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ment, dans la manifestation de sa politique nouvelle, Moustafa Kamel ne sut pas toujours ménager ses anciens amis. Quelques articles publiés sous sa signature dans le journal Al Lewa, où notre enseignement congréganiste d'Egypte était très imprudemment et très injustement pris à partie, le firent accuser de fanatisme et, si vous n'étiez pas habitués aux contradictions humaines, vous vous étonneriez sans doute que ce reproche de fanatisme lui ait été adressé par ceux-là mêmes - Français résidant en Egypte qui, deux ou trois ans plus tard, devaient, au nom de l'idée laïque, essayer de détruire ce même enseignement. A cette accusation, Moustafa Kayel répondit en reproduisant in extenso dans son journal le discours que Waldeck-Rousseau venait de prononcer au Parlement français sur le danger « des deux jeunesses ». La réponse était au moins spirituelle. Je dois ajouter d'ailleurs que, contre le reproche de fanatisme, Moustafa Kamel n'a jamais cessé de protester, soit dans ses discours, soit dans ses écrits.

Fachoda avait détaché le parti national de la France : l'accord francoanglais le détacha de l'Europe. Abandonné par la France, le parti national avait compté sur l'Europe, et voici que l'Europe, en souscrivant à l'accord franco-anglais, se récusait. En d'aussi tristes conjonctures, que vouliezvous que fit le parti national, puisqu'il ne voulait pas mourir? Il ne pouvait pas se dissimuler que, pour résister à l'ambition britannique, il fallait au khėdivat un appui extérieur. Cet appui extérieur, que la France et l'Europe avaient successivement refusé, le parti national est allé le chercher en Turquie. L'occasion lui sembla d'autant plus favorable que derrière la Turquie apparaissait l'Allemagne et qu'il pouvait raisonnablement espérer que la mauvaise humeur de Guillaume II contre l'Angleterre n'avait d'égale que son amitié pour le Sultan. Du côté de l'Allemagne, on sait que le parti national ne trouva que déceptions. Du côté de la Turquie, il devait être plus heureux; il a trouvé là des encouragements précieux et très naturels, car le Sultan ne pouvait pas ne pas se ressouvenir que l'Egypte n'est après tout, aux termes formels des firmans, qu'un vilayet privilégié de l'Empire Ottoman; il ne pouvait pas ne pas se ressouvenir qu'il est le khalife des musulmans et que les Egyptiens sont des musulmans. Ainsi la force des événements a obligé le parti national à modifier une fois de plus sa politique, ou mieux, elle a fait évoluer cette politique dans un sens absolument religieux. La politique du parti national a cessé d'être française ou européenne; elle est devenue islamique ou xénophobe, car, en persuadant aux musulmans d'Egypte qu'ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes, elle les met en défiance contre tous les Européens. Estelle panislamique? Oui, si par là on veut dire que, en exaltant la foi musulmane et en faisant appel aux sentiments de fidélité que tout musulman doit au khalife de l'Islam, elle risque de répandre son action hors des frontières de 1 Egypte, sur tout le monde musulman. En un certain sens cependant elle ne l'est pas; le parti national, en effet, a la prétention de rester fidèle à sa devise: « L'Egypte aux Egyptiens »; et s'il entend resserrer le lien religieux qui unit le khédive au khalife, il entend non moins expressément repousser toute ingérence administrative de la Turquie en Egypte. Entre cette prétention et les moyens mis en œuvre, n'y a-t il pas contradiction? Je me contenterai de poser la question au parti national. A l'évolution que je viens de constater dans la politique du parti nationa. a correspondu une évolution analogue dans la mentalité du peuple égyptienl S'il est vrai de dire, comme on le dit quelquefois, que le succès d'un parti est en raison directe de la connaissance que ce parti a su prendre des besoins et des aspirations du pays, on peut aflirmer que le parti national a

