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remédiera en augmentant le nombre des unités permanentes et, par voie de conséquence, en augmentant les dépenses militaires. C'est le manque de crédits suffisants qui s'oppose non seulement à l'utilisation complète des éléments de l'armée semi-permanente, mais encore à l'organisation de la milice et de la glota. Jusqu'à présent, il n'a été créé qu'un ou deux bataillons de la milice auprès de chaque régiment d'infanterie, soit la valeur d'une brigade par corps d'armée. Quant à la glota (levée en masse), elle n'existe guère que sur le papier.

La Roumanie a cependant réalisé plus complètement même que l'Allemagne et que la France la conception de la nation

armée.

La France et l'Allemagne ne mettent sur le pied de guerre que 6% de leur population. En Roumanie, cette proportion est largement dépassée. La puissance militaire roumaine s'afirme donc relativement plus considérable que celle de beaucoup de nations européennes, à ne considérer que le nombre de soldats plus ou moins complètement instruits, qu'une mobilisation générale mettrait sur pied. La valeur des gradés qui encadreraient les soldats roumains confirme cette affirmation. Les sousofficiers proviennent des caporaux ayant suivi, pendant trois trimestres, les cours des écoles de Bistritza et de Focsani. Ils peuvent, à l'expiration du temps actif légal, contracter des engagements successifs jusqu'à douze années de service. A ce moment, ils ont droit à la médaille militaire avec une pension viagère de 500 francs et à la concession d'un terrain de 10 à 15 hectares dans les domaines de l'Etat. Les sous-officiers de carrière sont généralement nommés sous-lieutenants dans la réserve ou lieutenants dans la milice, lorsqu'ils quittent l'armée active.

Les officiers d'infanterie et de cavalerie ont une origine double. Le tiers sort du rang, le reste est fourni par les écoles militaires. Les officiers d'artillerie et du génie se recrutent exclusivement à l'école d'artillerie et du génie de Buckarest. Tous les sous-lieutenants, quelle que soit leur provenance, suivent, après un an de service dans un corps de troupe, en qualité d'officier, les cours d'une école d'application spéciale à leur arme. Les plus versés dans les questions techniques intéressant les armes de l'artillerie et du génie sont désignés pour l'école supérieure de l'artillerie et du génie. Les officiers remplissant les fonctions d'officier d'état-major il n'existe pas de corps spécial d'état-major en Roumanie - sont choisis parmi les officiers ayant suivi avec profit les cours de l'école supérieure de Buckarest ou d'une école similaire à l'étranger.

Comme l'école supérieure de guerre en France, l'école supérieure de guerre roumaine poursuit un double but fournir des officiers aptes au service d'état-major, répandre dans l'armée les hautes connaissances militaires. Les cours durent trois ans; ils sont suivis par un nombre d'officiers variant de douze à quinze. L'institution d'écoles militaires où les gradés reçoivent une instruction technique de plus en plus étendue est, à défaut des leçons de choses puisées dans la pratique de la guerre, la garantie la plus sûre de la valeur des cadres d'une armée où, par ailleurs, l'avancement est dû au mérite et à l'ancienneté des services. En Roumanie, l'avancement a lieu au choix et à l'ancienneté jusqu'au grade de capitaine inclus. Toutefois le sous-lieutenant ou le lieutenant que son ancienneté appelle à passer au grade supérieur doit justifier, dans un examen où la tactique de l'arme joue un rôle prépondérant, de ses capacités professionnelles, sous peine d'être écarté de l'avancement. A partir du grade de major, l'avancement est la conséquence exclusive du choix.

Les officiers de réserve se recrutent parmi les officiers en retraite, démissionnaires, parmi les sous-officiers de carrière et parmi les jeunes gens dispensés du service actif, eu égard à leurs diplômes universitaires. Il y a, du reste, en ce qui concerne la hiérarchie et le recrutement, des officiers de l'armée active et de la réserve, les limites d'âge, les limites minima imposées pour passer d'un grade à un autre, etc., etc., une analogie fort grande avec les institutions militaires en France et en Allemagne.

