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sances dans le pays voisin de l'Algérie. L'évidence de ce fait a certainement beaucoup facilité la tâche des diplomaties qui secondaient la nôtre. Mais ce voisinage algérien, cette grande force de notre politique au Maroc, il faut l'organiser, lui faire jouer dans l'ensemble le rôle qui lui revient. C'est ce qui n'a pas encore été fait jusqu'ici.

Nous ne critiquons certes pas la politique suivie à la frontière même. Les accords franco-marocains de 1901-1902, qui ne furent pas bien appliqués dans les premiers temps, lui ont donné une base rationnelle. Notre organisation militaire en face des territoires marocains s'est peu à peu adaptée aux nécessités particulières de la situation sous la direction du général Lyautey. Nous sommes sortis de la période des petits postes, des reconnaissances trop faibles, des lourds convois insuffisamment escortés qui encourageaient des coups de main créant des incidents, envenimant la situation. Aujourd'hui, quand nous avons à faire rendre leur dû à nos tribus, nous agissons avec des forces telles qu'elles découragent les tentatives ennemies qui nous obligeraient à nous avancer beaucoup en entrant dans la voie des représailles. Mais cet organisme maintenant adapté à son but ne semble pas avoir été mis en relations suffisantes avec l'ensemble de notre politique marocaine. Il est évident que son action doit être subordonnée à cette dernière. Tantôt, à la frontière, il n'y a à poursuivre qu'une œuvre de police locale, dont les traditions et les limites commencent à s'établir nettement. Tantôt, au contraire, on peut y être appelé à une action destinée à fortifier celle que nous exerçons dans l'ensemble du Maroc. Mais il est évident que seule notre diplomatie peut être juge de ces deux alternatives. Pour cela il est nécessaire qu'elle connaisse la situation à la frontière, et aussi qu'elle fasse connaître à la frontière la situation générale.

En théorie, les organes centraux, à Paris, devraient faire ce travail d'information et de concentration. Ils y prétendent d'ordinaire jalousement, mais ils ne font presque toujours qu'y prétendre. On sait que nous avons presque autant de peine à faire collaborer les divers départements administratifs à une politique qu'à concevoir cette politique. Pour y remédier, du moins en ce qui concerne nos intérêts marocains, il n'y a pas de meilleur moyen que d'établir des rapports directs entre l'Algérie, et même les autorités de la frontière, et la légation de Tanger.

Nous ne demandons là que l'analogue de ce que font en grand les Anglais lorsqu'une de leurs œuvres diplomatiques est étroitement liée à l'action d'une de leurs grandes dépen

dances. C'est l'autorité anglo-indienne qui fait la diplomatie britannique dans toute l'Asie méridionale, non seulement à Mascate et en Afghanistan, mais encore, dans une large mesure, au Siam et en Perse. De même les Anglo-Egyptiens mènent, nous nous en sommes aperçus à nos dépens jusqu'à la signature du récent accord éthiopien, la politique britannique en Ethiopie. Il semble difficile, avec la rigidité de nos conceptions administratives, de créer dans l'Afrique du Nord ce grand organisme politique qui gouvernerait ici, protégerait là, négocierait et presserait ailleurs. Mais ce que les règlements n'établissent pas sur une large échelle, l'usage doit le réaliser dans une certaine mesure. Nous ne pouvons continuer à avoir des rouages isolés, sans aucun lien les uns avec les autres, dans la politique marocaine délicate, mais active, qui s'impose à nous au moment où s'ouvre une nouvelle période pour la question du Maroc.

Nous parlons un peu plus haut de l'organisation de la politique anglaise en Ethiopie. Elle nous donne encore d'autres exemples. Ses directeurs ont parfaitement compris que, surtout dans de tels pays, un des plus grands moyens d'action politique est l'argent. Et sous couleur de droits qu'il a aliénés à ses voisins du Nil, le Négus est largement pensionné par les Anglo-Egyptiens. Ceci nous amène à dénoncer encore une fois l'incroyable insuffisance de notre budget de la« pénétration pacifique ». Il a semblé, jusqu'ici, aussi incapable de se monter à une somme convenable que de s'employer utilement.

Par hasard, en 1904, il s'est trouvé, en raison de la date tardive à laquelle il était voté, fixé à 310.000 francs, au lieu des 600.000 francs prévus à l'origine. En 1905, bien qu'on eût tout le temps voulu, on a respecté comme un indiscutable précédent ce total d'une insuffisance si patente. Il est absolument nécessaire que l'on fasse mieux pour 1907: malgré les difficultés budgétaires, on peut encore trouver une somme convenable pour les nombreuses nécessités du plus grand intérêt extérieur que nous ayons à sauvegarder hors d'Europe. Là comme ailleurs l'argent semé au moment opportun est une cause d'économies.

Mais le point capital, celui qui résume tous les autres, c'est que l'on ne perde pas de vue la question marocaine, qu'elle inspire la résolution nécessaire à une opinion bien pénétrée de son grand intérêt. Il ne faut pas croire qu'en oubliant le problème marocain nous nous ferons oublier par lui. Il peut s'imposer demain aux gens les plus partisans du « Pas d'affaires >>. La situation précaire du Makhzen risque, à chaque instant, de provoquer une crise. Nous savons que les anciens impôts coraniques ne rentrent plus et que le tertib, l'impôt de la réforme,

n'a jamais pu être perçu. Le Makhzen en est réduit à des expédients pour se procurer les ressources nécessaires même à sa vie la plus strictement limitée et la plus rudimentaire. Déjà on annonce qu'il conteste des chèques émis en paiement par les autorités chérifiennes d'Oudjda, et dont une bonne partie sont entre les mains des commerçants français de l'Oranie. Du jour au lendemain, cet état de choses peut faire surgir de très graves difficultés pour lesquelles notre gouvernement ne se trouvera armé que si l'opinion se fait chez nous, en ce qui concerne la question marocaine. C'est assez dire que cette dernière n'est pas pour longtemps hors de cause parce que le sultan, en signant l'Acte général d'Algésiras, a fermé la période directement ouverte par l'entrée de Guillaume II à Tanger.

