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sont pas à la hauteur du zèle de ceux qui le dirigent. Les fonds lui manquent pour publier nombre de renseignements qu'il a réunis, et c'est avec plaisir que nous avons vu M. Gervais se plaindre de la somme insuffisante mise à la disposition de l'Office pour la publication des statistiques. Les statistiques coloniales françaises sont, à l'heure actuelle, une véritable honte: le mot n'est pas trop fort. On n'en publie que très peu, et dans des conditions tout à fait défectueuses. Il y a dans ce domaine un effort à faire. Les exemples que nous donnent certains pays voisins devraient être suivis. Il est inadmissible qu'au point où nous en sommes de notre développement colonial, on ne sache où trouver de bons documents sur les populations, les productions, le commerce de nos possessions d'outre-mer. Les fonctionnaires de l'Office s'emploient depuis quelque temps à réunir le plus de documents qu'ils peuvent sur ces différents points et ils sont déjà arrivés, paraît-il, à avoir un ensemble de documents fort intéressants, mais faute d'argent, ils ne peuvent en faire profiter le public. Il faut de toute nécessité améliorer ce service. Le rapporteur l'a reconnu comme tous ceux qui étudient les questions coloniales et il faut lui savoir gré de l'avoir proclamé comme aussi d'avoir fait observer qu'il jugeait inutile la publication par le ministère d'une Recue coloniale. «Les articles de cette revue, dit-il, trouveraient par<«<faitement place dans les nombreuses publications coloniales

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déjà existantes. Il y a là, semble-t-il, un double emploi. Cette observation est très juste; l'expérience est là d'ailleurs pour montrer que le ministère est incapable de mener à bien une publication de ce genre. L'histoire de la Revue coloniale du ministère serait tout à fait édifiante. Il faut renoncer à pareille publication et faire bénéficier de la somme qu'on y consacrait l'Office colonial pour la publication de statistiques.

Ce dernier exemple permet de juger jusqu'à quel point le rapporteur du budget des colonies est descendu dans le détail. Ce faisant, il a fait œuvre utile. Dans le rapport que nous avons sous les yeux, il a véritablement pris corps à corps le budget, et cette méthode peut être fructueuse. Il est fait allusion, en quelques endroits, à un rapport supplémentaire où seraient probablement développées un certain nombre de théories concernant la politique coloniale; nous ne le possédons pas au moment où nous écrivons, et vraiment nous ne le regrettons pas. Nous avons eu naguère des rapports sur le budget des colonies qui étaient de véritables traités de colonisation. Ils ont pu avoir leur utilité, mais combien il est préférable de voir de près comment fonctionne l'administration coloniale qui cha

que année absorbe de nombreux millions et de signaler ses défauts! C'est là proprement le rôle d'un rapporteur de budget. Il peut, chemin faisant, indiquer que, selon lui, on ferait bien de réaliser telle ou telle réforme, mais il doit surtout veiller à une saine administration financière et faire en sorte que les crédits soient employés le plus efficacement possible. La méthode n'est déjà pas si mauvaise, puisque M. Gervais a obtenu presque immédiatement une réforme concernant le secrétariat général.

On ne saurait terminer une étude sur le budget des colonies sans se demander si les 110 ou 113 millions qu'il absorbe sont, comme d'aucuns le prétendent encore, dépensés quasi en pure perte. La réponse à cette question se trouve dans le dernier rapport du président de la commission permanente des valeurs de douanes. Il ressort de ce document que les échanges de la France avec ses colonies et pays de protectorat se développent régulièrement, la plus-value de la période quinquennale 19011905, par rapport à la période 1896-1900, ayant été de 23 %. Si la valeur absolue des importations en provenance des colonies et pays de protectorat augmente, la part proportionnelle correspondante, dans l'ensemble des entrées, présente aussi un accroissement: de 9,35% de 1896 à 1900, elle est passée à 10,19 % de 1901 à 1905. Le mouvement inverse a bénéficié d'une augmentation encore plus forte, ayant passé de 10,91 % de 1896 à 1900, à 12,24 % de 1901 à 1905. La part de notre domaine colonial dans notre mouvement commercial est telle que M. Alfred Picard, dans le document dont nous venons de tirer ces renseignements, dit que dès aujourd'hui les résultats acquis autorisent de brillantes espérances. Ce domaine colonial, qui est une de nos réserves pour l'avenir, doit donc être administré avec soin. C'est dire qu'il faut, dans cette administration, éviter les gaspillages, mais ne pas tomber dans la parcimonie.

EDOUARD PAYEN.

LES AFFAIRES DU MAROC

Discours de M. Stéphen Pichon à la Chambre des députés. Ratification de l'Acte d'Algésiras.

