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LE MARQUIS.

Ma foi, chevalier, tu ferois mieux de te taire.

DORANTE.

Fort bien. Mais enfin si nous nous regardions nousmêmes, quand nous sommes bien amoureux...

LE MARQUIS.

Je ne veux pas seulement t'écouter.

DORANTE.

Écoute-moi si tu veux. Est-ce que, dans la violence de

la passion...?

LE MARQUIS.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

Quoi ?

DORANTE.

LE MARQUIS.

(Il chante.)

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

Je ne sais pas si...

DORANTE.

LE MARQUIS.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la

Il me semble que...

URANIE.

LE MARQUIS.

La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.

URANIE.

Il se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on en pourroit bien faire une petite comédie, et que cela ne seroit pas trop mal à la queue de l'École des Femmes.

Vous avez raison.

DORANTE.

LE MARQUIS.

Parbleu! chevalier, tu jouerois là-dedans un rôle qui ne te seroit pas avantageux.

Il est vrai, marquis.

DORANTE.

CLIMÈNE.

Pour moi, je souhaiterois que cela se fit, pourvu qu'on traitât l'affaire comme elle s'est passée.

ÉLISE.

Et moi, je fournirois de bon cœur mon personnage.

LYSIDAS.

Je ne refuserois pas le mien, que je pense.1

URANIE.

Puisque chacun en seroit content, chevalier, faites un mémoire de tout, et le donnez à Molière, que vous connoissez, pour le mettre en comédie.

CLIMÈNE.

Il n'auroit garde, sans doute, et ce ne seroit pas des vers à sa louange.

URANIE.

Point, point; je connois son humeur : il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne du monde.

DORANTE,

Oui. Mais quel dénouement pourroit-il trouver à ceci? Car il ne sauroit y avoir ni mariage, ni reconnoissance; et

1. Ce dernier trait achève de peindre la suffisance de M. Lysidas. Battu sur tous les points par Dorante qui n'a pas même ménagé sa personne, quoiqu'il ne l'ait attaquée qu'indirectement, il croit avoir eu tout l'avantage dans la dispute, et il ne demanderoit pas mieux que de se voir représenter fidèlement dans la petite comédie dont on parle. Telle est, au reste, la fin de toutes les discussions; chacun s'en retire un peu plus affermi dans son opinion, et content de soi, comme l'observe fort bien Uranie. (AUGER.)

je ne sais point par où l'on pourroit faire finir la dispute.

URANIE.

Il faudroit rêver quelque incident pour cela.

SCÈNE VIII.

CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE,
LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.

GALOPIN.

Madame, on a servi sur table.

DORANTE.

Ah! voilà justement ce qu'il faut pour le dénouement que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre, comme nous avons fait, sans que personne se rende; un petit laquais viendra dire qu'on a servi, on se lèvera, et chacun ira souper.

URANIE.

La comédie ne peut pas mieux finir, et nous ferons bien d'en demeurer là.1

1. La Critique de l'École des Femmes pourroit être comparée à ces feuilles sur lesquelles un grand peintre jette avec rapidité, au moment de l'inspiration, des poses, des attitudes, des airs de tête, qu'il doit transporter au besoin dans ses compositions. En parcourant des yeux ce léger crayon, fruit de la circonstance et d'un heureux accès d'humeur satirique contre d'injustes censeurs, on est frappé du nombre de figures originales que Molière a placées depuis dans ses plus importants ouvrages, en leur donnant, à la vérité, le développement et le coloris qu'elles ne pouvoient avoir dans une simple esquisse. Quelques traits détachés du rôle de Climène et du portrait d'Araminte ont servi à composer les personnages de la prude Arsinoé et de la pédante Philaminte. Élise et Uranie semblent se reproduire dans la raisonnable et spirituelle Henriette. Lysidas, si bassement jaloux de ses confrères, et si sottement satisfait de lui-même, se retrouve tout entier dans Trissotin. Enfin, Dorante, ingénieux défenseur de la cour contre un pédant qui l'outrage sans la connoitre, reparoit à nos yeux sous le nom de Clitandre. (AUGER.)

L'IMPROMPTU

DE VERSAILLES

COMÉDIE EN UN ACTE

24 octobre 1663

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