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France. Interviews de MM. Clemenceau et Pichon, dans le Berliner Tageblatt; déclarations de M. Clemenceau au Sénat sur la politique extrieure de la France. Le Berliner Tageblatt a publié le 20 novembre deux interviews sensationnelles de son nouveau rédacteur en chef, M. Théodore Wolff, autrefois correspondant de ce journal, à Paris. avec MM. Clemenceau et Pichon. Nous en reproduisons ici le texte, tout en ne pouvant nous empêcher de remarquer combien peu correct et inopportun nous apparaît ce procédé de ministres français, confiant à un journal étranger et surtout allemand - leurs plus intimes préoccupations relatives à la politique étrangère et même intérieure de la France.

M. Georges Clemenceau.

Les Allemands ont vous me pardonnez, n'est-ce pas ? un défaut : celui de nous traiter pendant un certain temps avec une amabilité exquise. et puis, tout à coup, aussitôt après, avec une brusquerie exagérée. Avan: l'affaire marocaine, nos sentiments envers vous s'étaient bien améliorés. Beaucoup de gens chez nous considéraient qu'un rapprochement était toa: à fait désirable. Je vous accorde volontiers que votre empereur y aval personnellement beaucoup contribué. Puis, bien que nous ayons mis de côté M. Delcassé, la presse allemande nous est tombée dessus. Elle nous a même dit qu'on irait chercher chez nous les milliards nécessaires à la guerre contre l'Angleterre!

Quand on nous attaque, nous ripostons cela va sans dire. Et c'est ains qu'on a perdu, pendant cette affaire, tout le terrain qu'on avait gagné.

De guerre, je n'en veux pas. Quand on ne veut pas de guerre, on veut de bonnes relations. Si elles laissent à désirer, on les améliore. Voilà mon état d'esprit. Si l'on me donne l'occasion d'agir dans ce sens, je me rejouirai. Naturellement, il faut être fort, il faut être prêt; mais cela ne veut pas dire qu'on veuille la guerre, bien au contraire.

Pour désirer la guerre, il ne faudrait pas être dans son bon sens. C'est parce que nous avions cette opinion que nous avons renversé M. Delcassé, qui, lui non plus, ne voulait pas la guerre, mais dont la politique aurait pu y conduire. Une guerre? Ce serait, pour tout le monde, l'incertain, l'inconnu, une catastrophe indéfinissable. Personne ne peut prédire ce que la guerre apporterait, où elle conduirait, comment elle finirait. Il nous serait d'ailleurs absolument impossible de pratiquer une politique qui conduirait à la guerre, parce que le Parlement nous chasserait aussitôt, comme on a fait pour M. Delcassé, et parce que le peuple entier serait contre nous. J'espère que la presse allemande cherchera à améliorer les relations entre nos deux pays; c'est aussi la tâche que je me suis imposée.

M. Stephen Pichon.

Je ne vois vraiment pas pourquoi nous ne pourrions pas avoir de bonnes relations avec l'Allemagne. Sur quel point du monde sommes-nous

sur son chemin? Un homme raisonnable peut-il penser sérieusement à la guerre, aujourd'hui où nous avons, comme vous d'ailleurs, en Allemagne, tant de problèmes sociaux et économiques à résoudre? Mais ce serait tout simplement ridicule. Nos ententes et nos alliances ne sont dirigées contre personne. Nous désirons améliorer nos relations avec l'Allemagne, et ce désir, nous le mettrons en pratique.

Au lendemain de cette sensationnelle publication, M. Clemenceau a eu l'occasion de s'expliquer, cette fois du moins officiellement, et devant un public français, sur la politique étrangère du gouvernement. Le 21 novembre, en effet, le président du Conseil dut répondre, au Sénat, à une interpellation de M. Gaudin de Villaine sur notre politique extérieure. Voici, d'après l'Officiel, quelles ont été les déclarations de M. Clemenceau :

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous avez prononcé que M. Pichon n'était pas suffisamment qualifié pour être ministre des Affaires étrangères; vous avez eu tort de ne pas vous pencher sur sa vie comme vous vous êtes penché, dites-vous, sur la mienne; vous y auriez vu, tout au contraire, que le ministre actuel des Affaires étrangères a accompli une tâche excellente dans la carrière diplomatique, et vous auriez ainsi découvert qu'il était remarquablement qualifié.