ROBERT DE CAIX.

AFRIQUE OCCIDENTALE

L'établissement de voies de communication, qui dans tout pays est d'une importance capitale, est particulièrement urgent en Afrique. L'énorme continent, qui a tour à tour attiré les peuples colonisateurs de l'Europe, résiste à la pénétration de toute la force de son relief et de son immensité. D'autres régions ou neuves, comme l'Amérique, ou récemment ouvertes aux exploitations européennes, comme la Chine, offrent à la colonisation et au commerce des rivières largement accessibles à la navigation ; l'Afrique n'a pas de voies d'eau comparables au Mississipi, à l'Amazone, au Hoang-ho, au Yang-tsé. Sans doute d'immenses fleuves mènent des Grands Lacs vers la Méditerranée, l'Atlantique et l'Océan Indien; des rivières imposantes coulent des hauteurs du Soudan vers l'Atlantique et le golfe de Guinée. Il y a mieux par les Grands Lacs le Congo est en rapport avec le Nil; Cameron a signalé des communications entre le Haut-Zambèze et le Cassaï; Barth et le commandant Lenfant en ont constaté entre la Bénoué et le Logone. Il y en a peut-être parfois entre le Haut-Chari et l'Oubangui. Mais la structure géographique de l'Afrique rend par malheur ces voies d'eau partiellement inutilisables. L'Afrique est un immense plateau de roches dures, archéennes et primaires, qui sur toute la périphérie tombe par des pentes raides vers l'Océan. Les fleuves ne s'acheminent pas vers la mer suivant un cours régulier et lent. La descente s'opère par des passages brusques d'un niveau à l'autre, par des rapides, cataractes ou chutes. Les rivières, de plus, n'offrent pas à la navigation de beaux estuaires; celles qui, par exception, possèdent des estuaires profonds et sûrs, ne sont que des fleuves côtiers (Gambie, Gabon 1). Si l'on ajoute que les côtes africaines, peu découpées, n'abritent que rarement de bonnes rades, qu'elles sont en général dangereuses ou malsaines, on concevra que les fleuves ne constituent pas de sûres, ni de suffisantes voies d'accès vers l'intérieur. Ils offrent seulement, entre leurs rapides, des biefs que la navigation peut utiliser.

La nécessité s'est imposée de bonne heure de chercher dans d'autres moyens de communication ou de transport une com

1 Le Congo fait exception: il a à la fois un large estuaire et un cours immerse (4.700 kilomètres). Mais, à 250 kilomètres de la côte, en arrière de son estuaire, il est barré par d'infranchissables rapides.

pensation à ces défauts. Le recours aux bêtes de somme ou le transport à dos d'homme ont été, sont encore partiellement pratiqués. On s'accorde depuis longtemps à reconnaître leur insuffisance. Aussi bien l'un et l'autre système se heurtent à cette difficulté grave: les routes, les chemins tracés manquent. Les voies, que suivent les caravanes, sont des pistes étroites, inégales, rocailleuses, parfois inondées. Sous les tropiques l'exubérance de la végétation est telle que ces passages, créés péniblement à coups de serpes et de haches, se maintiennent libres difficilement. Du reste, se livrât-on chaque année à un entretien onéreux, les pluies abondantes ravinent si fortement tous les terrains, que les routes courraient risque d'être souvent détruites. Si elles sont légèrement construites, quelques jours de pluie suffisent à les transformer en fondrières. Il leur faut une infrastructure solide et celle-ci est coûteuse à établir. Il y a au Dahomey, dans l'Afrique australe et orientale, des espaces immenses où l'on ne trouverait pas un seul des cailloux nécessaires à ces travaux.

A quoi bon d'ailleurs des routes dans des pays où les bêtes de trait sont rares et vivent mal? Pourquoi imposer aux pays neufs, qui naissent à la civilisation, la série des transformations dans les moyens de transport qui ont bouleversé l'Europe? La rapidité dans les échanges et la concentration des marchandises dans des véhicules de plus en plus vastes, remorqués par des tracteurs de plus en plus puissants, sont devenus des éléments indispensables de la prospérité du commerce.

Les chemins de fer seuls peuvent remédier à la lenteur et au morcellement, presque à l'émiettement des transports par voitures ou caravanes. L'expérience a prouvé que, si élevés que soient leurs frais de construction, leur usage est économique et leur exploitation presque toujours rémunératrice. Statistiques en main, M. Shelford a calculé que dès que les premiers tronçons d'une ligne sont ouverts au commerce, ils rapportent en général de quoi couvrir les frais d'exploitation. Il a même observé que plus la ligne pénètre au cœur du pays, plus les bénéfices deviennent considérables. Il a trouvé cette formule que les bénéfices croissent proportionnellement au carré de la profondeur de la région exploitée.

Faut-il ajouter que la mise en valeur du sol n'est pas seule facilitée par l'établissement des voies ferrées? Dans les contrées récemment conquises, leur création indique aux indigènes l'intention arrêtée des nouveaux maîtres de s'installer à demeure; partout les noirs s'intéressent à la construction et participent les premiers à l'amélioration de la vie pratique, au développe

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