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CHIRURGIEN-DENTISTE, SEIGNEUR DU TILLOY, PRÈS MONTARGIS,

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Vous savez que j'ai recrépi à mes dépens l'église du Tilloy, et que j'ai raccommodé les deux tiers de la tribune, qui était pourrie : à peine m'en avez-vous remercié; je ne m'en suis pas seulement remercié moimême; cela n'a fait aucun bruit, tandis que M. Le Franc de Pompignan de Montauban jouit d'une gloire immortelle.

Vous me direz que cette gloire, il se l'est donnée à lui-même; qu'il a tout arrangé, tout fait, jusqu'au sermon qu'on a prononcé à son honneur dans l'église de son village; qu'il a fait imprimer ce sermon et la relation de cette belle fête, à Paris, chez Barbou, rue Saint-Jacques, aux Grues2; que quand on veut passer à la postérité, il faut se donner beaucoup de peine, et que je ne m'en suis donné aucune. Vous avez craint, dites-vous, le sort des prédicateurs modernes que M. Le Franc de Pompignan traite dans sa Préface d'écrivains impertinents, comme il a traité les académiciens de Paris de libertins, dans son Discours à l'Académie. Mais, mon cher pasteur, on n'exige pas d'un curé de campagne l'éloquence d'un évêque du Puy,

Ne pouviez-vous pas vaincre ma modestie, et me forcer doucement à recevoir l'immortalité? Qui vous empêchait de comparer l'église du Tilloy (page 3) à la sainte cité de Jérusalem descendant du ciel? Ne vous était-il pas aisé de me louer, moi présent? c'est ainsi qu'on en a usé à Pompignan: on adressa la parole à M. de Pompignan, immédiatement avant d'implorer les lumières du Saint-Esprit et de la vierge Marie. On a eu soin de mettre en marge : « M. le marquis de Pompignan présent. »

Quand je vous ai fait de doux reproches sur votre négligence dans une affaire si grave, vous m'avez répondu que c'est ma faute de n'avoir point pris le titre de marquis; que mon grand-père n'était que docteur en médecine de la Faculté de Bourges; que celui de M. de Pompignan était professeur en droit canon à Cahors vous ajoutez que votre paroisse est trop près de Paris, et que ce qui est grand et admirable à

1. L'Ecluse, tour à tour acteur de la Foire, dentiste, entrepreneur de spectacles et comédien pour la seconde fois, mourut en 1792. (ED.)

2. Discours prononcé (le 24 octobre 1762) dans l'église de Pompignan, le jour de sa bénédiction, par M. de Reyrac; à Villefranche de Rouergue, chez Pierre Vedeilhie; à Paris, chez J. Barbou, rue Saint-Jacques, aux Cigognes; 1762, in-8°. C'était l'ouvrage de l'abbé Fr.-Ch. de Saint-Laurent de Reyrac, ne en 1734, mort à Orléans le 22 décembre 1782, connu par son Hymne au Soleil. Les mots entre guillemets sont dans l'imprimé, auquel se rapportent aussi les indications entre parenthèses. (Note de M. Beuchot.)

deux cents lieues de la capitale n'a peut-être pas tant d'éclat dans son voisinage.

Cependant, monsieur, il m'est bien dur de n'avoir travaillé que pour Dieu, tandis que M. de Pompignan reçoit sa récompense dans ce monde. M. le marquis de Pompignan fait la description de sa procession. Il y avait, dit-il, à la tête un jeune jésuite (page 32), derrière lequel marchait immédiatement M. de Pompignan avec son procureur fiscal.

Mais, monsieur, n'avons-nous pas eu aussi une procession, un procureur fiscal et un greffier? et s'il m'a manqué le derrière d'un jeune jésuite, cela ne peut-il pas se réparer ?

M. Le Franc rapporte que M. l'abbé Lacoste officia d'une manière imposante: n'avez-vous pas officié d'une manière édifiante? Nous avons entendu parler d'un abbé Lacoste qui en imposait en effet; c'était un associé du sieur Fréron, et on fit même un passe-droit à ce dernier pour avancer l'abbé Lacoste dans la marine; je ne crois pas que ce soit le même dont M. de Pompignan nous parle'.

Au reste, monsieur, l'église du Tilloy avait un très-grand avantage sur celle de Pompignan: vous avez une sacristie, et M. de Pompignan avoue lui-même qu'il n'en a point, et que le prêtre, le diacre, et le sous-diacre, furent obligés de s'habiller dans sa bibliothèque cela est un peu irrégulier; mais aussi il a parlé de sa bibliothèque au roi; il est dit en marge (page 31) qu'un ministre d'Etat a trouvé sa bibliothèque fort belle; on y trouve une collection immense de tous les exemplaires qu'on a jamais tirés des cantiques hébraïques de M. de Pompignan, et de son discours à l'Académie française; tandis que les petits écrits badins où l'on se moque un peu de M. de Pompignan sont condamnés à être dispersés en feuilles volantes abandonnées à leur mauvais sort sur toutes les cheminées de Paris, où il peut avoir la satisfaction de les voir pour les immoler à sa gloire.

