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Représentants et le Sénat de Washington ont également ratifié l'Acte de la Conférence d'Algésiras. Aux Cortès, la discussion a été assez développée et a surtout permis de constater l'entente absolue des gouvernements de France et d'Espagne dans toutes les affaires marocaines, en même temps que la confiance de l'opinion dans les succès de l'action combinée franco-espagnole. A Washington, le Sénat a voté, en même temps que la ratification de l'Acte d'Algésiras, une résolution déclarant que le mobile de la participation des Etats-Unis à la Conférence avait été leur seul désir d'assurer la protection des citoyens et des intérêts commerciaux américains et d'aider à maintenir la paix entre les différents Etats signataires de l'Acte.

Les escadres française et espagnole à Tanger.
La situation au Maroc.

L'escadre française de l'amiral Touchard, dont nous annoncions le départ imminent il y a quinze jours, a quitté Toulon le 30 novembre et est arrivé à Cadix, le 2 décembre. L'amiral Touchard s'est aussitôt rendu à Madrid, où il a pu régler avec le gouvernement et avec les chefs de l'escadre espagnole les derniers détails relatifs à la démonstration navale combinée des deux puissances. Pendant son séjour à Madrid, l'amiral Touchard a été reçu à plusieurs reprises par le roi Alphonse XIII.

L'escadre française a quitté Cadix le 8 décembre et a mouillé dans le port de Tanger le même jour. Les croiseurs-cuirassés espagnols Carlos Quinto et Princesa de Asturias sont arrivés à Tanger, le 12.

L'arrivée des escadres française et espagnole a produit une vive satisfaction parmi la population européenne de Tanger, qui souffre beaucoup dans ses intérêts de la tyrannie insupportable de Raissouli. L'insécurité et l'anarchie sont toujours d'ailleurs aussi grandes par tout le Maroc. Le sultan a, il est vrai, expédié, de Fez à Tanger, et sur la demande de Mohammed el Torrès,un corps de troupes de 1.500 à 2.000 hommes, commandé par le ministre de la guerre Si Guebbas; mais on doute que, malgré ces renforts, le Makhzen réussisse à faire respecter une autorité trop irrémédiablement compromise.

En tout cas, il est permis de souligner l'ironie du sort qui va nous forcer à faire de la politique internationale avec ce même Si Guebbas, qui naguère négociait avec nous l'élaboration d'une politique francomarocaine.

Le « Livre rouge » autrichien sur la conférence d'Algésiras.

Le gouvernement austro-hongrois vient de publier un Livre rouge sur la Conférence d'Algésiras. C'est un volume de 451 pages, qui embrasse la période du 3 juin 1905 au 16 août 1906.

Il se divise en trois parties. La première contient une série de notes et documents déjà connus pour la plupart. Signalons toutefois un rapport du comte Khevenhüller, ambassadeur d'Autriche-Hongrie à Paris, adressé au comte Goluchowski.

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L'ambassadeur relate ainsi un entretien qu'il eut avec M. Rouvier:

« Je l'interrogeai sur la participation éventuelle de la France à << une conférence qui doit se tenir à Tanger. Il me répondit ne pou« voir me donner, au sujet de cette affaire, une réponse définitive, << car il avait l'intention de s'entendre au préalable avec les autres << puissances et de soumettre la question au Conseil des ministres. << Dans les milieux politiques, on manifeste de vives appréhensions. >

Le document le plus remarquable est le résumé de l'entretien que le comte Goluchowski eut à Paris, le 6 juillet 1905, avec M. Rouvier. Il est ainsi conçu :

« L'entretien que j'ai eu, au cours de ces derniers jours, avec M. Rou<< vier m'a donné l'occasion d'échanger mes vues avec lui au sujet de « l'affaire marocaine. Je le trouvai toujours très sceptique au sujet vie « l'utilité de la conférence qu'il déclara pour le moins superflue, sinon << même dangereuse. Superflue, car, à son avis on pouvait aboutir, entre les cabinets de Paris et de Berlin, à une entente directe sur toutes les ques «<tions en litige, sans être obligé de mettre en mouvement le concert eu«ropéen; dangereuse, au cas où dans le sein de cette illustre assemblée « ne pourrait s'établir un accord et où on se séparerait sans résultat appré«< ciable, ce qui ferait naître des écueils, peu favorables aux intérêts de la << paix, et augmenterait les difficultés de la situation.

Je n'ai pas dissimulé au ministre que j'envisageais la situation autre<«ment que lui et lui ai développé comme il suit mes idées à ce sujet :

« A mon avis, le plus important est de faciliter une solution acceptable « pour tous, afin de mettre un terme le plus tôt possible aux malentendus « et aux incertitudes qui pèsent si lourdement, depuis quelque temps, sur <«< la situation politique de l'Europe. Comme, dès le début, l'Allemagne a <<< porté la question sur le terrain international, elle ne pouvait s'engager «dans la voie de conventions et de compromis, sans s'écarter de la loyauté « à observer envers les autres puissances.

