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NOTICE PRÉLIMINAIRE.

La Critique de l'École des Femmes exaspéra les ennemis du poëte comique. Les censeurs, si spirituellement raillés, voulurent avoir leur revanche; et aussitôt on vit, du milieu de la foule, s'élancer des écrivains qui se firent les interprètes des colères soulevées de toutes parts. Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne se mirent tout naturellement à la tête du mouvement; ils étoient animés d'une violente jalousie contre ce chef d'une troupe de campagne qui les avoit supplantés dans la faveur du monarque et dépossédés du privilége, à la fois si glorieux et si profitable, de divertir la cour. Ils réclamoient en vain ce qui leur sembloit un droit inhérent à leur titre de troupe royale; ils protestoient, sollicitoient, briguoient.1 Ces comédiens rivaux ne pouvoient manquer, par conséquent, de prendre l'initiative dans la lutte qui éclatoit.

Nous avons retracé sommairement dans la Vie de Molière les

1. La Grange, une année avant l'époque de la Critique, inscrivoit sur son registre la mention suivante : « Le samedi 24 juin (1662), la troupe est partie, par ordre du roi, pour aller à Saint-Germain-en-Laye. On a joué treize fois devant Leurs Majestés. La troupe est revenue le vendredi 11 août. Le roi a donné à la troupe 14,000 livres, croyant qu'il n'y avoit que quatorze parts; cependant la troupe étoit de quinze parts. La reine-mère fit venir les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, qui la sollicitèrent (MM. Floridor, Montfleury) de leur procurer l'avantage de servir le roi, la troupe de Molière leur donnant beaucoup de jalousie. Reçu 14,000 livres, lesquelles ont été payées en trois payements, savoir: 6,000 livres, 17 août 1662; 4,000 livres, 12 mars 1663; 4,000 livres, 9 mai suivant. >>

divers épisodes de cette guerre comique, pour nous servir d'un mot qui a été employé à cette époque même. De Villiers, le premier, essaya de répondre à la Critique par sa Zélinde (juillet 1663). Cette pièce étoit une compilation minutieuse et détaillée de tous les griefs articulés par les détracteurs de Molière et de l'École des Femmes; mais cette compilation étoit lourde et indigeste; et les comédiens de l'hôtel de Bourgogne ne crurent pas possible sans doute de représenter l'œuvre de leur camarade. Ils demandèrent une pièce à un jeune auteur, Edme Boursault, qui s'empressa de composer le Portrait du Peintre.

Le Portrait du Peintre fut joué à l'hôtel de Bourgogne dans le mois d'août ou de septembre (on ignore l'époque précise). Les nombreuses rivalités et inimitiés qui s'étoient coalisées contre Molière firent une sorte de succès à cette comédie.

<«< Chacun est demeuré d'accord, dit un contemporain,1 que celui qui l'avoit faite a un pinceau et des couleurs à représenter parfaitement bien les choses. Zoïle (Molière) a été lui-même témoin, non pas sans quelque chagrin, des applaudissements universels qu'on a donnés à ce spirituel tableau; et je crois qu'à présent il a bien changé le dessein qu'il pouvoit avoir de riposter, et qu'il s'en tiendra à cette première bernerie. » L'auteur, en ceci, n'étoit pas bon prophète.

« Vite, promptement, tôt le déconcerta, dit un autre, et le ouf! lui fut un coup de massue dont il est encore étourdi. » Quand on cherche dans la pièce de Boursault ce passage qui auroit été si cruel à Molière, voici ce qu'on lit :

Eh! parlez, dépéchez, vite, promptement, tôt !
On appelle cela réciter comme il faut!
Verra-t-on en lisant, fût-on grand philosophe,
Ce que veut dire un ouf! qui fait la catastrophe?
Baron, ouf! que dis-tu de cet ouf! placé là?
Par ma foi! cher baron, il faut voir tout cela.

Il est difficile de deviner ce qui pouvoit, dans ces vers, produire sur Molière un effet si accablant. Donnons encore deux ou trois échantillons de cette critique: voici ce qui concerne la scène du notaire (scène 11 du IVe acte de l'École des Femmes ) :

1. L'auteur anonyme du Panegyrique de l'École des Femmes.

Est-il rien de si beau que l'endroit du notaire?
Et cet endroit charmant qu'on a tant admiré
Avec tout l'art possible n'est-il pas digéré?
Le petit dialogue est d'une adresse extrême,
Car ce que dit Arnolphe, il le dit en lui-même,
Et les moins délicats sont d'accord sur ce point
Qu'on ne peut pas répondre à ce qu'on n'entend point.
Cependant, par un jeu dont l'éclat doit surprendre,
L'un ne veut pas répondre à ce qu'il doit entendre;
Et, pour des deux côtés faire voir des appas,

L'autre répond sans peine à ce qu'il n'entend pas.

