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Eh, mon Dieu! ne vois-je pas venir ce vilain mar

miton de cuisine avec son grand couteau ?

LE CHAPON. C'en est fait, m'amie, notre dernière heure est venue; recommandons notre âme à Dieu.

LA POULARDE. - Que ne puis-je donner au scélérat qui me mangera, une indigestion qui le fasse crever! Mais les petits se vengent des puissants par de vains souhaits, et les puissants s'en moquent.

LE CHAPON. - Aïe! on me prend par le cou. Pardonnons à nos ennemis.

LA POULARDE. Je ne puis; on me serre, on m'emporte. Adieu, mon cher chapon.

LE CHAPON.

Adieu, pour toute l'éternité, ma chère poularde.

LES

DERNIÈRES PAROLES D'ÉPICTÈTE

ÉPICTÈTE.

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A SON FILS.

(1763.)

- Je vais mourir; j'attends de vous un souvenir tendre, et non des larmes inutiles; je meurs content, puisque je vous laisse

vertueux.

LE FILS.

Vous m'avez enseigné à l'être, mais vous savez quel trouble m'agite. Une nouvelle secte de la Palestine cherche à me donner des remords.

ÉPICTÈTE. Des remords! il n'appartient qu'aux scélérats d'en éprouver. Vos mains et votre âme sont pures. Je vous ai enseigné la vertu, et vous l'avez pratiquée.

LE FILS.

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Qui; mais cette nouvelle secte annonce une nouvelle vertu que je ne connais pas.

ÉPICTÈTE.

LE FILS. --

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Elle est composée de ces Juifs qui vendent des haillons et des philtres, et qui rognent les espèces à Rome.

ÉPICTÈTE. — La vertu qu'ils enseignent est apparemment de la fausse monnaie.

LE FILS.

Ils disent qu'il est impossible d'être vertueux sans s'être fait couper un peu de prépuce, ou sans s'être plongé dans l'eau au nom du père par le fils. Il est vrai qu'ils ne sont pas d'accord en cela : les uns veulent du prépuce, les autres n'en veulent point: ceux-ci croient l'eau nécessaire, comme Pindare qui la dit merveilleuse; ceux-là s'en passent mais tous disent qu'il leur faut donner de l'argent. ÉFICTÈTE. Comment, de l'argent ! Sans doute on doit secourir de son superflu les pauvres qui ne peuvent travailler, payer ceux qui peuvent gagner leur vie, et partager son nécessaire avec ses amis. C'est notre loi, c'est notre morale: c'est ce que j'ai fait depuis qu'Epaphro

DERNIÈRES PAROLES D'ÉPICTÈTE A SON FILS. 185

dite m'affranchit, et c'est ce que je vous ai vu faire avec une satisfaction qui rend mes derniers moments heureux.

LE FILS.

-

Les philosophes dont je vous parle exigent bien autre chose ils veulent qu'on apporte à leurs pieds tout ce qu'on a, jusqu'à la dernière obole.

ÉPICTÈTE. S'il est ainsi, ce sont des voleurs, et vous êtes obligé de les déférer au préteur ou aux centumvirs.

LE FILS. Oh non, ce ne sont point des voleurs, ce sont des marchands qui vous donnent la meilleure denrée du monde pour votre argent, car ils vous promettent la vie éternelle; et si, en mettant votre argent à leurs pieds, comme ils l'ordonnent, vous gardez seulement de quoi manger, ils ont le pouvoir de vous faire mourir subitement. ÉPICTÈTE. Ce sont donc des assassins dont il faut au plus tôt purger la société.

