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Lorsque la réforme militaire et la réforme financière seront réglées, il y aura lieu d'aborder les autres questions inscrites au programme de Mürzsteg et notamment la réforme judiciaire. Nous ne devons cesser de fortifier le régime international, le contrôle européen, afin de mettre un peu d'ordre dans cette mêlée confuse de races et d'empêcher une conflagration qui pourrait s'étendre de proche en proche.

Nous ne devons à aucun prix retomber dans les horreurs et les hontes de l'Arménie. (Très bien ! très bien !)

Au Maroc, après comme avant la Conférence d'Algésiras, notre politique est déterminée par la nature même des choses, par notre situation de puissance voisine, par la prédominance de nos intérêts économiques dans l'Empire chérifien, par les conventions particulières que la France a signées avec le Makhzen pour le règlement des affaires communes aux deux pays.

L'Acte d'Algésiras y a ajouté les attributions et les droits qu'il nous a donnés dans l'organisation de la police et de la banque ; nous pouvons donc collaborer sincèrement à l'œuvre des réformes, tout en poursuivant le développement de nos intérêts propres. La conclusion du débat de jeudi me paraît être que, si la France est résolue à exercer tous les droits que lui confère l'Acte d'Algésiras, elle est bien résolue aussi à ne se point laisser entrainer au delà des limites que nous nous sommes fixées (Applaudissements), car le souci de notre politique générale doit dominer toutes les considérations particulières.

Messieurs, la Conférence d'Algésira's a fait apparaître nettement la situation respective des puissances.

La Russie nous a y fidèlement soutenus. Nous avons été heureux d'entendre M. le ministre des Affaires étrangères affirmer la continuité de la politique française, la permanence de notre alliance et de nos amitiés. Souhaitons que le traité d'alliance, après la longue déviation asiatique qui en avait modifié la nature et qui en avait éloigné nos alliés du théâtre de nos intérêts, reprenne la forme discrète et sobre que lui avaient donné ses auteurs instrument européen de préservation et de paix, offrant aux deux nations des avantages égaux. (Très bien ! très bien !)

L'Angleterre, en se rapprochant de la France et il n'a pas dépendu d'elle que le rapprochement se fit beaucoup plus tôt et à de bien meilleures conditions pour nous; on l'a contesté, mais l'histoire l'établira l'Angleterre, en venant à nous, n'a fait qu'obéir aux principes invariables de sa politique traditionnelle, politique de raison et de prévoyance, puisqu'elle a pour effet de garantir, par la balance des forces, la liberté de l'Europe.

Nous avions perdu beaucoup de temps de ce côté, et l'on peut dire que la longue rivalité d'un quart de siècle entre la France et l'Angleterre, après les événements de 1870, a été un des grands contresens de l'histoire. Mais, dans la politique comme dans la nature, il est des forces qui agissent d'une façon en quelque sorte mécanique, plus puissantes que la volonté des hommes et que les passions populaires. Il n'était pas de combinaison politique plus impérieusement commandée par l'intérêt des deux peuples et par celui de la civilisation générale, que ce concert entre les deux grandes nations, qui ont le plus contribué à l'affranchissement de la pensée et de la personne humaines. (Applaudissements au centre et à gauche.)

Désormais, l'entente cordiale est, comme l'alliance russe, un des pivots inébranlables de notre politique extérieure. Et il n'est pas de tâche plus urgente pour notre diplomatie que de s'appliquer à faire disparaître les points de désaccord, les occasions de conflit, et à multiplier les points de

contact et les occasions d'entente entre notre alliée, la Russie, et notre amie, l'Angleterre. (Très bien! très bien!)

L'Italie, liée à l'Angleterre par ses accords méditerranéens, liée à la France par ses conventions relatives à la Tripolitaine et au Maroc, l'Italie, si elle fait encore partie de la Triple Alliance, n'en fait plus partie de la même manière. Là aussi, la logique des choses, aidée par la sagesse des gouvernements, a mis fin à une rivalité qui n'était qu'un désastreux paradoxe historique; et la nouvelle politique italienne a trouvé son expression à Algésiras dans l'attitude du marquis Visconti Venosta, dont la profonde expérience diplomatique a si puissamment et si habilement servi la cause du rapprochement. (Très bien ! très bien !)