merveilleusement connu l'Egypte. Son succès, en effet, a été immense, et, à l'heure qu'il est, on compterait les Egyptiens qui, directement ou indirectement, ne sont pas affiliés au parti national. A ce point de vue, l'incident de Tabah a été une révélation qui a dessillé les yeux des moins clairvoyants. Dans cet incident, où l'Angleterre défendait les prétentions de l'Egypte, il semblait que les Egyptiens devaient faire cause commune avec les Anglais on sait ce qui a failli advenir et que, de l'aveu même des Anglais, le débarquement à Suez d'un régiment turc eût été le signal d'une imposante manifestation de loyalisme de toute l'Egypte... envers la Turquie en sorte que l'incident de Tabah, bien qu'il ait été réglé à la satisfaction de l'Angleterre, n'a servi qu'à révéler l'impopularité des Anglais en Egypte. Et c'est même là l'un des problèmes les plus curieux de l'histoire contemporaine. Comment, après un quart de siècle d'une occupation civile et militaire, malgré les services rendus, le peuple égyptien, qui a supporté tous les jougs, manifeste-t-il si violemment le désir de secouer le joug, relativement très doux, de l'Angleterre? Pourquoi cette aversion des Egyptiens pour les Anglais, à ce point vivace qu'elle rejaillit maintenant sur tous les Européens?

La véritable cause de ce phénomène historique, c'est l'incompatibilité profonde, absolue, qu'il est facile de découvrir entre le caractère anglais et le caractère égyptien. Les Egyptiens sont soumis et prévenants sans doute, mais à la condition qu'on ménage leur amour-propre. La morgue britannique n'a jamais su ménager l'amour-propre égyptien. A peine. installés en Egypte, les Anglais se sont comportés comme en pays conquis, écrasant les Egyptiens de leur supériorité physique et intellectuelle, ne leur laissant que les emplois subalternes, ne les admettant ni à leur table, ni à leurs clubs, ni à leurs jeux. A la réception que lord Cromer a donnée en l'honneur du prince de Galles, il n'y avait pas dix indigènes. Demandez aux élèves et même aux professeurs des écoles supérieures avec quelle désinvolture les traite l'ancien instituteur anglais qu'une toutepuissante protection a placé à la tête du ministère égyptien de l'instruction publique. Et, dans un autre ordre d'idées, n'est-ce pas un haut fonctionnaire britannique qui, dans une conversation mondaine, disait, en parlant du plus aristocratique quartier de la ville du Caire : « Ce quartier « devrait nous être réservé; il devrait être défendu aux étrangers d'y habi«<ter? » Les étrangers, dans l'espèce, c'étaient les indigènes. Tout cela, à coup sûr, n'est pas bien grave; mais souvent les plus petites causes produisent les plus grands effets, et tout cela a creusé entre Anglais et Egyptiens un fossé, rendu plus profond encore par l'interprétation que le gouvernement britannique a donnée à l'accord franco-anglais. Cet accord est très clair, au moins dans son texte : il assure à l'Angleterre la prépondérance en Egypte, mais il maintient expressément et la suzeraineté de la Porte et le concert européen. Les Anglais l'ont interprété comme s'il sonnait le glas des droits de la Turquie et des droits de l'Europe. La hâte avec laquelle ils ont proposé aux puissances la suppression de l'internationalisation législative est très significative à cet égard. Les Egyptiens ont beaucoup d'Européens, d'ailleurs, ont partagé cette croyance que l'Angleterre préparait l'annexion de l'Egypte et que cette annexion n'était plus l'affaire que de quelques mois; et, par peur de l'Angleterre, ils se sont jetés dans les bras de la Turquie. La crainte de l'annexion a été ainsi le commencement du mouvement panislamique.