-

Vous avez parlé de politique étrangère je vous demande pardon du avec tant de légèreté que je suis bien embarrassé pour discuter sérieusement avec vous.

terme

M. GAUDIN DE VILLAINE. Voulez-vous me permettre de vous interrompre une seule fois? J'aurais pu m'appuyer sur des documents, mais comme M. le Président nous empêche d'apporter aucun document à la tribune, il m'a été impossible de le faire.

Dans l'impossibilité où j'étais de pouvoir m'en servir, j'ai été forcé de restreindre ma discussion. C'est absolument naturel et compréhensible. Si vous voulez que je remonte à la tribune et que je vous apporte ces documents...

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Vous jouissez de la pleine liberté parle

M. GAUDIN DE VILLAINE. On ne le croirait pas avec les idées actuelles. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous pouvez monter à la tribune, lire tous les documents que vous voudrez, qu'ils émanent de M. Pichon ou de ses prédécesseurs.

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Je ne parle pas de vous, monsieur le pré

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous pouvez nous interroger sur toutes les questions de politique étrangère qu'il vous plaira, mais je vous demande pardon du mot - c'est le seul que je trouve pour exprimer ma pensée — il n'est pas sérieux de venir lancer de la tribune cette flèche : « Vous êtes « partisan de la politique anglaise », sans que personne puisse savoir ce que vous entendez par là.

Il m'est impossible de répondre à une question ainsi posée. Exposez votre politique étrangère, précisez vos critiques, et si votre politique n'est pas d'accord avec la nôtre, nous aurons à honneur de vous

QUEST. DIPL. ET COL.

T. XXII.

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répondre et le Sénat prononcera entre nous en pleine connaissance de

cause.

Sur la politique intérieure, que puis-je vous répondre?

M. GAUDIN DE VILLAINE.

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Monsieur le président du Conseil, voulez

vous me permettre de vous interrompre et de dire un seul mot? LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. - Je le veux bien.

M. GAUDIN DE VILLAINE. - Qui ou non, y a-t-il une convention militaire entre la France et l'Angleterre à l'heure actuelle?

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je le demande au Sénat, est-il logiquement admissible qu'on puisse poser une telle question au gouvernement sans prendre même la peine de dire à quelles éventualités un tel accord aurait pour but de pourvoir?

Comment pourrai-je répondre par oui ou par non, si vous négligez de me dire quels faits ont suscité votre interrogation et dans quel ordre d'idées aurait pu se produire l'accord que vous redoutez ?

Il n'y a que trois semaines que je suis à la présidence du Conseil, et bien que mon collègue des Affaires étrangères m'ait communiqué, ainsi qu'au conseil des ministres tout entier, un certain nombre de dépêches concernant nos ententes particulières dans l'affaire marocaine, par exemple, il ne m'a jamais été parlé d'aucune pièce constatant ce que vous appelez une convention militaire franco-anglaise. Mais vraiment, y avez-vous réfléchi, est-ce de cette tribune que doit partir une parole capable de décourager des amitiés, de rompre des accords? Je ne connais pas de convention militaire franco-anglaise. Il y a des questions posées de telle façon qu'un gouvernement soucieux de sa responsabilité à pour premier devoir de n'y pas répondre.

Si vous avez eu les confidences de ministres des Affaires étrangères, apportez à la tribune les documents dont vous parlez. Mais en ce qui me concerne, je vous déclare que je n'ai connaissance d'aucune pièce ayant le caractère que votre patriotisme parait redouter.

M. GAUDIN DE VILLAINE. C'est énorme!

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Qu'est-ce qui est énorme? Ce que vous dites? Je suis tout à fait de votre avis.