L'Autriche liée à la Russie par l'accord de 1897 dans les Balkans, a toujours joué dans la Triple Alliance un rôle modérateur. Elle a exercé une action analogue à Algésiras. L'empereur François-Joseph et le comte Goluchowsky, en servant spontanément de médiateurs entre la France et l'Allemagne, en contenant leur allié et en lui rappelant les propos de M. de Bülow sur nos « légitimes désirs », en suggérant des solutions et en facilitant l'entente, ont fait preuve de dispositions amicales en vers la France et noblement servi la cause de l'ordre européen. (Très bien! très bien!)

Nous en pouvons dire autant des Etats-Unis, auxquels nous lient de si chers et de si glorieux souvenirs, et de leur illustre président, M. Roosevelt, toujours empressé à défendre les grandes causes pacifiques. (Applau dissements sur un grand nombre de bancs.)

Il n'y a rien à ajouter aux paroles émouvantes que prononçait l'autre jour M. le ministre des Affaires étrangères à l'adresse de l'Espagne et que la Chambre entière a applaudies.

Enfin, en Allemagne, M. de Bülow, en rappelant, dans son dernier discours au Reichstag, ses entretiens avec Gambetta, a rendu au patriotisme français l'hommage qu'il mérite. Mais, en ajoutant que le patriotisme allemand gagnerait à s'inspirer du nôtre, il s'est montré trop modeste pour son pays. C'est l'honneur, c'est la grandeur de l'Allemagne, d'être toujours restée fidèle aux grands souvenirs de son histoire, aux souvenirs de ses revers comme à ceux de ses triomphes. Si nous oubliions les nôtres, elle aurait le droit de nous mépriser. Oui, il est des questions réservées entre l'Allemagne et nous. Si elles ne l'étaient pas, nous serions indignes de l'hommage que le chancelier de l'Empire vient de nous rendre. (Applaudissements. Interruptions à l'extrême gauche.)

Mais avons-nous attendu ce jour pour déclarer qu'une politique de silence affecté et de bouderie serait à la fois puérile et funeste? Et la diplomatie française avait-elle attendu les événements de ces dernières années, avaitelle attendu même la disparition de M.de Bismarck pour traiter loyalement avec Berlin les affaires qui surgissent dans le monde et qui peuvent intéresser les deux peuples?

S'il est vrai, comme l'a déclaré M. de Bülow, que l'Allemagne ne cherche plus aujourd'hui comme au temps de Frédéric et de Bismarck, à séparer la France de l'Angleterre, nous ne cherchons pas, nous, à isoler l'Allemagne; mais nous savons ce que coûte l'isolement, nous l'avons appris à nos dépens il y a trente-six ans et il est assez naturel que nous nous trouvions bien d'une situation qui assure une alliance, des amitiés, des sympathies et que nous nous efforcions de la maintenir et de la consolider. (Applaudis sements.)

La France ne menace personne. Sa politique est tournée tout entière vers les œuvres de paix. Nous sommes sortis enfin de la période de tâton

nements et d'incertitudes, j'espère que nous sommes sortis aussi de la période des aventures.

Une grande tâche s'offre à notre diplomatie. On a besoin de la France dans le monde. On a le droit d'exiger, en échange de ce qu'elle peut offrir, des avantages équivalents.

Nous pouvons donc regarder l'avenir avec confiance. Et cette confiance, nous la devons d'abord à ce peuple admirable, laborieux, économe, qui donne sans compter ses inépuisables ressources, qui n'a qu'un défaut, c'est parfois de se dénigrer et de trop douter de lui-même, mais qui, dans tous les ordres de l'activité humaine, sciences, arts, littérature, politique, ici même, enfante sans relâche des forces nouvelles telles qu'aucun peuple au monde ne les saurait égaler. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs. L'orateur, de retour à son banc, reçoit les félicitations d'un grand nombre de ses collègues.)

