. Bien avant la conférence d'Algésiras, il avait << établi sur certains points des péages (n'zala) que réclamaient des troupes << armées. Cet impôt sur les marchandises était régulièrement payé. Les « caravanes se soumettaient. De là la force grandissante d'Anflous. «En s'en prenant aux juifs, il n'a fait qu'obéir à une tradition maro«caine. Au moindre incident, on les force à se conformer à l'ancienne législation du pays: ils doivent ôter leurs babouches et se revêtir du « costume juif. Le sultan, il est vrai, protège les juifs, qui sont tenus de « se conformer à certaines règles de police demeurer dans un quartier « spécial, porter des vêtements de certaine couleur et ne pas monter des «< chevaux de selle. On leur permet les mules et les chevaux de bât. En « échange de leur soumission, les juifs jouissent de certains privilèges, << par exemple ils payent moins d'impôt que les musulmans. Le pacte qui «lie les juifs au sultan s'appelle dima; c'est pourquoi on nomme au Maroc « le juif demmi.

« Le mellah (ghetto), le quartier réservé aux israélites, étant protégé par « le sultan, devient ainsi un asile.

« A Fez, un juif ne voudrait pas habiter ailleurs. Mais dans les villes << de la côte, toutes les prescriptions anciennes sont regardées comme des «< mesures vexatoires, et les juifs ne s'y conforment pas. Ils ont pris des

<< habitudes nouvelles. C'est contre ces habitudes que les hommes d'An« flous se sont élevés et ont voulu ramener les juifs à l'observation stricte << de la législation ancienne. Ces bandits se sont montrés de farouches «< conservateurs, défenseurs de la loi. Il y a eu des excès, et Anflous n'a « pas osé blâmer ses hommes. Les lauriers d'Erraïssouli l'empêchent a sans doute de dormir.

« Quoi qu'il en soit, il est grand temps qu'on agisse au Maroc. Quand ◄ aurons-nous la police? Pas avant d'avoir constitué la banque, car il fau « d'abord payer les troupes. On espère qu'au printemps prochain la France « et l'Espagne commenceront à accomplir le mandat que les puissances << leur ont confié. »

Nous avons rapporté, sans y rien changer, les paroles de notre informateur autorisé.

Le docteur Rosen à Fez. Le docteur Rosen, ministre d'Allemagne, est entré à Fez le mardi 2 octobre, à deux heures, en grande pompe. Tous les officiers et diplomates étaient en grand uniforme.

Il convient de rappeler à cette occasion que, depuis son arrivée à Tanger, le docteur Rosen s'est visiblement appliqué à gagner la confiance du Makhzen par une attitude particulièrement bienveillante à l'égard des autorités indigènes. On en conclut qu'il s'occupera surtout, durant son voyage à Fez, de consolider chez le Makhzen le sentiment qu'il peut compter toujours sur l'appui de l'Allemagne.

Algérie. Dans l'extrême Sud. Une agitation croissante est signalée dans toute la région du Tafilalet. En raison de cette situation, le gouvernement général de l'Algérie vient de donner l'ordre de renforcer tous nos postes de l'extrême Sud de la frontière marocaine.

- Les caravanes de Tombouctou. A la suite d'un accord entre le gouvernement général de l'Algérie et la résidence de Tunis, Gabès vient d'être choisie comme point d'aboutissement des caravanes venant du Soudan. On ne cherchera pas à détourner celles qui se rendent en Tripolitaine par Rhat et Rhadamès, mais on préparera les voies à celles venant de Tombouctou et de l'Aïr.

Les populations soudanaises viennent d'être prévenues par des émissaires que les caravanes trouveraient non seulement le champ libre jusqu'à Gabès, mais encore du fret au retour dans cette place. De nombreux commerçants sont décidés, en effet, à échanger contre les marchandises sahariennes des draps et des étoffes, ainsi qu'un certain nombre d'objets d'alimentation.