cru

Est-il possible d'enrayer ce mouvement? Peut-être, mais à la condition cependant d'employer les moyens convenables. On a parlé d'annexion. Mieux vaudrait l'évacuation! car l'annexion provoquerait en Egypte un

soulèvement général, où tous les Européens perdraient leurs biens et où beaucoup perdraient leur vie. On a renforcé les garnisons britanniques; on a réprimé avec une excessive sévérité la rébellion de Denchawi : ces mesures n'ont fait qu'exaspérer les populations égyptiennes, au lieu de les calmer. Ce n'est pas par la menacc; c'est par la persuasion et par la douceur qu'on ramènera les Egyptiens. Il faut les traiter en amis et non en serviteurs; il faut savoir rendre justice à leurs très grandes et très réelles qualités; il faut surtout les rassurer sur l'avenir politique de leur pays, en restaurant l'autorité khédiviale, en leur montrant que, s'ils sont obligés de subir certaines nécessités occidentales, ces nécessités s'arrêtent là où commencerait l'absorption de l'Egypte par une seule puissance, cette puissance fût-elle la plus digne.

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L'intervention américaine à Cuba.

Cuba. Comme nous l'annoncions il y a quinze jours, M. Taft, ayant définitivement échoué dans sa tâche conciliatrice et ne pouvant faire revenir le président Palma sur sa résolution de démissionner, a institué le 29 septembre à Cuba, au nom des Etats-Unis, un gouvernement provisoire dont il s'est déclaré le chef. Dans sa proclamation au peuple cubain, M. Taft annonçait que le gouvernement provisoire n'était formé que pour parer aux nécessités de la situation et promettait que, maintenu seulement pour rétablir l'ordre et la confiance publique, il ne durerait que jusqu'à l'établissement d'un gouvernement permanent; il ajoutait que le drapeau cubain continuerait à être respecté et ne serait pas amené.

D'ailleurs, il faut reconnaître que l'intervention actuelle des EtatsUnis ne modifie pas sensiblement la situation de fait. Depuis la guerre hispano-américaine, Cuba est restée virtuellement sous la domination des Etats-Unis. La lettre du président Roosevelt à M. Quesada le déclarait assez explicitement. Si les Etats-Unis n'ont pas encore annexé l'île cubaine, c'est, parce que des raisons toutes spéciales rendent actuellement difficile et inopportune cette annexion, au point de vue américain même. Mais, annexée ou non, Cuba fait depuis longtemps déjà partie de l'empire américain.

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Birmanie. Les communications avec le Yunnan. La Birmanie a songé à améliorer ses moyens de communication avec le Yunnan; mais ils sont encore bien médiocres et il ne paraît pas qu'on puisse de sitôt les perfectionner. D'après un rapport de M. Dautremer, notre consul à Rangoun, les caravanes qui suivent les routes de Teng-yueh, Yong-tchang et Teng-yueh-Bhamo, emploient environ 7.000 à 8.000 mules. Le coût de la tonne par kilomètre revient à peu près à 2 fr. 50 et il est bien entendu qu'il faut pour supporter ce fret des marchandises qui rapportent, et de plus des marchandises qui ne se détériorent pas. La saison des pluies met un terme à toutes les transactions et elle dure six mois. De plus, la principale marchandise exportée du Yunnan est l'opium. Mais l'importation de ce produit en Birmanie est interdite par un traité anglo-chinois et, depuis 1904, les autorités chinoises ont mis de telles taxes sur l'opium du Yunnan entrant dans les provinces de Kouang-tong, Kouang-si et autres provinces adjacentes, que l'opium du Yunnan y coûte plus cher que l'opium de l'Inde. Le Bulletin du Comité de l'Asie Française, qui reproduit ce rapport, se félicite de l'innovation qui lui permet cette publication. Il a été décidé, en effet, au ministère des Affaires étrangères, qu'à l'avenir ceux des rapports des consuls français qui peuvent sans inconvénient être livrés à la publicité seraient mis à la disposition des publications spéciales. Depuis longtemps, en Angleterre et en Allemagne, les rapports du service diplomatique et consulaire sont largement portés à la connaissance du public. M. Léon Bourgeois a décidé qu'on imiterait l'Allemagne et l'Angleterre, et c'est une excellente décision.