« Elle tiendrait, en effet, ces puissances à l'écart de toute coopération «<et les réduirait au rôle de spectatrices passives. En particulier, l'Au<< triche-Hongrie, dont le commerce occupe maintenant le troisième rang « au Maroc, ne saurait trouver très satisfaisante une combinaison de ce « genre. D'autre part, la nécessité de réformes se fait sentir chaque jour << d'une façon plus urgente et la France y est intéressée particulièrement << à cause de sa situation géographique et de l'importance de son commerce << avec le Maroc, qui occupe le premier rang. Or, sans conférence, il ne << saurait y avoir de réformes, ce qui équivaudrait à une capitulation de l'Europe devant le Makhzen et prolongerait indéfiniment un état de choses <«< préjudiciable au plus haut point au développement du commerce étranger « au Maroc. Il n'y a qu'une conférence qui permette de sortir de ce di«<lemme. La France ne voit-elle pas là, lui demandai-je, la meilleure pro«<tection de ses propres intérêts et le moyen le plus sûr d'atténuer sensi«<blement la tension qui existe dans la situation internationale?

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La façon dont je posai cette question parut ne pas manquer son effet, car, dans la suite de la conversation, M. Rouvier renonça de plus en plus à sa résistance. Toutefois, il en resta à ceci qu'il lui était impossible de céder sur les deux points suivants :

D'abord, pour des raisons de prestige et d'autorité, la conférence ne devait se réunir ni à Tanger, ni en aucun autre point du Maroc. Ensuite la France ne pouvait renoncer à l'organisation de la police sans porter atteinte à des intérêts très réels et qu'elle devait défendre.

Je lui assurai, et j'étais en mesure de le lui assurer, que personne ne songeait à contester et à méconnaître les intérêts particuliers de son pays, qui possède en Algérie, sur plus de 1.200 kilomètres, une frontière limitrophe de celle du Maroc. Je lui assurai aussi qu'il serait certainement possible de s'entendre sur la totalité des points en litige, à condition que le cabinet de Paris y mit de la bonne volonté. J'ajoutai qu'en ce qui nous concerne nous serions volontiers disposés à jouer le rôle d'intermédiaires, si l'on avait recours a nos bons services, et je terminai en faisant un appel pressant au jugement éclairé de M. Rouvier, et en exprimant l'espoir qu'il reconnaîtrait dans la solution que je lui indiquais les conditions préalables les plus propres à favoriser un arrangement équitable.

Cet entretien avait lieu huit jours après que le comte Khevenhüller eut informé par télégramme le comte Goluchowski que le gouvernement français consentait à se faire représenter à la Conférence marocaine.

Parmi les autres documents, signalons les instructions données par le comte Goluchowski au comte Welsersheimb, le représentant de l'Autriche-Hongrie à la Conférence. Elles se terminaient ainsi :

Je prie Votre Excellence de vouloir bien prendre les instructions cidessus comme ligne de conduite devant régler votre attitude. Je vous recommande en même temps de rester en contact étroit avec votre collègue allemand et j'attends avec intérêt les informations que vous m'adresserez chaque jour sur la marche des négociations.

La deuxième partie du Livre rouge renferme les procès-verbaux des 18 séances plénières de la Conférence d'Algésiras et la troisième partie, les procès-verbaux des 12 séances du comité. A la fin figure. l'Acte d'Algésiras, ainsi que trois notes du duc d'Avarna, ambassadeur d'Italie à Vienne, adressées au comte Goluchowski, au sujet de la mission de M. Malmusi, ministre d'Italie à Tanger, auprès du sultan du Maroc.

LE MESSAGE DU PRÉSIDENT ROOSEVELT

Le message présidentiel de M. Th. Roosevelt, qui a été communiqué,le 4 décembre, aux deux Chambres du Congrès des Etats-Unis est un document très'étendu dans lequel le président expose ses vues sur toutes les questions à l'ordre du jour.

Nous les reproduisons ici, ou les résumons par ordre d'importance, en commençant par le différend avec le Japon, question qui domine toutes les autres.

La question japonaise.

Il nous faut spécialement nous rappeler nos devoirs envers les étrangers qui sont nos hôtes. C'est le signe certain d'une civilisation peu avancée que d'offenser en quelque manière que ce soit l'étranger, entré aux EtatsUnis sous l'égide de la loi et se conduisant selon la loi.

Ces devoirs de bonne hospitalité incombent à tout citoyen américain, et spécialement à tout fonctionnaire des Etats-Unis.

Je me sens poussé à parler ainsi par l'attitude hostile que l'on a prise çà et là dans ce pays contre les Japonais. Cette hostilité s'est bornée à quelques localités, il est vrai, mais néanmoins le déshonneur en retombe sur le peuple américain tout entier, et ses conséquences peuvent être extrêmement graves.