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M. GAUDIN DE VILLAINE.
LE PRESIDENT DU CONSEIL.

C'est votre aveu qui est énorme.

Parlerai-je de la politiqne intérieure? Mon embarras n'est pas moins grand. On m'a dit que j'aspirais à la dictature. M. Gaudin de Villaine a même dit : « à la revanche ». C'est un mot que vous n n'auriez pas dů prononcer.

M. GAUDIN DE VILLAINE.

«<les revanches ».

Je n'ai pas dit : « la revanche » ; j'ai dit :

LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je vous demande pardon, je ne vous ai pas interrompu pour mieux entendre et c'est bien le mot dont vous vous êtes servi.

Eh bien, je le répète, voilà un mot que vous n'aviez pas le droit de prononcer à la tribune. Vous voulez que je vienne ici vous apporter la renonciation des espérances qui sont dans le cœur d'un grand nombre de nos compatriotes, le renoncement de la France. Voilà ce que vous osez me demander.

Ou bien voulez-vous que je vienne déclarer ici qu'en effet, je mérite de lancer mon pays dans les pires aventures? Vous tendez un piège au gouvernement, à la France elle-même, et quel piège! Ce n'est pas digne de vous, ce n'est pas digne de cette Assemblée, ce n'est pas digne d'un Français !

-

NECROLOGIE. M. de Mahy. Nous avons le regret d'apprendre la mort de M. François de Mahy, député de la Réunion. M. de Mahy, né à Saint-Pierre en 1830, avait représenté la Réunion à l'Assemblée nationale, en 1871, et depuis avait toujours été réélu par ses concitoyens, sans interruption de mandat. Il fut au 16 mai 1877 un des 363. Ministre de l'Agriculture dans les cabinets Freycinet (1882), Duclerc et Fallières (1885), ministre de la Marine dans le cabinet Tirard (1887), il fut vice-président de la Chambre, de 1889 à 1895.

M. de Mahy, dont l'affabilité et la courtoisie étaient renommées au Palais-Bourbon, était honoré de l'estime et de la sympathie de tous ses collègues, qui rendaient tous hommage à la haute dignité de sa vie. Depuis ces dernières années, attristé par de cruels deuils de famille, il se tenait dans une retraite presque complète.

Angleterre. L'Entente Cordiale; un discours de M. Paul Cambon. Notre ambassadeur à Londres, M. Paul Cambon, prenant la parole au banquet d'inauguration des travaux de l'Exposition francoanglaise de 1908, le 26 novembre, a prononcé, à propos de l'Entente Cordiale, le discours suivant que nous reproduisons intégralement, car il nous semble tout à fait remarquable par sa sagesse, sa modération, son tact et son à-propos. En voici le texte :

Messieurs,

La grande manifestation qui se prépare pour 1908 et qui, s'il faut en juger par la qualité des hommes qui la patronnent des deux côtés du détroit et que je suis heureux de saluer ici, est appelée à un grand succès, affirmera de la façon la plus éclatante l'entente cordiale si bien établie entre nos deux pays. Cette entente a surpris quelques personnes; on en parle souvent sans en saisir le vrai caractère; on y voit tout autre chose que ce qu'elle est en réalité et on y cherche je ne sais quelles combinaisons mystérieuses bien éloignées de la pensée des gouvernements qui l'ont conclue.

Rien de plus simple cependant la France et l'Angleterre étaient comme deux voisins qui n'ont aucun motif de dissentiment, qui ont absolument besoin l'un de l'autre, qui sentent confusément l'envie de se mettre d'accord et qui voudraient bien s'expliquer, mais qui n'osent pas se le dire. Le jour où, grâce à Sa Majesté Edouard VII, la glace a été rompue, on s'est abordé, on s'est entretenu avec une égale franchise des deux côtés et on s'est entendu.