Cette analogie se trouve également dans la composition des corps d'armée roumains. Le corps d'armée mobilisé comprend tous les organes nécessaires à la vie et à l'action sur le champ de bataille d'une masse de 30.000 combattants. La proportion des trois armes y est à peu près la même que dans les corps d'armée allemands et français. Elle se traduit par deux divisions d'infanterie et deux bataillons de chasseurs, une brigade de cavalerie, un régiment d'artillerie de corps à 3 batteries, dont 2 d'obusiers, une compagnie du génie. Le corps d'armée roumain compte, en outre, un escadron du train, une compagnie de télégraphistes, une ambulance, un magasin mobile, des colonnes de munitions et un convoi de subsistances.

La division d'infanterie se compose de 1 brigade à 2 régiments de 3 bataillons, d'un régiment d'artillerie à 9 batteries, d'une compagnie du génie, d'un détachement sanitaire, de colonnes de munitions et d'un convoi administratif. En définitive, le corps d'armée met en ligne 26.000 fusils,

1.500 sabres ou lances, 108 canons légers ou lourds de 73 et de 87 millimètres.

Pour la constitution de son matériel d'artillerie de campagne, la Roumanie est tributaire de l'Allemagne. Les puissances européennes qui ne possèdent pas des usines nationales productrices de canons de campagne à tir rapide ont, en effet, recours aux grandes usines allemandes ou françaises, dont, en fait, les produits se valent à peu de chose près. Le canon de 75 millimètres à tir rapide, type Krupp, a un poids un peu moindre 1.700 kilogrammes au lieu de 1.750, la pièce sur l'avant-train que le canon de 75 millimètres type Schneider-Canet, une vitesse initiale et une portée plus grandes — 508 et 6.400 mètres, au lieu de 500 et 5.900 mètres. Le caisson allemand pèse 150 kilogrammes de plus que le caisson français, Le shrapnell français contient 234 balles, c'est-à-dire 36 de moins que le shrapnell allemand. Ces différences, pour cette raison qu'elles sont tantôt à l'avantage de l'un, tantôt à l'avantage de l'autre des deux types, n'empêchent pas que canons, projectiles et caissons ont une valeur ou, si on préfère, une réputation sensiblement égale, la réclame et le faire-savoir de la maison Krupp compensant la supériorité que d'aucuns attribuent aux produits du Creusot. Mais quand on veut comparer des artilleries à tir rapide, c'est moins le type et le nombre de canons mis en ligne (si l'écart n'est pas trop considérable) que l'instruction technique du personnel, les méthodes de tir mises en pratique, la mobilité du matériel et surtout l'importance des approvisionnements en munitions qu'il faut considérer. Un canon qui tire vingt coups à la minute a vite consommé les munitions des coffres mis à sa disposition, pour peu que son tir soit continu. De là viennent l'importance de la rapidité du réglage du tir et la nécessité du tir par rafales. Il faut que les objectifs vivants soient instantanément anéantis ou, tout au moins, mis momentanément hors d'action. Il ne suffit donc pas qu'une puissance possède un matériel perfectionné pour que son artillerie soit en situation de se mesurer avec une artillerie moins nombreuse, mais dont l'approvisionnement immédiat en munitions est plus considérable et le personnel depuis plus longtemps rompu à des méthodes de tir rationnelnelles, en harmonie avec le service du canon à tir rapide.

Ces réflexions ne visent pas l'armée roumaine d'une manière particulière; elles sont simplement faites pour mettre en garde les esprits et les empêcher d'attribuer au nombre des canons d'une puissance une supériorité écrasante. Au reste, les Roumains, avec leurs 108 canons par corps d'armée, tiennent une

place intermédiaire entre les 96 canons du corps d'armée français et les 144 canons du corps d'armée allemand.

Les événements de 1877 ont appris aux Roumains que des voisins puissants sont des voisins dangereux, avec lesquels il y a plus à perdre qu'à gagner, même quand on use à leur égard de la plus grande condescendance.

En fait, depuis la guerre turco-russe, les sentiments des Roumains à l'égard des Russes sont loin d'être bienveillants. Leur nature se manifeste dans l'organisation défensive du pays, caractérisée par ce fait qu'une seule frontière est fortifiée : c'est celle qui sépare la Roumanie de la Russie.