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Congo français. La mission Congo-Cameroun. Une lettre du commandant Moll vient de parvenir au ministère des Colonies. Elle annonce que les travaux de la mission s'effectuent normalement et que tout le personnel est en bonne santé.

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Sénégal. La fièvre jaune. Le lieutenant-gouverneur du Sénégal vient de lever toutes les mesures d'observation concernant la zone de Dakar, Gorée et Rufisque. Les quelques cas de fièvre jaune qui

avaient éclaté à Dakar n'ont donc pas engendré une épidémie et ce fait est à retenir. Il l'est d'autant plus que c'est la seconde fois qu'on constate la fièvre jaune dans cette ville et qu'elle est arrêtée à son début.

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Egypte. Le panislamisme en Egypte. Le Journal des Débats a publié, le 8 octobre, la lettre suivante du Caire, que nous reproduisons intégralement à cause de son grand intérêt :

Le Caire, septembre 1906.

Cela devient une véritable obsession. Il n'est pas de jour où la presse européenne ne signale le danger que fait courir aux chrétiens en général et aux Européens en particulier le fanatisme musulman des Egyptiens; et ces articles de la presse européenne, commentés par les journaux égyptiens, approuvés par les uns, blâmés par les autres, font le tour de l'Egypte : ils suffiraient à y créer un mouvement panislamique, même si ce mouvement n'existait pas. Mais existe-t-il en réalité? Il est certain qu'il y a quelque chose de changé en Egypte, et que l'Egypte du nouveau siècle ne ressemble guère à celle de la fin du siècle dernier. Depuis quatorze ans, j'avais cessé de résider en Egypte; j'y suis revenu au printemps dernier; je ne l'ai point reconnue. Il y a quatorze ans, les Egyptiens vivaient tranquilles, heureux ou résignés sous l'égide d'un régime international qui leur assurait de bonnes finances en même temps qu'une justice impartiale, et dont les abus étaient tempérés par la rivalité de la France et de l'Angleterre. Les Egyptiens avaient trop de maîtres pour n'être pas libres, pour n'avoir pas du moins l'illusion de la liberté. Il y a quatorze ans, un haut fonctionnaire, que la France s'enorgueillissait à juste titre d'avoir mis au service de l'Egypte, pouvait me dire sans exagération : « Les Egyptiens, << monsieur, mais ce sont des agneaux. Ils sont prévenants et soumis. « Voyez-les dans la rue; ils s'écartent pour vous laisser passer, et, s'ils ne « se découvrent pas devant les Européens, c'est que la loi du Prophète a « vissé le tarbouche sur leurs chefs! » Le haut fonctionnaire ne tiendrait pas aujourd'hui ce langage. Les agneaux ne sont pas encore des tigres, mais déjà ils deviennent des loups. Les campagnes, autrefois si tranquilles et si accueillantes, où les fellahs travaillaient péniblement mais sans murmure, surveillés par des Européens, ont cessé d'être hospitalières, et lès récents événements de Denchawi témoignent que même l'uniforme de l'armée britannique ne protège pas les chasseurs de pigeons contre l'exaltation des indigènes. Les rues du Caire, dont la sécurité était proverbiale, ne sont plus sùres; elles sont mal surveillées par une police indigène, à qui on a plus d'une fois adressé le reproche justifié de n'être vigilante que contre les Européens. Partout en Egypte règne une incontestable effervescence; je l'ai constaté dans les milieux sociaux les plus divers; j'ai interrogé des fellahs, des commerçants notables, des ulémas, voire des fonctionnaires : chez tous, l'état d'âme est le même, et, pour traduire cet état d'âme, je ne trouve que ces deux mots : mécontentement et espérance. La jeunesse des écoles elle-même n'échappe pas à l'effervescence générale au mois de février dernier, une grève d'écoliers, qui émettaient la prétention de dicter à leurs maîtres les conditions et programmes de l'enseignement, a mis en émoi tout le personnel anglais du ministère de l'Instruction publique. Quant à l'armée égyptienne, bien que tous les officiers supérieurs soient des Anglais, il y a beau temps qu'elle a cessé de donner des preuves de loyalisme, et ce n'est pas révéler un secret que de

dire ici ce que personne n'ignore en Egypte, à savoir que, au plus fort de l'incident de Tabah, l'autorité anglaise a pris la salutaire précaution de désarmer officiers et soldats égyptiens.