La Chambre des députés a discuté, le jeudi 6 décembre, l'interpellation de M. Jaurès sur les affaires du Maroc. M. Jaurès a posé au gouvernement une série de questions et a développé, à propos de la politique extérieure de la France, un certain nombre de considéra

le Times s'étonnait, le lendemain, d'avoir pu être prononcées dans une Chambre française par un député français. La réponse de M. Pichon, par contre, a été toute de tact, de sagesse et de mesure, et ses déclarations ont été applaudies par toute la Chambre. M. Jaurès avait présenté un ordre du jour : il fut battu sur la priorité par 436 voix contre 72, et l'on vota par 454 voix contre 52 F'ordre du jour de M. Grosdidier ainsi conçu : « La Chambre, con<< fiante dans le gouvernement pour assurer l'exécution de la con«<vention d'Algésiras avec les droits qui en sont la conséquence, et « pour garantir la sécurité de nos nationaux, passe à l'ordre du « jour. >>

Le projet de loi tendant à la ratification de l'Acte d'Algésiras fut ensuite voté à l'unanimité de 522 voix.

Voici, d'après le Journal officiel, le discours du ministre des Affaires étrangères :

Messieurs,

M. STEPHEN PICHON, ministre des Affaires étrangères. après les très intéressants discours que vous venez d'entendre, vous me permettrez de ramener le débat à des proportions beaucoup plus modestes que celles qui lui ont été données tout à l'heure par l'éloquence entraînante de M. Jaurès.

Je voudrais dégager la question que nous discutons des formes oratoires, parfois si brillantes, qui lui ont été données et vous montrer la simple réalité afin d'indiquer, avec toute la clarté possible, quelle est, dans les affaires du Maroc, la politique du gouvernement.

M. Jaurès nous a interpellés sur des hypothèses; je désire vous apporter des faits. En terminant, il y a huit jours, les observations que j'avais l'honneur de présenter à la Chambre au sujet de cette même question, je disais que le statut du Maroc avait été déterminé, à la suite de négociations entre les puissances, par un accord international, qui est l'Acte d'Algésiras, et que nous étions décidés à le respecter scrupuleusement. (Très bien! très bien!)

Quelle est la substance de cet Acte? Les déclarations de mes prédéces

seurs, celles du rapporteur de la commission, les discours que vous avez entendu vous l'ont déjà fait connaître. Je tiens pourtant à le préciser en quelques mots.

Le 16 décembre 1905, M. Rouvier, président du Conseil, annonçant le programme de la Conférence et rappelant les accords précédemment intervenus entre les gouvernements de Paris et de Berlin, s'exprimait ainsi : «Chaque puissance a des droits au Maroc; ils ne sont pas contestés. Chaque puissance y bénéficie des traités; il n'a jamais été question d'y << porter atteinte. Chaque puissance enfin, dans une mesure quelconque « peut faire valoir ses intérêts. Ces intérêts doivent être respectés, mais «ce que nous avons le devoir de montrer à la Conférence, c'est la qualité « spéciale de nos droits et l'importance de nos propres intérêts. >>>

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Et M. le président du Conseil ajoutait que nos droits étaient ceux d'une grande puissance musulmane ne pouvant admettre ni l'anarchie ni l'hostilité dans son voisinage, et que nos intérêts étaient ceux de notre commerce et de notre industrie au Maroc où nous sommes représentés par un nombre important de nos nationaux.

Il avait été convenu le 10 juillet précédent avec le gouvernement allemand que les principes suivants seraient respectés :

« Souveraineté et indépendance du sultan, intégrité de son empire, liberté « économique sans aucune inégalité, réformes de police et réformes finan<< cières par voie d'accord international, reconnaissance de la situation <<< faite à la France par le voisinage du Maroc et de l'Algérie, par les rela«<tions particulières qui en résultaient entre les deux pays limitrophes et « par l'intérêt spécial que nous avons à ce que l'ordre règne dans l'Empire <«< chéritien. >>

Quelques mois plus tard, le 12 avril 1906, M. Léon Bourgeois, devenu ministre des Affaires étrangères, constatait « l'heureux résultat de la Con<«<férence, l'entente faite entre toutes les puissances sur les questions « économiques, l'accord pour la création d'une banque d'Etat chérifienne «<et pour l'organisation de la police dans les ports ouverts au commerce <international ».

M. Léon Bourgeois insistait tout particulièrement sur ce dernier point: <<< Il nous aurait été impossible, disait-il, de laisser une troisième puissance prendre sur un point quelconque de l'Empire chérifien une place sem«blable à celle que la France et l'Espagne seules tenaient de leur situation géographique et politique et de leurs services passés. »

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Et il se félicitait « de ce que la Conférence, en prenant des dispositions spéciales pour la police, nous ait mis en mesure de procéder à son orga<<nisation dans une complète entente avec les puissances dont les intérêts « au Maroc sont solidaires des nôtres ».