LE FILS. -

Non, vous dis-je, ce sont des mages qui ont des secrets admirables, et qui tuent avec des paroles. Le père, disent-ils, leur a fait cette grâce par le fils. Un de leurs prosélytes, qui pue horriblement, mais qui prêche dans les greniers avec beaucoup de succès, me disait hier qu'un de leurs parents, nommé Ananiah, ayant vendu sa métairie pour plaire au fils au nom du père, porta tout l'argent aux pieds d'un mage nommé Barjone, mais qu'ayant gardé en secret de quoi acheter le nécessaire pour son petit enfant, il fut puni de mort sur-le-champ. Sa femme vint ensuite; Barjone la fit mourir de même en prononçant une seule parole.

ÉPICTÈTE. Mon fils, voilà d'abominables gens. Si la chose, était vraie, ils seraient les plus infâmes criminels de la terre. On vous a conté des histoires ridicules; vous êtes un bon enfant, mais j'ai peur que vous ne soyez un imbécile, et cela me fâche.

LE FILS.

Mais, mon père, si on gagne la vie éternelle en donnant tout son bien à Simon Barjone, il est clair qu'on fait un bon marché. ÉPICTÈTE. Mon fils, la vie éternelle, la communication avec l'Etre suprême n'a rien de commun, croyez-moi, avec votre Simon Barjone. Le Dieu très-bon et très-grand, Deus optimus maximus, qui anima les Caton, les Scipion, les Cicéron, les Paul-Emille, les Camille, le père des dieux et des hommes, n'a pas, sans doute, remis son pouvoir entre les mains d'un Juif. Je savais que ces misérables étaient au rang des plus superstitieux peuples de la Syrie, mais je ne savais pas qu'ils osassent porter leur démence jusqu'à se dire les premiers ministres de Dieu.

LE FILS.

Mais, mon père, ils font continuellement des miracles. (Ici le bonhomme Épictète ricane.) Vous ricanez, mon père, vous levez les épaules. ÉPICTÈTE.

Hélas! un mourant n'a guère envie de rire, mais tu m'y forces, mon pauvre enfant. As-tu vu des miracles?

LE FILS. - Non, mais j'ai parlé à des hommes qui avaient parlé à des femmes qui disaient que leurs commères en avaient vu. Et puis la belle morale que la morale des Juifs, qui sont sans prépuce, et qu'on lave depuis les pieds jusqu'à la tête !

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DERNIÈRES PAROLES D'ÉPICTÈTE A SON FILS.

ÉPICTÈTE.

LE FILS.

-

Et quels sont donc les préceptes moraux de ces gens-là? C'est premièrement qu'un homme riche ne peut être un homme de bien, et qu'il lui est plus difficile de gagner le royaume des cieux ou le jardin, qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, moyennant quoi tous les riches doivent donner leurs biens aux gueux qui prêchent ce royaume ou ce jardin ;

2° Qu'il n'y a d'heureux que les sots, les pauvres d'esprit';

3o Que quiconque n'écoute pas l'assemblée des gueux doit être détesté comme un receveur des impôts3;

4o Que si l'on ne hait pas son père, sa mère et ses frères, on n'a point de part au royaume ou au jardin ';

5° Qu'il faut apporter le glaive et non la paix 5;

6° Que quand on fait un festin de noces, il faut forcer tous les passants à venir aux noces, et jeter dans un cul de basse-fosse extérieure ceux qui n'auront pas la robe nuptiale ".

ÉPICTÈTE.- Hélas! mon sot enfant, j'étais tout à l'heure sur le point de mourir de rire, et je sens à présent que tu me feras mourir d'indignation et de douleur. Si les malheureux dont tu me parles séduisent le fils d'Epictète, ils en séduiront bien d'autres. Je prévois des malheurs épouvantables sur la terre. Ces énergumènes sont-ils nombreux? Leur nombre augmente de jour en jour; ils ont une caisse commune dont ils payent quelques Grecs qui écrivent pour eux. Ils ont inventé des mystères; ils exigent un secret inviolable; ils ont institué des inspirés qui décident de tous leurs intérêts, et qui ne souffrent pas que les gens de la secte plaident jamais devant les magistrats. Imperium in imperio. Mon fils, tout est perdu.