Boursault, retournant le rôle de Climène, badine comme il suit, sur le fameux le de la scène vi du deuxième acte.

LE COMTE.

Tout exprès

La Marquise y couroit pour voir le le d'Agnès.

ORIANE.

Je l'ai vu; que je l'aime et que j'en suis contente!
Ce le, c'est une chose horriblement touchante;
Il m'a pris le... Ce le fait qu'on ouvre les yeux.

LE COMTE.

Oui, ce le, Dieu me damne, est un le merveilleux.
Quand je vis que l'actrice y faisoit une pose,
Je crus que l'innocente alloit dire autre chose;
Et le ruban, ma foi, je ne l'attendois pas.

ORIANE.

Et ce le pour madame eut-il beaucoup d'appas?

AMARANTE.

J'en dirois mon avis, ne pouvant m'en défendre:
Mais qui s'en ressouvient prit plaisir à l'entendre;

Et moi, de qui l'esprit s'en est peu soucié,
A peine l'eus-je appris que je l'eus oublié.

ORIANE.

A le revoir, pour moi, je serois toute prête :
Ce le toute la nuit m'a tenu dans la tête,
Ma chère; aussi ce le charme tous les galants.

LE COMTE.

En effet, j'en vois peu qui ne donnent dedans.
La beauté de ce le n'eut jamais de seconde.

CLITIE.

Il est vrai que ce le contente bien du monde;
C'est un le fait exprès pour les gens délicats.

AMARANTE.

Elle est maligne, au moins; ne vous y fiez pas,

Car je sais que ce le lui paroît détestable.

CLITIE.

Il est vrai, ma cousine: il me semble effroyable;
Mais ce le par madame est si bien appuyé,

Que je meurs de regret qu'il nous ait ennuyé.

Boursault, enfin, devance le reproche adressé au dénouement de l'École des Femmes par Voltaire, qui le qualifioit de postiche:

Enfin, le dénouement n'est-il pas admirable?...
Vous m'allez alléguer que touchant cet Enrique,
On le tire aux cheveux pour quitter l'Amérique,
Et que durant la pièce, en aucun des endroits,
On ne s'aperçoit point qu'il soit père d'Agnès.
Mais il n'est pas d'auteur dont la plume n'apprenne
Que dans ce qu'on attend il n'est rien qui surprenne;
Au contraire, on croit beau ce qu'on trouve étonnant,
Et ce qu'on n'attend pas est toujours surprenant.

C'est là, sans contredit, ce qu'on trouve de plus judicieux dans le Portrait du Peintre. Cette pièce vient d'être réimprimée dans les Contemporains de Molière.1 Le jugement suivant qu'en porte le nouvel éditeur est ce qu'on peut en dire de moins défavorable : « Le Portrait du Peintre, dit M. Fournel, se ressent de la précipitation avec laquelle il est écrit, et de la gène que ressentoit l'auteur par suite de l'obligation qu'il s'étoit imposée de suivre la Critique pas à pas, en en prenant le contre-pied. Il faut la lire, moins pour sa portée littéraire que pour sa valeur historique. La versification est généralement foible et la plaisanterie souvent froide; le style est très- négligé, et les mêmes rimes reviennent sans cesse. Mais elle a des passages d'une raillerie ingénieuse et vive; et, à des yeux prévenus, elle devoit paroître un chefd'œuvre de fine et mordante ironie. » Il falloit, en effet, que des yeux fussent bien prévenus pour qu'elle pût leur faire cette illusion. Elle a été imprimée sous le patronage du duc d'Enghien, fils du grand Condé, qui (Boursault le constate dans sa dédicace) l'avoit applaudie.

Le troisième volume des Nouvelles nouvelles, publié pendant cette année 1663,2 étoit venu en aide à l'opposition formée contre

1. Publiés par M. Fournel. Tome I, page 127.

2. Voir la bibliographie de Molière dans le dernier volume.

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