M. Pichon, ministre des Affaires étrangères, a répondu en quelques mots qu'il s'associait absolument aux observations de M. Deschanel concernant l'organisation de la carrière diplomatique et consulaire, et qu'il avait même déjà fait préparer un projet qui, dans ses grandes lignes, répond aux desiderata formulés par le rapporteur. Ce projet sera soumis à la Chambre immédiatement après l'adoption du budget.

Après cette déclaration du ministre, les différents chapitres du budget ont été successivement adoptés sans autre discussion qu'un échange d'observations entre M. Denys Cochin et le ministre des Affaires étrangères au sujet des affaires de Crète. Sur ce point, M. Pichon a déclaré que le gouvernement français, animné vis-à-vis de la Crète des sentiments les plus bienveillants et les plus amicaux, entendait, dans la question crétoise, rester sur le domaine des accords internationaux.

Enfin, sur le chapitre 21 (œuvres françaises en Extrême-Orient), MM. Messimy et Dubief ont défendu un projet de résolution tendant à reporter dans un délai de six ans, sur les écoles laïques, les crédits affectés aux écoles d'Orient. A cela, le ministre des Affaires étrangères, a répondu en faisant observer que l'État ne crée pas d'écoles publiques en Orient.

Qu'ils soient laiques ou congréganistes, a ajouté M. Stéphen Pichon, les établissements d'enseignement sont des établissements privés. Nous n'avons donc pas à laiciser d'écoles en Orient, nous ne pouvons pas davantage les supprimer, nous ne pouvons que supprimer leurs subventions.

Mais je suppose que ces subventions soient partout supprimées. Quel en serait le résultat? Il y aurait un certain nombre d'écoles qui disparaîtraient, mais il y en a d'autres qui resteraient et qui échapperaient alors à toute espèce de contrôle. De plus, celles qui disparaîtraient seraient remplacées par des écoles étrangères déjà toutes prêtes à fonctionner. Je ne crois donc pas que ce serait un résultat souhaitable au point de vue de la diffusion de notre langue qui est le véhicule de notre pensée.

Enfin, il est une question qui ne doit pas être perdue de vue. Toute une partie de notre clientèle préfère l'enseignement congréganiste; la laisserons-nous passer sous l'influence étrangère ?

Le ministre a conclu en demandant à la Chambre d'écarter le projet de résolution de MM. Messimy et Dubief et de voter une motion infiniment plus platonique de M. Honoré Leygues, comptant sur le gouvernement pour substituer progressivement l'enseignement laïque à l'enseignement confessionnel dans les écoles d'Orient. La Chambre s'est rangée à l'avis de M. Pichon et a voté la motion Houoré Leygues, sans paraître se rendre compte de l'ironique contradiction existant entre les déclarations du ministre et le texte même de sa motion.

Le 200 déjeuner de la Société de géographie commerciale. La Société de géographie commerciale a donné, le 10 décembre, son 200o déjeuner mensuel.

Parmi les convives venus en très grand nombre pour célébrer cet anniversaire, nous avons remarqué: MM. Anthoine et Paul Labbé, président et secrétaire général de la Société; Harmand, ambassadeur honoraire; Dubail, ministre plénipotentiaire; Alpy et Duval-Arnould, conseillers municipaux; Letourneur, chef adjoint du cabinet du ministre de l'Agriculture; J.-H. Franklin, secrétaire de la rédaction des Questions Diplomatiques et Coloniales; G. Blondel; Aspe-Fleurimont; Raveneau; Marin, député de Nancy; de Beaumarchais, secrétaire de la légation de Tanger, etc.

Des toasts ont été prononcés par le président M. Anthoine et par le conseiller municipal M. Alpy; puis M. de Leymarie a dit comment avaient été fondés les déjeuners il y a quinze ans, et le secrétaire général, M. Paul Labbé, en quelques mots très applaudis, a montré la prospérité toujours grandissante de la Société et a adressé un souvenir ému à la mémoire du regretté M. Gauthiot, son ancien secrétaire général perpétuel. Enfin M. Harmand a fait un intéressant exposé des relations du Japon et des États-Unis.