LE FILS.

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ÉPICTÈTE.

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DIALOGUE

DU DOUTEUR ET DE L'ADORATEUR,

LE DOUTEUR.

L'ADORATEUR.

les yeux.

LE DOUTEUR.

L'ADORATEUR.

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PAR M. L'ABBÉ DE TILLADET".

(1763.)

Comment me prouverez-vous l'existence de Dieu?
Comme on prouve l'existence du soleil, en ouvrant

Vous croyez donc aux causes finales?

Je crois une cause admirable quand je vois des

1. Matthieu, chap. XIX, v. 24. (ÉD.) 3. Id., chap. XVIII, v. 17. (ED.)

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4. Luc, chap. XIV, v. 26; et Matthieu, chap. x, v. 36, 37 et 38. (ED.) 5. Matthieu, chap. x, v. 34. (Ed.) ·

6. Id., chap. xxII, v. 13. (ED.)

7. Publiant ce dialogue en 1763, et le commentaire sur Malebranche en 1772, sous le nom de l'abbé de Tilladet, Voltaire n'avait pas à craindre de lui attirer des persécutions; car Jean-Marie de La Marque, abbé de Tilladet, était mort dès 1715. (Note de M. Beuchot.)

effets admirables. Dieu me garde de ressembler à ce fou qui disait qu'une horloge ne prouve point un horloger, qu'une maison ne prouve point un architecte, et qu'on ne pouvait démontrer l'existence de Dieu que par une formule d'algèbre ! encore était-elle erronée.

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Quelle est votre religion?

L'ADORATEUR. C'est non-seulement celle de Socrate, qui se moquait des fables des Grecs, mais celle de Jésus, qui confondait les pharisiens.

LE DOUTEUR.

Si vous êtes de la religion de Jésus, pourquoi n'êtesvous pas de celle des jésuites, qui possèdent trois cents lieues de pays en long et en large au Paraguai? pourquoi ne croyez-vous pas aux prémontrés, aux bénédictins, qui Jésus a donné tant de riches ab

bayes?

L'ADORATEUR.

--

Jésus n'a institué ni les bénédictins, ni les prémontrés, ni les jésuites.

LE DOUTEUR. Pensez-vous qu'on puisse servir Dieu en mangeant du mouton le vendredi et n'allant point à la messe ?

L'ADORATEUR.

LE DOUTEUR.

-

- Je le crois fermement, attendu que Jésus n'a jamais dit la messe, et qu'il mangeait gras le vendredi et même le samedi. Vous pensez donc qu'on a corrompu la religion simple et naturelle de Jésus, qui était apparemment celle de tous les sages de l'antiquité ? L'ADORATEUR. Rien ne paraît plus évident. Il fallait bien qu'au fond il fût un sage, puisqu'il déclamait contre les prêtres imposteurs, et contre les superstitions; mais on lui impute des choses qu'un sage n'a pu ni faire ni dire. Un sage ne peut chercher des figues au commencement de mars sur un figuier', et le maudire parce qu'il n'a point de figues. Un sage ne peut changer l'eau en vin3 en faveur de gens déjà ivres. Un sage ne peut envoyer des diables dans le corps de deux mille cochons, dans un pays où il n'y a point de cochons. Un sage ne se transfigure point pendant la nuit pour avoir un habit blanc. Un sage n'est pas transporté par le diable'. Un sage, quand il dit que Dieu est son père, entend sans doute que Dieu est le père de tous les hommes le sens dans lequel on a voulu l'entendre est impie et blasphématoire.