Notre entente a été un règlement d'affaires, et, comme nous avons pris confiance les uns dans les autres, nous traitons aujourd'hui, toutes les questions qui naissent entre nous sans défiance, sans aigreur, et nous les arrangeons sans bruit.

Or, je n'ai pas besoin de vous dire que ces questions sont innombrables, car nous ne sommes pas voisins seulement qu'en Europe; nous le sommes sur tous les points du globe, et si nous voulions y mettre de la mauvaise volonté, nous trouverions partout des causes de froissement.

L'entente entre nos deux pays est donc une œuvre de raison; qu'elle ait indirectement des causes politiques, qui peut s'en étonner? Qu'elle soit une garantie de la paix non seulement entre nous, mais dans le monde entier, qui peut s'en plaindre?

La France et l'Angleterre sont deux grandes puissances libérales, soumises aux directions de l'opinion publique; elles ont des responsabilités et la garde d'intérêts économiques considérables.

Qui oserait dire que l'opinion en France et en Angleterre n'est pas pacifique? Qui oserait prétendre que les représentants de nos grands intérêts économiques et commerciaux désirent la guerre, alors que le développement de leur œuvre exige la paix? Notre entente n'est donc pas seulement une œuvre de raison, elle est aussi une œuvre de paix, et il faut se féliciter de toutes les manifestations destinées à l'affirmer et à la resserrer.

On a dit beaucoup de bien et quelquefois du mal des expositions. Je crois que celle de 1908 échappera aux critiques qu'on dirige d'ordinaire contre ces assises commerciales. Ce ne sera pas une exposition universelle; ce sera un concours entre deux nations qui n'ont pas les mêmes produits, qui ne se font pas concurrence, qui n'ont pas la prétention de se dérober leurs secrets industriels, mais qui veulent offrir l'une à l'autre le moyen de se compléter et de s'enquérir de ce qui leur manque. Ainsi entendue, une exposition n'offre que des avantages et celle-ci augmentera sûrement le mouvement d'échange entre nos deux pays. Ce mouvement, qui s'élève déjà à près de deux milliards de francs, c'est-à-dire à 90 millions de livres sterling, atteindra, je le souhaite. des chiffres inconnus jusqu'à présent dans les relations commerciales de la France et de l'Angleterre.

Il suffit de mentionner ce mouvement d'affaires pour montrer l'absolue nécessité de notre bonne intelligence. L'entente cordiale est dans la force des choses. Je lève donc mon verre en l'honneur des organisateurs de la future exposition, et je bois au succès de leur entreprise.

Allemagne. Le roi et la reine de Danemark à Berlin. Le roi Frédéric et la reine Louise de Danemark sont arrivés à Berlin, le 19 novembre ; ils ont été reçus à la gare par l'empereur et l'impératrice d'Allemagne, et le soir même de leur arrivée un dîner de gala a eu lieu au château royal,au cours duquel des toasts très cordialement sympathiques ont été échangés par les souverains. L'empereur, parlant le premier, a remercié le roi de sa visite.

Je vois dans cette visite, a-t-il dit, la continuation des relations étroites entre les deux pays que le vénéré défunt roi Christian se plaisait déjà à favoriser. Je considère comme un devoir de reconnaissance de remercier particulièrement notre hôte de l'accueil chaleureux et cordial qui m'a été fait dans sa famille et dans son pays.

J'ai la ferme conviction que les bonnes et intimes relations, désormais établies et affermies entre les deux maisons régnantes et les deux pays, se maintiendront à l'avenir, pour le plus grand bien des deux peuples, et que la bénédiction de Dieu leur sera accordée.

J'appelle cette même bénédiction, sur la tête du roi, de la reine et de toute leur noble famille.

Le roi de Danemark a répondu en exprimant, en son nom et au nom de la reine, sa gratitude pour la sympathie cordiale dont l'empereur a fait preuve en venant, pendant les jours douloureux que traversa, l'hiver dernier, la maison de Danemark, rendre au roi Christian les derniers honneurs. L'empereur a été salué alors avec

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