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<«<mum, en partie épuisé par un excès de production anté«rieure, ou à purger des broussailles et des plantes parasites « que la charrue arabe respectait, mais qui eussent cassé, brisé «<les charrues perfectionnées des Européens... Les colons ont a donc conquis les champs qu'ils fécondent, non sur les meil<«<leures terres des indigènes, mais sur des espaces abandonnés « par eux... Entre les mains des colons, ces terres sont deve<«<nues les meilleures du pays, c'est vrai; mais ce résultat a << été acquis par le travail persévérant et opiniâtre du pionnier « de la colonisation, de l'ouvrier européen. »>

En établissant des colons sur ces terres d'avenir, Bugeaud savait parfaitement ce qu'il faisait il attachait indissolublement à ses nouveaux champs l'agriculteur immigré; il lui faisait aimer d'un amour profond les glèbes qu'il avait arrosées de ses sueurs, conquises sur les régions incultes non seulement à prix d'argent, mais aussi au prix de son travail et même souvent de sa santé; il faisait des points colonisés de l'Algérie autant de véritables prolongements de la France d'Europe, et il préparait la conquête complète du pays. Que venaiton lui parler d'établir des colons, « en grand nombre, mais « avec une prudence prévoyante, sur des points choisis du lit<< toral »? d'une « colonisation sagement limitée1»? Dès 1842, Bugeaud se refusait hautement à admettre qu'il fût possible, << en présence de l'hostilité arabe, de circonscrire d'une manière quelconque une portion de l'Algérie pour en faire une sorte d'ile française, dans laquelle se fonderait la colonisation à « l'abri des injures de l'ennemi. Outre qu'un pareil système ne << pourrait être que mesquin et peu honorable pour une grande << nation, je ne connais, déclarait-il, rien au monde de plus dif«<ficile que son application... Il faut que tout ou presque tout << soit soumis pour que la domination française soit stable ».

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VI. Moins que les autres, ceux qui avaient naguère vu le général Bugeaud «< incliner» avec eux « pour l'évacuation de l'Afrique » ne pouvaient lui pardonner ces idées nouvelles; ils ne pouvaient se consoler, après l'avoir applaudi naguère, de constater qu'il se plaçait aujourd'hui au premier rang de leurs adversaires. Aussi ne cessèrent-ils de lui faire en France une guerre sans merci; par la parole, par la brochure, ils combattirent ses idées, et ils n'eurent pas de cesse qu'ils ne l'eussent mis en échec.

En veut-on un exemple? La Lettre d'un vieux soldat à

1 Expressions employées par le maréchal Soult, président du Conseil, dans sa lettre du 13 août 1841 (cité par H. PEUT, art. cité, t. Ier, p. 75).

2 L'Algérie, p. 6 et 14.

M. le maréchal Bugeaud1, rédigée en 1845 par le député de la Seine-Inférieure A. Desjobert, un des adversaires les plus irréductibles de l'occupation française en Algérie, est là pour le fournir. Après y avoir rappelé les paroles citées plus haut du futur gouverneur général 3, Desjobert y énumérait les demande militaires toujours croissantes de Bugeaud, s'y moquait des colons militaires, y montrait le soldat travaillant toujours quand il ne combattait pas, y soulignait les désaccords existant entre le maréchal et le gouvernement. « Voilà que, fait-il

« écrire par son vieux soldat, -... vous dites, mon général, <«< que nous avons en Afrique plus de 80.000 hommes, qu'il en <«<faut encore 10.000, et qu'en outre il faudrait y établir 100.000 « familles de colons militaires, pour lesquelles vous vou<«<lez nous prendre chaque année 10 à 12.000 jeunes gens. « C'est là, mon général, ce qui inquiète ma femme pour notre << second fils, et sur quoi je ne puis lui faire entendre raison. << Elle comprend bien que l'aîné soit soldat, puisque je l'ai << bien été, moi; mais qu'on prenne le plus jeune pour en faire «< un colon, en le mariant là-bas avec une mauvaise femme, « quand la fille de notre voisin, qui est une honnête fille, lui «< conviendrait si fort, voilà ce qu'elle ne comprend pas.......