Il paraît que les paroles et les actions de ce sage ont été très-mal recueillies; que parmi plusieurs histoires de sa vie, écrites quatre-vingtdix ans après lui, on a choisi les plus improbables, parce qu'on les crut les plus importantes pour des sots. Chaque écrivain se piquait de rendre cette histoire merveilleuse. Chaque petite société chrétienne avait son Évangile particulier. C'est la raison démonstrative pour laquelle ces Évangiles ne s'accordent presque en rien. Si vous croyez à un Évangile, vous êtes obligé de renoncer à tous les autres. Voilà une plaisante

1. Maupertuis. (Éd.)

2. Matthieu, XI, 19; Marc, x1, 13. (ÉD.) - 3. Jean, II, 9. (ÉD.)

4. Matthieu, vIII, 32; Marc, v, 13. (ED.)

5. Matthieu, xvII, 2; Marc, Ix, 2; Luc, íx. 29. (ÉD.)

6. Matthieu, iv, 8; Luc, IV, 5. (ED.)

marque de vérité qu'une contradiction perpétuelle; voilà une plaisante sagesse que des folies qui se combattent.

Il est donc démontré que des fanatiques ont séduit d'abord des hommes simples qui en ont ensuite séduit d'autres. Les derniers ont encore enchéri sur les premiers. L'histoire véritable de Jésus n'était probablement que celle d'un homme juste qui avait repris les vices des pharisiens, et que les pharisiens firent mourir. On en fit ensuite un prophète, et, au bout de trois cents ans, on en fit un Dieu; voilà la marche de l'esprit humain.

Il est reconnu par les fanatiques, même les plus entêtés, que les premiers chrétiens employèrent les fraudes les plus honteuses pour soutenir leur secte naissante. Tout le monde avoue qu'ils forgèrent de fausses prédictions, de fausses histoires, de faux miracles. Le fanatisme s'étendit de tous côtés; et enfin, dès qu'il a été dominant, il n'a soutenu que par des bourreaux ce qu'il avait établi par l'imposture et par la démence. Chaque siècle a tellement corrompu la religion de Jésus, que celle des chrétiens lui est toute contraire.

1

Si on a fait dire à Jésus que son royaume n'est pas de ce monde, ceux qui prétendent être les successeurs de ses premiers disciples ont été, autant qu'ils l'ont pu, les tyrans du monde, et ont marché sur la tête des rois. Si Jésus a vécu pauvre, ses étranges successeurs ont ravi nos biens et le prix de nos sueurs.

Considérez les fêtes que Jésus observa; elles étaient toutes juives; et Dous faisons brûler ceux qui célèbrent des fêtes juives. Jésus a-t-il dit qu'il y avait en lui deux natures? non; et nous lui donnons deux natures. Jésus a-t-il dit que Marie était mère de Dieu ? non; et nous la faisons mère de Dieu. Jésus a-t-il dit qu'il était trin et consubstantiel? non; et nous l'avons fait consubstantiel et trin. Montrez-moi un seul rite que vous ayez observé précisément comme lui; dites-moi un seul de vos dogmes qui soit précisément le sien; je vous en défie.

LE DOUTEUR. chrétien.

Mais, monsieur, en parlant ainsi, vous n'êtes pas

L'ADORATEUR. Je suis chrétien comme l'était Jésus, dont on a changé la doctrine céleste en doctrine infernale. S'il s'est contenté d'être juste, on en a fait un insensé qui courait les champs dans une petite province juive, en comparant les cieux à un grain de moutarde 3.

LE DOUTEUR.

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Que pensez-vous de Paul, meurtrier d'Etienne, persécuteur des premiers Galiléens, depuis Galiléen lui-même et persécuté? Pourquoi rompit-il avec Gamaliel, son maître? est-ce, comme le disent quelques Juifs, parce que Gamaliel lui refusa sa fille en mariage, parce qu'il avait les jambes torses, la tête chauve, et les sourcils joints, ainsi qu'il est rapporté dans les Actes de Thècle, sa favorite? a-t-il écrit enfin les épîtres qu'on a mises sous son nom?

1. Jean, XVIII, 36. (ED.)

2. C'est la traduction du mot latin trinus, triple. (ED.)

3. Matthieu, XIII, 31. (ED.)

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