D'où vient cette étonnante transformation d'un peuple qui passait, à juste titre, pour être le plus doux de la terre? Pourquoi les agneaux sontils devenus des loups? La faute est généralement rejetée sur le parti national égyptien. De ce parti national on a beaucoup médit, on n'a pas fait l'histoire vraie. C'est l'histoire vraie du parti national égyptien qu'il faut cependant connaître, si l'on veut comprendre l'évolution récente de la mentalité égyptienne, la nature du mouvement actuel et pourquoi ce mouvement, qui était à l'origine exclusivement anglophobe et politique, tend à devenir xénophobe et religieux.

Le parti national a été fondé, il y a douze ans environ, par un groupe de jeunes Egyptiens, dont le plus âgé, Moustafa Kamel, n'avait pas vingt ans; il a été fondé pour faire échec à l'Angleterre en Egypte. Son unique programme était l'évacuation de l'Egypte par les troupes anglaises et sa devise : « L'Egypte aux Egyptiens. » Par son origine comme par son programme, le parti national était donc, non un parti religieux, mais un parti politique la gloire de l'Islam lui importait moins que l'indépendance de l'Egypte. Ses moyens d'action furent aussi, au début, exclusivement politiques. De toutes les puissances européennes, la France était la seule qui luttât contre l'Angleterre en Egypte et qui demandât l'évacuation. C'est sur la France que le parti national s'appuya tout naturellement; sa politique, pendant les premières années qui suivirent sa fondation, fut une politique d'intime union avec la France. Cette politique, du reste, agréait d'autant plus aux chefs du parti que la plupart d'entre eux professaient pour notre pays une admiration très sincère. Elevés en France ou dans des écoles françaises, ils avaient appris que la France était par tradition la libératrice des peuples opprimés, et, comme ils avaient les illusions de la jeunesse, ils ignoraient que bien souvent les mots n'expriment pas des réalités et que, dans l'histoire des nations, le passé ne répond pas toujours de l'avenir. Il faut dire aussi que ces illusions étaient entretenues par les encouragements, parfois inopportuns, du groupe colonial de notre Parlement. N'est-ce pas l'un des principaux représentants de ce groupe qui, reçu le jour même de son débarquement à Alexandrie par les chefs du parti national, leur annonça en termes d'une éloquence enflammée que « le vent << venait de « Toulon »? Hélas! le vent ne venait pas de Toulon... il vint de Fachoda. Fachoda marque le terme de la politique française du parti national. A la politique française, décidément inoperante, Moustafa Kamel, devenu le chef et l'orateur populaire du parti, substitue une politique nouvelle, qui vise le même but par des moyens différents; et ces moyens, contradictoires en apparence seulement, sont : l'internationalisation judiciaire de l'Egypte et l'exaltation de la religion musulmane, Moustafa Kamel demande l'internationalisation de l'Egypte, c'est-à-dire, pratiquement, l'extension de la juridiction des tribunaux mixtes, parce qu'il pense que tout ce qui en Egypte est donné à l'Europe est enlevé à l'Angleterre. Il exalte la religion musulmane, parce qu'il croit que la religion musulmane est la seule force capable de réveiller les énergies du peuple égyptien, de donner à ce peuple la pleine conscience de ses droits, de réaliser du haut en bas de l'échelle sociale l'union qui rend invincible. L'idée musulmane apparait ainsi, mais ce n'est pas encore l'idée panislamique; Moustafa Kamel ne regarde pas au delà de l'Egypte, il rêve de grouper toutes les énergies musulmanes d'Egypte autour du Khédive, et, donc, il reste fidèle à sa devise: « L'Egypte aux Egyptiens. » Malheureuse

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