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« Une autre chose nous inquiète : c'est le travail qu'on fait << faire au soldat en Afrique... C'est donc pour cela que notre <«< enfant a été si souvent à l'hôpital; et pourtant c'était un des << plus forts du canton on en avait rejeté quatre pour l'avoir... Faire du soldat le serf du colon ou sa bête de travail, n'est << pas ce qu'entendent nos députés et le maréchal Soult, puis« qu'ils ont déclaré que les travaux civils tels que la cons«truction des maisons des colons, les défrichements et des« sèchements, ne pouvaient être demandés au soldat. Il est <«< vrai que cela ne vous a pas empêché de continuer à employer « les troupes à ces travaux.

« Dites-moi donc, mon général, qui est-ce qui gouverne? <«<est-ce vous ou le gouvernement? Ma femme prétend que ce « doit être le gouvernement.

1 Paris, typog. Firmin Didot frères (7 mars 1845), pièce de 4 p. in-8°.

2 Sur le rôle antérieur de Desjobert à propos de l'Algérie, v. L. DE BAUDICOUR : Histoire de la colonisation de l'Algérie (Paris, Challamel aîné, 1860, in-8o de 584 p.), p. 5, et MARCEL DUBOIS et AUG. TERRIER: Un siècle d'expansion coloniale, p. 181.

3 Elles auraient été, au dire de Desjobert, prononcées par Bugeaud dans son discours du 15 janvier 1840; nous ne les y avons pas relevées. Il semble même, au contraire, que, dès ce moment, le général considérât l'abandon de l'Algérie comme impossible « La possession d'Alger est une faute, dit-il; mais, puisque vous voulez «la faire, puisqu'il est impossible que vous ne la fassiez pas... » (H. d'Iɔeville : Le maréchal Bugeaud, t. II, p. 137).

4 Bugeaud avait été promu maréchal le 31 juillet 1843.

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« Mon général, je suis un vieux soldat; je ne comprends plus grand'chose à tout cela. J'ai presque perdu la vue en Egypte, j'ai perdu la santé à Saint-Domingue, je ne puis plus travailler ma femme et moi n'avons que deux enfants « pour nous soutenir; la conscription et l'Afrique nous ont pris l'aîné pendant sept ans; si votre colonisation militaire «<nous prend aujourd'hui le second, que deviendrons-nous ? » Et Desjobert ajoutait : « Le soldat ne doit que le service << militaire; en ajouter un autre, c'est commettre un abus de pouvoir. Si l'on veut établir la colonisation militaire, il faut <«< une loi qui la consacre. Si l'on veut employer les soldats aux << travaux de la colonisation civile, il faut une loi qui les y oblige. Faites présenter ces lois, nous les discuterons. >>

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On discuta en effet, et passionnément, le projet d'ordonnance sur la colonisation de l'Algérie que Bugeaud fit, en janvier 1847, déposer par le gouvernement sur le bureau de la Chambre des députés. Le maréchal n'y abandonnait aucune des idées qui lui étaient chères, et dans les brochures de circonstance dans lesquelles il soutint ce vaste plan d'ensemble', il indiquait avec une singulière vigueur et une remarquable clairvoyance, et le but que le gouvernement royal devait assigner à ses propres efforts, et les moyens nécessaires pour atteindre ce but. Pour arriver à fonder en Algérie la société européenne dont il avait commencé par déterminer les caractères, il proclamait la nécessité pour le gouvernement (sans l'aide duquel, déclarait-il encore3, «< on ne peut en Afrique rien faire de grand en colonisation ») de recourir à la fois à la colonisation civile et à la colonisation militaire, « aux bras nombreux et vaillants >> de l'armée. La colonisation civile, dont Bugeaud n'a garde de méconnaître les avantages, demeurera encore confinée sur les rivages de la mer, et ne pénétrera que jusqu'à une profondeur de douze lieues dans l'intérieur des terres; plus avant sera constitué un véritable rideau de colonies militaires, qui protégeront les colons civils', et qui, selon une expression très heureuse employée par Bugeaud dès 1838, « formeront les avant-postes de la colonisation ». A l'abri de ce rideau, les colons civils

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1 Quelques réflexions sur trois questions fondamentales de notre établissement en Afrique (Paris, 1846, in-8°). De la colonisation de l'Algérie (Paris, 1847, in-8°).