Un peu en aval de Czernowitz, le Pruth sert, jusqu'à son confluent avec le Danube, de limite entre la Bessarabie et la Moldavie, sur un parcours de 450 kilomètres. Parallèlement à lui coule, sur le territoire roumain, le Sereth, un autre affluent de gauche du Danube. Entre les deux confluents du Pruth et du Sereth s'étale la ville, aujourd'hui place forte, de Galatz. Le Sereth reçoit, à droite, la Putna, descendue des Karpathes, et dans le bassin de laquelle se trouve Focsani, en bordure de la voie ferrée Czernowitz-Buckarest.

Les lignes du Pruth et du Sereth sont trop étendues pour que les Roumains aient songé à les organiser définitivement. Ils ont établi leur barrage plus en arrière, sur la ligne Focsani-Galatz, solidement appuyée, d'un côté, au Danube, de l'autre, à la pointe orientale des Karpathes, et dont le développement est cinq fois moindre que celui de la ligne frontière du Pruth. Le choix des Roumains n'est certes pas sans présenter des inconvénients. La ligne Focsani-Galatz ne s'oppose en rien à la pénétration des Russes dans la Moldavie ou dans la Dobrudja. En ce qui concerne la Dobrudja, l'inconvénient est atténué par cette particularité que les Russes ne peuvent passer de la Dobrudja dans la Valachie qu'en franchissant le Danube, ce qui constitue une grosse opération pleine de difficultés et d'aléas. Mais une considération, primant toutes les autres, imposait à la Roumanie l'obligation de barrer le territoire aux Russes, non pas sur la frontière, mais dans l'intérieur du pays, à cet endroit où les Karpathes forment avec le Danube un étranglement, un défilé d'une centaine de kilomètres, dans lequel la Putna et le Sereth remplissent l'office de fossé. L'organisation défensive d'un pays doit, en effet, être en harmonie avec ses forces militaires. Le sort d'une nation ne se joue pas derrière les coupoles et les casemates bétonnées, mais en rase campagne. Il faut donc que

ses forces actives ne soient pas absorbées par la défense des forts et des camps retranchés, qu'elles restent intactes et entiè rement disponibles pour la bataille dont dépend le sort d'une campagne.

La ligne Focsani-Galatz comporte des coupoles bétonnées à Galatz et au confluent de la Putna, et un grand nombre de batteries de 150 à 160 - armées de canons à tir rapide de 37 millimètres, de 53 millimètres, d'obusiers de 12 centimètres. Les batteries de Galatz balaient le terrain compris entre le lac Bratis et le confluent du Sereth. En arrière de la ligne GalatzFocsani, le camp retranché de Buckarest, constitué par douze forts détachés et des batteries intermédiaires, forme le réduit de la défense. Les forts sont à une distance moyenne de 12 kilomètres du centre de la place. Une voie ferrée les relie en même temps qu'elle dessert les batteries établies dans les intervalles. Le périmètre des forts atteint 70 kilomètres. Le blocus du camp retranché de Buckarest exigerait, par suite, une armée tout entiêre.

Les frontières roumaines, à l'Ouest et au Sud, tirent leur protection des obstacles naturels qui les forment, les Karpathes et le Danube. Tout barrage par la fortification a paru aux Roumains impossible ou superflu. Impossible vis-à-vis de l'Autriche, à cause du développement et du tracé de la frontière, qui affecte la forme d'une circonférence, la convexité tournée du côté de la Roumanie. Superflu, à l'égard de la Serbie et de la Bulgarie, qui n'ont rien à convoiter sur la rive gauche du Danube, leurs aspirations étant du côté de la Macédoine. D'ailleurs, la forme du territoire roumain écarte toute velléité de résistance à outrance sur la périphérie et incite à la concentration des forces défensives en un point central. L'organisation de la ligne Focsani-Galatz et l'établissement du camp retranché de Buckarest, répondent à cette conception. Il semble donc logique que, au cas d'une crise où elle se sentirait menacée sur toutes les frontières, la Roumanie fasse converger ses corps d'armée de lassy et de Graïova sur Buckarest, le IV corps d'armée se concentrant au Sud et à l'abri de la ligne Focsani-Galatz, le Ier corps d'armée se liant étroitement au II.

La concentration préalable des forces roumaines s'effectuerait également autour de Buckarest, dans l'éventualité d'une action combinée entreprise avec la Serbie et la Bulgarie contre la Turquie.

Lieutenant-colonel E. LAFARGUE,

Breveté d'état-major.

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