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LYCISCAS.

Ho! ho! ho! ho! La peste soit des gens avec leurs chiens de hurlements! Je me donne au diable si je ne vous assomme. Mais voyez un peu quel diable d'enthousiasme il leur prend de me venir chanter aux oreilles comme cela. Je...

MUSICIENS.

Debout.

LYCISCAS.

Encore?

MUSICIENS.

Debout.

LYCISCAS.

Le diable vous emporte!

MUSICIENS

Debout.

LYCISCAS, en se levant.

Quoi! toujours? A-t-on jamais vu une pareille furie de chanter? Par la sambleu! j'enrage. Puisque me voilà éveillé, il faut que j'éveille les autres, et que je les tourmente comme on m'a fait. Allons, ho, messieurs, debout, debout, vite; c'est trop dormir. Je vais faire un bruit de diable partout. (11 crie de toute sa force.) Debout, debout, debout! Allons vite, ho! ho! ho! debout, debout! Pour la chasse ordonnée, il faut préparer tout: debout! debout! Lyciscas, debout! Ho! ho! ho! ho! ho!

Lyciscas s'étant levé avec toutes les peines du monde, et s'étant mis à crier de toute sa force, plusieurs cors et trompes de chasse se firent entendre, et concertés avec les violons commencèrent l'air d'une entrée, sur laquelle six valets de chiens dansèrent avec beaucoup de justesse et de disposition, reprenant à certaines cadences le son de leurs cors et trompes. C'étoient les sieurs Paysan, Chicanneau, Noblet, Pesan, Bonard et La Pierre.

LA

PRINCESSE D'ÉLIDE

COMÉDIE GALANTE

MÊLÉE DE MUSIQUE ET D'ENTRÉES DE BALLET

8 mai 1664

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1. La liste des acteurs est donnée par le texte même, et n'a par conséquent rien de douteux. La relation indique également la plupart des personnages qui remplirent les rôles des intermèdes; on les trouvera au courant du récit.

2. Armande Béjart obtint dans ce rôle un très-brillant succès qui eut, dit-on, de funestes suites pour son mari. Voici comment s'exprime le libelle de la Fameuse Comédienne: «Molière ayant fait la Princesse d'Élide, où la Molière joue la princesse, qui étoit le premier rôle considérable où elle eût paru, parce que la Duparc les jouoit tous et étoit l'héroïne du théâtre, elle y parut avec tant d'éclat que Molière eut tout lieu de se repentir de l'avoir exposée au milieu de cette jeunesse brillante de la

cour. »

3. Ce Prévost étoit au service de la troupe, et on lui confioit parfois des bouts de rôle pour lesquels il recevoit une gratification journalière.

LA

PRINCESSE D'ÉLIDE

COMÉDIE - BALLET

ACTE PREMIER.

ARGUMENT.

Cette chasse qui se préparoit ainsi étoit celle d'un prince d'Élide, lequel étant d'humeur galante et magnifique, et souhaitant que la princesse sa fille se résolût à aimer et à penser au mariage, qui étoit fort contre son inclination, avoit fait venir en sa cour les princes d'Ithaque, de Messène et de Pyle, afin que dans l'exercice de la chasse qu'elle aimoit fort, et dans d'autres jeux, comme des courses de chars et semblables magnificences, quelqu'un de ces princes pût lui plaire et devenir son époux.

SCÈNE PREMIÈRE.

Euryale, prince d'Ithaque, amoureux de la princesse d'Élide, et Arbate son gouverneur, lequel, indulgent à la passion du prince, le loue de son amour au lieu de l'en blâmer, en des termes fort galants.

EURYALE, ARBATE.

ARBATE.

Ce silence rêveur, dont la sombre habitude

Vous fait à tous moments chercher la solitude;

Ces longs soupirs que laisse échapper votre cœur,
Et ces fixes regards si chargés de langueur,
Disent beaucoup, sans doute, à des gens de mon âge;
Et je pense, seigneur, entendre ce langage;
Mais, sans votre congé, de peur de trop risquer,
Je n'ose m'enhardir jusques à l'expliquer.

EURYALE.

Explique, explique, Arbate, avec toute licence,
Ces soupirs, ces regards, et ce morne silence.
Je te permets ici de dire que l'Amour

M'a rangé sous ses lois, et me brave à son tour;
Et je consens encore que tu me fasses honte

Des foiblesses d'un cœur qui souffre qu'on le dompte.

ARBATE.

Moi, vous blâmer, seigneur, des tendres mouvements
Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentiments!
Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon âme
Contre les doux transports de l'amoureuse flamme;
Et bien que mon sort touche à ses derniers soleils,
Je dirai que l'amour sied bien à vos pareils;
Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage,
De la beauté d'une âme est un clair témoignage,

Et qu'il est malaisé que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux.
C'est une qualité que j'aime en un monarque:
La tendresse du cœur est une grande marque
Que d'un prince à votre âge on peut tout présumer,
Dès qu'on voit que son âme est capable d'aimer.
Oui, cette passion, de toutes la plus belle,
Traîne dans un esprit cent vertus après elle:
Aux nobles actions elle pousse les cœurs,
Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs.

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