L'amitié s'est toujours maintenue entre les Etats-Unis et le Japon, depuis que le commodore Perry, par son expédition au Japon, ouvrit ses portes à la civilisation occidentale. Depuis ce temps, le Japon a pris une expansion vraiment formidable. Rien ne l'égale, ni même ne s'en approche, dans l'histoire du monde civilisé.

Le Japon a un glorieux passé. Sa civilisation est plus ancienne que celle des peuples du Nord de l'Europe, qui ont été les ancêtres de notre nation. Mais il y a seulement cinquante ans, le régime du Japon était encore celui du moyen âge.

Depuis cinquante ans, les progrès du Japon dans toutes les branches de l'activité humaine ont été un sujet d'étonnement pour le monde, et maintenant l'Empire du Soleil-Levant est un des plus grands parmi les peuples civilisés; il est grand dans les arts de la guerre et dans les arts de la paix, grand par son développement militaire, industriel et artistique.

Les soldats japonais se sont montrés égaux, sur le champ de bataille, aux plus illustres guerriers dont l'histoire ait fait mention; le Japon a produit de grands généraux, des amiraux merveilleux; ses soldats, sur terre comme sur mer, ont montré le courage héroïque, la loyauté indéfectible, la splendide indifférence pour le danger et la mort qui caractérisaient les loyaux ancêtres.

Les artisans japonais de toute catégorie voient leurs produits recherchés dans tous les pays. Le développement industriel et commercial du Japon a été phénoménal, plus grand que celui de tout autre pays dans le même temps.

Le fait d'exclure les Japonais des écoles américaines est tout à la fois

odieux et ridicule, quand on considère qu'il n'est pas de collège en Amérique, d'un rang si élevé soit-il, et cela même en Californie, qui n'accueille volontiers les étudiants japonais, et auquel ces étudiants ne fassent honneur.

Nous avons autant à apprendre du Japon que le Japon à apprendre de nous. Aucune nation, d'ailleurs, n'est digne d'enseigner si elle n'est aussi disposée à s'instruire.

Partout au Japon, les Américains sont bien traités. Si donc nous traitons moins bien chez nous les Japonais, ce n'est rien de moins qu'un aveu de l'infériorité de notre degré de civilisation.

Notre pays a sur le Pacifique une frontière aussi importante que celle qu'il a sur l'Atlantique, et nous espérons jouer un rôle toujours plus important dans le grand océan asiatique. Nous aspirons, et ce désir est légitime, à un grand développement de notre commerce avec l'Asie, mais nous ne pouvons compter que ce développement sera durable que si nous traitons les nationaux des autres pays avec cette même bienveillance que nous réclamons d'eux pour nos compatriotes.

La politesse doit être une qualité internationale aussi bien qu'une qualité privée.

Je demande un traitement équitable et convenable pour les Japonais, comme je le demanderais pour les Allemands, les Anglais, les Français, les Russes ou les Italiens. Je le demande parce que l'humanité et la civilisation le réclament. Je le demande enfin parce que nous nous devons à nous-mêmes d'agir avec correction envers tous les hommes, à quelque nationalité qu'ils appartiennent.

J'invite donc le Congrès à voter une loi visant la naturalisation des Japonais qui viennent en Amérique dans l'intention de devenir citoyens de l'Union. Une des grandes causes de difficultés dans l'accomplissement de nos obligations internationales est ce fait que les lois fondamentales de l'Union sont insuffisantes; elles ne donnent pas, en effet, au gouvernement des pouvoirs suffisamment étendus pour lui permettre d'assurer aux étrangers la jouissance des droits qu'ils tiennent des traités formels et qui doivent avoir force de loi sur tout le territoire des Etats-Unis. C'est pourquoi je demande que les lois fondamentales de l'Union en matière criminelle et civile soient modifiées et complétées de façon à permettre au président, agissant au nom du gouvernement des Etats-Unis, responsable des relations extérieures du pays, de faire respecter les droits consentis par traité à des étrangers.

Même dans l'état actuel de nos lois, le gouvernement fédéral peut faire quelque chose dans ce sens et, dans le cas qui nous occupe, celui des Japonais, tout ce qui est en mon pouvoir sera fait, toutes les forces, tant militaires que civiles, des Etats-Unis que je puis légalement employer seront employées. Il ne doit, toutefois, pas y avoir le moindre doute quant au droit du gouvernement national de remplir et de faire respecter ses obligations envers d'autres nations.

A tout moment, la populace d'une ville isolée peut se livrer contre des étrangers à des actes de violence de nature à nous jeter dans une guerre. Cette ville serait par elle-même impuissante à se défendre contre le pays qu'elle a provoqué, et, si elle ne comptait sur l'appui du gouvernement fédéral, elle n'aurait jamais osé commettre ou seulement tolérer les actes incriminés.

Le pouvoir et le devoir de protéger la ville coupable d'offense envers un gouvernement étranger reposent tout entiers dans les mains du gouvernement des Etats-Unis.

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