Ce sont ces résultats que vous êtes appelés aujourd'hui à consacrer par votre vote. Depuis qu'ils sont acquis, les membres du corps diplomatique accrédités à Tanger ne sont pas restés inactifs dans la préparation qui, à certains égards, leur incombe de la mise en pratique de cet Acte. Ils se sont réunis avec les délégués du Makhzen pour examiner les questions qu'ils doivent étudier en commun. Ils ont abordé la réglementation des matières suivantes : taxe à établir sur les constructions, droits de magasinage, adjudications, expropriations, caisse spéciale pour les travaux des ports, introduction des explosifs, commerce des armes, etc.

Les gouvernements intéressés se sont occupés, d'autre part, de ce qui les concernait d'une façon plus particulière et notamment de la création de la banque marocaine. Les statuts de cette banque ont été définitivement arrêtés par un Comité qui s'est réuni, à Paris, sous la présidence de

M. Georges Pallain. Je suis heureux de pouvoir remercier ici M. le gouverneur de la Banque de France du concours éclairé et efficace qu'il a donné en cette circonstance au gouvernement. (Très bien! très bien!)

Les statuts qui ont été arrêtés par ce Comité ont été consacrés par les quatre censeurs anglais, allemand, espagnol et français, censeurs institués par l'Acte d'Algésiras.

Il reste maintenant à désigner les administrateurs. Comme vous le savez, cette banque marocaine doit commencer son fonctionnement au plus tard dans les deux mois qui suivront la ratification de l'Acte d'Algésiras. Cette mesure est essentielle en raison des attributions de la banque d'Etat qui remplira les fonctions de trésorier général de l'Empire, qui sera l'agent financier du gouvernement dont elle fera notamment les opérations monétaires, qui devra pourvoir aux dépenses d'installation et d'entretien des corps de police institués conformément aux décisions de la Conférence.

Que sont ces corps de police? M. Jaurès eu a parlé tout à l'heure. Je désire y revenir en quelques mots, parce que c'est un point très important de ma discussion. Ils seront recrutés par le Makhzen parmi les musulmans marocains, commandés par des caids marocains et répartis dans les buit ports ouverts au commerce, qui sont, comme vous le savez: Tetouan, Tanger, Larache, Rabat, Casablanca, Safi, Mogador et Mazagan.

Les officiers et les sous-officiers instructeurs seront espagnols et français, ce qui caractérise d'une façon très nette, je l'indique encore en passant, la situation privilégiée, dont il faut toujours se souvenir, qui a été reconnue à la fois à l'Espagne et à la France au Maroc. Le nombre des officiers espagnols et français sera de trente à quarante. Le fonctionnement de la police sera inspecté, comme l'a dit M. Jaurès, au moins une fois par an, par un officier supérieur de l'armée suisse, qui sera nommé non pas par les puissances, comme le disait encore M. Jaurès, mais par le gouvernement chérifien.

Ceci a également son importance au point de vue de la discussion. L'inspecteur de l'armée suisse n'interviendra pas dans le commandement et dans l'instruction; mais il établira un rapport qu'il adressera au Makhzen et qui sera communiqué au doyen des membres du corps diplomatique de Tanger.

Enfin le cadre des instructeurs, officiers et sous-officiers, sera espagnol dans certains endroits, français dans d'autres, espagnol et français, c'està-dire mixte, dans certaines villes et notamment à Tanger.

Ces dernières dispositions devaient naturellement retenir sans retard, pour être prêtes en temps utile, l'attention des deux gouvernements intéressés; ils devaient se préoccuper des conditions dans lesquelles ils organiseraient la police, surtout dans les endroits où ses cadres seront empruntés aux deux pays. Aussi des pourparlers s'étaient-ils engagés entre le ministère des Affaires étrangères et l'ambassadeur d'Espagne à Paris, le marquis del Muni, et se poursuivaient-ils de la façon la plus amicale, lorsque les événements ont obligé les deux gouvernements à envisager d'urgence une question qui se rattache étroitement à celle qu'ils avaient à régler.

En effet, à la suite d'un certain nombre d'incidents qui s'étaient produits sur le territoire marocain et qui dénotaient un regrettable état de malaise, de très fâcheuses nouvelles nous parvenaient sur la situation à Tanger. Quelle est cette situation?

La ville est entre les mains d'un homme qui s'appelle Raissouli et qui parait posséder une égale aptitude à être gendarme ou détrousseur de diligences.

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