Il est dit même dans le sermon prononcé à Fompignan « que Dieu donne à ce marquis la jeunesse et les ailes de l'aigle, qu'il est assis près des astres (page 14), que l'impie rampe à ses pieds dans la boue, qu'il est admiré de l'univers, et que son génie brille d'un éclat immortel. D

Voilà, monsieur, la justice que se rend à lui-même le marquis, tandis que je reste inconnu au Tilloy.

On ajoute que M. le marquis eut ce jour-là une table de vingt-six couverts (page 38); je vois que la Renommée est aussi injuste que la Fortune; nous étions trente-deux le jour de la dédicace de votre église, et cela n'a pas seulement été remarqué dans Montargis.

Enfin il est parlé de Mme la marquise de Pompignan, et on n'a pas dit un mot de Mme de L'Ecluse; on se prévaut même du jugement du sieur Fréron, qui appelle cette partie du sermon une églogue en prose (page 36), éloge qu'il donne aussi aux vers de M. de Pompignan.

1. L'abbé Lacoste, qui bénit l'église de Pompignan, était grand chantre du chapitre de l'église cathédrale de Cahors. Voltaire fait semblant de le confondre avec un autre abbé Lacoste, condamné aux galères en 1760, et mort avant d'y être arrivé. (Note de M. Beuchot.)

Enfin M. de Pompignan jouit de tous les honneurs possibles, depuis son beau discours à l'Académie française; la France ne parle que de lui, et je suis oublié ; je demande à messieurs de l'Académie si cela est juste.

J'ai l'honneur d'être, etc.

RELATION DU VOYAGE

DE M. LE MARQUIS LE FRANC DE POMPIGNAN, DEPUIS POMPIGNAN JUSQU'A FONTAINEBLEAU,

ADRESSÉ AU PROCUREUR FISCAL DU VILLAGE DE POMPIGNAN.

(1763.)

Vous fûtes témoin de ma gloire, mon cher ami; vous étiez à côté de moi dans cette superbe procession, lorsque j'étais derrière un jeune jésuite. Tous les bourdons du pays se faisaient entendre, tous les paysans étaient mes gardes. Vous entendîtes ce sermon, dans lequel il est dit que j'ai la jeunesse de l'aigle, et que je suis assis près des astres, tandis que l'envie gémit sous mes pieds. Vous savez combien ce sermon me coûta de soins; je le refis jusqu'à trois fois, à l'aide de celui qui le prononça; car on ne parvient à la postérité qu'en corrigeant ses ouvrages dans le temps présent.

Vous assistâtes à ce splendide repas de vingt-six couverts, dont il sera parlé à jamais. Vous savez que je me dérobai quelques jours après aux acclamations de la province; je pris la poste pour la cour; ma réputation me précédait partout. Je trouvai à Cahors mon portrait en taille-douce dans le cabaret : il y avait au bas cinq petits vers qui faisaient une belle allusion aux astres, auprès desquels je suis assis :

Le Franc plane sur l'horizon :
Le ciel en rit, l'enfer en pleure.
L'Empyrée était le beau nom
Que lui donna l'ami Piron;

Et c'est à présent sa demeure.

Dès que j'arrivai à Limoges, je rencontrai le petit-fils de M. de Pourceaugnac; il était instruit de ma fête; il me dit qu'elle ressemblait parfaitement au repas bien troussé que M. son grand-père avait donné. Nous nous séparâmes à regret l'un de l'autre.

Quand j'arrivai à Orléans, je trouvai que la plupart des chanoines savaient déjà par cœur les endroits les plus remarquables de mon discours. Je me hâtai d'arriver à Fontainebleau, et j'allai le lendemain au

1. M. de l'Empyrée est le nom que Piron a donné au principal personnage de la Métromanie. (ED.)

RELATION DU VOYAGE DE LE FRANC DE POMPIGNAN.

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lever du roi, accompagné de M. Fréron, que j'avais mandé exprès. Dès que le roi nous vit, il nous adresse gracieusement la parole à l'un et à l'autre. << Monsieur le marquis, me dit Sa Majesté, je sais que vous avez à Pompignan autant de réputation qu'en avait à Cahors votre grand-père le professeur. N'auriez-vous point sur vous ce beau sermon de votre façon qui a fait tant de bruit? » J'en présentai alors des exemplaires au roi, à la reine, à M. le dauphin. Le roi se fit lire à haute voix, par son lecteur ordinaire, les endroits les plus remarquables. On voyait la joie répandue sur tous les visages; tout le monde me regardait en rétrécissant les yeux, en retirant doucement vers les joues les deux coins de la bouche, et en mettant les mains sur les côtés, ce qui est le signe pathologique de la joie. « En vérité, dit M. le dauphin, nous n'avons en France que M. le marquis de Pompignan qui écrive de ce style.