Etablissements français dans l'Inde. Le commerce en 1905. L'Office Colonial vient d'arrêter comme suit les chiffres du commerce général des Etablissements français dans l'Inde en 1905. Le commerce total (importation et exportation réunies de marchandises de toutes sortes) s'est élevé à une somme totale de 33.542.204 francs. C'est une diminution de 2.630.236 francs sur l'année précédente et une augmentation de 8.684.224 francs sur la moyenne quinquennale antérieure à 1904.

A l'importation, les valeurs ont atteint le chiffre de 6.356.207 fr. Elles ont été supérieures de 718.261 francs à celles de l'année précédente et de 1.072.333 francs à la moyenne quinquennale.

Les exportations ont atteint le chiffre de 27.185.997 francs en diminution de 3.343.507 francs sur l'année précédente et en augmentation de 7.611.891 francs sur la moyenne quinquennale.

La part de la France dans ce mouvement commercial a été de 14.033.365 francs dont 664.739 francs à l'importation, et 13.368.626 francs à l'exportation, représentant 29,8 % du commerce total,

10,4 % des marchandises importées, et 49,1 % des marchandises exportées.

Le commerce avec les autres colonies françaises représente 2.211.724 francs dont 19.736 francs pour l'importation et 2.191.988 francs pour l'exportation, soit 4,2 % du commerce total, 0,3 % de l'importation et 8,2 % de l'exportation.

Les échanges avec les pays étrangers se sont élevés à 17.297.115 francs dont 5.671.732 francs à l'importation et 11.625,383 francs à l'exportation, soit 66 % du commerce total, 89,3 % de l'importation et 42,7% de l'exportation.

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II. AFRIQUE.

Maroc. Le commerce du port de Tanger en 1905. D'après le rapport du consul anglais à Tanger, le commerce total de cette ville s'est élevé à 21.583.825 francs, en augmentation de 3.044.000 francs sur le total de l'année 1905. L'accroissement a atteint 23 %, dont 4 % pour les exportations.

Les importations qui sont entrées en première ligne comprennent des céréales, du coton manufacturé, du ciment, des briques et des tuiles, des vins et des spiritueux.

Les céréales ont été importées en grande quantité, parce que la récolte de 1904 ayant été particulièrement mauvaise, les besoins du pays nécessitaient l'entrée de céréales étrangères. Le coton manufacturé, par suite du peu de sûreté qu'avaient les caravanes à Tanger et Fez, entrait par Larrache. Il en venait très peu sur le marché de Fez. Les routes ayant été plus sûres en 1905, la quantité de coton transportée par caravanes a été considérable. De nombreuses

maisons ont été bâties et ont nécessité l'emploi de ciment, tuiles et briques. Cet emploi va devenir plus étendu par suite de l'autorisation donnée aux étrangers d'acquérir au Maroc des terres, en vertu du protocole d'Algésiras. L'importation des vins et spiritueux s'est augmentée en proportion de l'accroissement de la population européenne, celle de la soie a diminué en raison de la pauvreté des indigènes.

Dans les exportations, l'augmentation, en 1905, s'est fait sentir plutôt sur la valeur des objets exportés que sur leur quantité.

L'exportation dans le district de Tanger comprend surtout des produits agricoles. Ces produits agricoles sont tributaires d'une certaine quantité de pluie, quantité qui a été des plus insuffisantes dans la seconde moitié de 1905 et qui a nécessité à l'exportation une taxation plus élevée des produits agricoles.

Le commerce anglais, à l'exportation, ne vient pas en première ligne avec liv. st. 89.316. Il est dépassé par le commerce espagnol avec liv. st. 112.266. Mais il dépasse le commerce français (liv. st. 81.369) et le commerce allemand (liv. st. 7.248).

A l'importation, le commerce français tient la tête avec liv. st. 189.079. Le commerce anglais atteint liv. st. 167.660, dépassant le commerce espagnol (liv. st. 42.490) et le commerce allemand (liv. st. 45.675).

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