2 « Il faut fonder en Algérie une société européenne assez nombreuse, assez for<< tement constituée, pour dominer le peuple arabe, assez productive, assez commer<< çante pour exonérer la métropole des énormes dépenses qu'elle consacre à la colonie « et à la solde d'une armée permanente » (De la colonisation de l'Algérie, p. 7). 3 lbid., p. 18.

4 Ibid., p. 14-16.

5 De l'établissement de légions de colons militaires..., p. 6.

pourront préparer en toute sécurité leur marche en avant, qu'ils reprendront au moment propice; en effet, «<< la colonisation « ne s'arrêtera pas plus que la conquête; avec le temps elle « envahira tout. La colonisation militaire est son avant-garde << la plus vigoureuse, la plus intelligente, la plus capable de la « faire respecter des Arabes 1. >>

L'ampleur de ces vues, toujours si intéressantes et le plus souvent si justes, l'importance des crédits nécessaires à leur réalisation (3 millions de francs), effrayèrent tout le monde, même ceux qui acceptèrent de soutenir le projet de Bugeaud. Les adversaires de l'Algérie en profitèrent pour renouveler, avec plus de vivacité que jamais, leurs attaques contre le gouverneur général et leurs critiques contre ses idées qui, mollement défendues devant les députés, furent finalement retirées par le gouvernement au mois de mars 1847.

Quelques mois auparavant, Bugeaud avait songé à donner sa démission pour soutenir lui-même verbalement son projet ; il estima, à la suite d'un retrait dans lequel il vit une désapprobation formelle de ses vues, ne pouvoir demeurer encore gouverneur général de l'Algérie. Il se retira donc presque aussitôt, après six années d'un labeur opiniâtre, très glorieux au point de vue militaire, très remarquable au point de vue colonial; son gouvernement marque en effet, comme l'a dit un juge compétent en la matière 2, « la période la plus féconde de la colonisation; il en reste aussi, pour le nombre et la variété des procédés, le champ d'expériences le plus vivant ».

HENRI FROIDEVAUX.

1 De la colonisation en Algérie, p. 60.

2 DE PEYERIMHOFF : Enquête sur les résultats de la colonisation officielle de 1871 à 1895, t. Ier, p. 20.

De nombreux congrès se sont réunis à Marseille, à l'occasion de l'Exposition coloniale, et surtout au mois d'août et de septembre. De ces congrès, si un certain nombre ont passé, et à juste titre, à peu près inaperçus, quelques-uns furent très remarquables. Mais le premier de tous, par l'importance des questions traitées, par le nombre et la qualité de ceux qui y prirent part et par le travail qui y fut accompli, c'est sans contredit le Congrès colonial, qui tint ses assises du 5 au 10 septembre dernier, à la Faculté des Sciences, au Lycée et dans la salle des Congrès.

L'organisation du Congrès, dont l'Union coloniale Française avait pris l'initiative, avait été confiée à un comité d'hommes particulièrement compétents.

Le programme, arrêté par eux, comprenait toutes nos colonies, et pour chacune d'elles, toutes les questions qui s'y rattachent, sauf du moins la question des Missions : le Commerce, l'Industrie, la Navigation et la Marine marchande, l'Agriculture, les Travaux publics et les Mines, la Colonisation, les Questions indigènes, la Législation coloniale. Cela faisait huit divisions qui se subdivisaient à leur tour en 27 sections, partagées elles-mêmes parfois en sous-sections ou en plusieurs chapitres. Ce programme imprimé remplissait 26 colonnes in-4° très serrées, et ne comprenait pas moins de 500 questions ou sous-questions.

Cette abondance des matières à traiter, qui devait déjà par elle-même provoquer une certaine confusion, entraîna par surcroît, comme on le voit, la création d'un trop grand nombre de sections, deux douzaines environ, - qui devaient siéger en même temps, les unes au Lycée, les autres à la Faculté des Sciences. Impossible donc d'assister à plus d'une séance sur 24, et nécessité de manquer souvent celles qui nous auraient intéressés davantage. En outre, ce qui augmenta encore la confusion, ce fut le grand nombre et la grande diversité des congressistes. Nous étions en effet 6 à 700, au moins, dont la plupart désiraient travailler et étaient fidèles aux séances. Et ces congressistes venaient un peu de partout, d'Indo-Chine, d'Afrique, d'Algérie, de Tunisie, d'Océanie. Ils appartenaient à

QUEST. DIPL. et Col. -T. XXII.

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