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<< Allez-vous souvent à l'Académie? me dit le roi. Non, sire, lui répondis-je. — L'Académie va donc chez vous? » reprit le roi (c'était précisément le même discours que Louis XIV avait tenu à Despréaux ). Je répondis que l'Académie n'est composée que de libertins et de gens de mauvais goût, qui rendent rarement justice au mérite. Et vous, dit le roi à M. Fréron, n'êtes-vous pas de l'Académie?— Pas encore,» répondit M. Fréron. Il eut alors l'honneur de présenter ses feuilles à la famille royale, et je restai à causer avec le roi. « Sire, lui dis-je, vous connaissez ma bibliothèque ? Oh tant! dit le roi, vous m'en avez tant parlé dans un de vos beaux mémoires... >>

Comme nous en étions là, le roi et moi, la reine s'approcha, et me demanda si je n'avais pas fait quelque nouveau psaume judaïque. J'eus l'honneur de lui réciter sur-le-champ le dernier que j'ai composé, voici la plus belle strophe :

Quand les fiers Israélites,
Des rochers de Beth-Phégor,
Dans les plaines moabites,
3'avancèrent vers Achor;
Galgala saisi de crainte
Abandonna son enceinte,
Fuyant vers Samaraïm;

Et dans leurs rocs se cachèrent

Les peuples qui trébuchèrent

De Béthel à Séboïm '.

dont

Ce ne fut qu'un cri autour de moi, et je fus reconduit avec des acclamations universelles, qui ressemblaient à celles de Nicole dans le Bourgeois gentilhomme.

Le temps et la gloire me pressent; vous aurez le reste par la première poste.

1. Je n'ai trouvé ces vers dans aucune des éditions que j'ai vues des OEuvres de Le Franc de Pompignan. (Note de M. Beuchot.)

COMPLIMENT

QUI DEVAIT ÊTRE PRONONCÉ A L'OUVERTURE DU THÉATRE FRANÇAIS, LE 11 AVRIL 1763.

MESSIEURS,

Jusqu'à ce jour l'usage n'a pas été que les actrices eussent l'honneur de vous adresser la parole. J'ai réclamé cet avantage.

Les juges les plus sévères n'ont point coutume d'interdire à mon sexe le privilége de les solliciter. La balance de Thémis n'altère pas en eux le caractêre français; ils nous reçoivent avec plus d'égards, nous écoutent avec plus d'attention, et (sans en être moins intègres) ils sont souvent plus favorables. Je me flatte, messieurs, que vous daignerez les imiter. Nous ne pouvons vous annoncer avec trop de ménagements les choses affligeantes, et c'est au sexe le plus sensible que semble appartenir le droit de vous y préparer.

Vous pressentez, sans doute, messieurs, que je vais parler de Mlle Gaussin et de Mlle Dangeville. L'éloge de ces deux femmes vous paraîtra peut-être, messieurs, moins suspect, plus touchant, et plus rare dans la bouche d'une autre femme.

On a l'obligation à Mlle Gaussin d'un genre nouveau de comédie : sa figure charmante, les grâces ingénues de son jeu, le son intéressant de sa voix, ont fait imaginer de mettre en action des tableaux anacréontiques. Ses yeux parlaient à l'âme, et l'amour semblait l'avoir fait naître pour prouver que la volupté n'a pas de parure plus piquante que la naïveté.

Cette perte était assez grande : celle de Mlle Dangeville achève de nous accabler. Cette actrice si pleine de finesse et de vérité, qui renferme en elle seule de quoi faire la réputation de cinq ou six actrices, cette favorite des Grâces à laquelle personne ne peut ressembler, puisque dans tous les rôles elle ne se ressemblait pas elle-même; Mlle Dangeville se dérobe à sa propre gloire, et fait succéder vos regrets à vos acclamations.

Vous n'avez rien épargné, messieurs, pour la retenir. Vos applaudissements réitérés exprimaient ce que vous paraissiez en droit d'en exiger, et semblaient lui dire « Vous faites nos plaisirs; Thalie vous a ouvert tous ses trésors, elle vous a dispensé les richesses de tous les âges; vos perfections toujours nouvelles triompheront du temps pourquoi nous quittez-vous? »

Les auteurs lui répétaient sans cesse : « Nous trouvons si rarement un acteur pour chaque caractère, vous les saisissez tous; nous avons tant de peine à vaincre les cabales, votre présence les enchaîne; notre art est si difficile, vous aplanissez nos obstacles; vous n'en rencontrez point pour atteindre l'excellence du vôtre, et vous savez si bien le mé

1. L'Oracle et les Gráces, comédies de Saint-Foix. (ÉD.)

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