Allemagne. La dissolution du Reichstag. Le 13 décembre, le Reichstag a été dissous par l'empereur après un débat où le Centre, avec l'appui des divers partis d'opposition, socialistes, polonais et alsaciens, a mis en échec une fois de plus la politique coloniale de l'Empire. Il s'agissait, dans l'espèce, des crédits supplémentaires demandés par le gouvernement impérial pour le corps expéditionnaire de l'Afrique du Sud-Ouest. La commission du budget, sous l'influence du Centre, refusait les 30 millions de marks réclamés pour maintenir en Afrique le contingent actuel de 8.200 hommes et le Centre proposait de réduire ce contingent à 2.500 hommes. En fait, les débats, beaucoup plus importants comme tendance et comme portée, visaient toute la politique coloniale allemande. Nous avons à plusieurs reprises exposé dans le détail le différend profond qui divise l'opinion allemande sur cette question de la politique coloniale de l'Empire. Déjà, on se le rappelle, au mois de mai dernier, le Reichstag avait repoussé après une longue discussion les crédits demandés pour transformer la direction coloniale de l'Empire en ministère distinct. Depuis, l'opposition avait trouvé

un excellent terrain d'attaque dans ce qui fut appelé « les scandales coloniaux >>> provoqués par les relations d'affaires peu correctes de M. de Podbielski avec la maison Tippelskirch. La disgrâce de M. de Podbielski et son remplacement par M. Dernburg avait été une satisfaction donnée aux exigences de l'opposition, mais on voit que cette satisfaction ne devait pas être suffisante.

La discussion du 13 décembre, qui succédait à un très long débat colonial poursuivi depuis le commencement du mois, a été très émouvante. Le chancelier prince de Bülow l'a ouverte en déclarant très nettement que le gouvernement insistait formellement pour l'adoption des crédits qu'il demandait. Il a terminé cette déclaration par les paroles suivantes :

Il s'agit de faire un dernier effort pour rendre à nos colonies un repos et une sécurité durables. Si nous reculions devant cet ultime sacrifice, nous rendrions coupables d'une grave négligence et d'une faute

nous

nationale.

Je ne puis croire que le Reichstag prenne une résolution aussi regrettable et dangereuse au point de vue financier, militaire, politique et national.

Si je me trompe, je ne serai pas en état de souscrire à une pareille capitulation, étant le guide responsable des affaires de l'Empire devant le peuple allemand et devant l'histoire.

Engagé ainsi, le débat s'est de suite passionné pour devenir rapidement très aigu. M. de Bülow a alors reparu à la tribune pour faire une seconde déclaration qu'il a conclue en ces termes :

Le gouvernement ne peut se laisser dicter par les partis et le Parlement le chiffre d'hommes qui doit être employé pour poursuivre les campagnes entreprises. On ne saurait songer à subordonner à des considérations de parti la conduite d'une campagne et de mesures militaires, de la bonne exécution desquelles dépendent la vie, la prospérité, le bonheur et le malheur de tout le pays. Loin d'ici sont nos soldats, qui exposent leur vie et sont sur le point d'écraser la dernière résistance de l'ennemi. Faut-il que ces guerriers restent en arrière parce que le gouvernement, contraint par les appréhensions et la pusillanimité des partis parlementaires, trahirait leur héroisme devant l'ennemi?

Telle est la question à laquelle le gouvernement désire une réponse. Si vous voulez une crise, vous l'avez. Le bruit d'après lequel je ne dirigerais pas, mais serais dirigé moi-même, et ne ferais qu'exécuter les instructions préparées en haut lieu, est un mensonge éhonté, tout comme celui d'après lequel la guerre de guérillas en Afrique serait une espèce de sport militaire. Je n'ai nullement besoin d'instructions pour reconnaître les nécessités nationales, et j'agis uniquement d'après la conviction de ma conscience. Il ne s'agit pas d'une question de gouvernement intérieur, il ne s'agit pas d'oppositions parlementaires ni de volontés personnelles, il s'agit de convictions acquises par le gouvernement et défendues par le chancelier de l'Empire après un examen consciencieux; il s'agit de toute notre politique nationale, il s'agit plus encore de notre situation dans le mondeCroyez-vous que de pareilles choses n'aient aucune répercussion à l'étran ger? Quelle serait l'impression produite dans le pays et à l'étranger si le

QUEST. DIPL. et Col. -T. XXII.

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