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Loix & des Mœurs générales, ont chacune leurs loix & leurs moeurs à part. Dans l'une & dans l'autre, on ne connoît qu'imparfaitement le Tout : quand on ne les voit, comme voient communément les Voyageurs, qu'en paffant; ou quand on n'en voit attentivement qu'une Partie ifolée.

Pour bien connoître une Nation, il faut avoir vécu & féjourné chez elle: il faut l'avoir observée à loifir & avec attention, dans les principes généraux de fon Gouvernement, dans les loix & dans les mœurs particulieres de chacune de fes Claffes de Citoyens, dans le conflit de tous fes intérêts, dans le jeu de toutes fes paffions; & avoir eu le tems de chercher le Résultat du Tout, dans la connoiffance suivie & approfondie de toutes fes Parties.

;

De même, pour bien connoître la Phyfi que, il faut en quelque forte avoir vécu & habité avec elle : il faut avoir eu le tems & l'occafion d'en observer toutes les Branches d'en comparer tous les grands Phénomenes; d'en faifir les accords & les diffonances ; d'en découvrir les refforts généraux & particuliers; d'y démêler les invifibles liens, qui malgré certains conflits apparens, affortiffent entre 'elles toutes les parties de la Nature; & en forment un Tout admirable, digne de l'infinie fageffe du fuprême Artifte auquel il doit fon exiftence & fa conservation.

Tel eft l'avantage, trifte avantage d'ailleurs, que nous avons eu pendant plufieurs années. Occupés par état & par religion, & jamais par intérêt, à former à la Philofophie une nombreuse & brillante Jeuneffe, jufqu'à cent quatre-vingts Eleves à la fois, nous avons eu occafion d'habiter fucceffivement toutes les Régions philofophiques : d'y voir toutes les Sectes rivales fe heurter & s'entre-choquer dans tous les fens & fur tous les objets d'apprécier & de juger leurs antipatiques Prétentions, prefque toujours relatives à toutes les branches de la Phyfique ; & de découvrir souvent les vrais Principes des choses, au milieu des Conjurations deftinées à les obscurcir & à les renverfer.

Parmi les différentes Méthodes que nous pouvions employer & mettre en œuvre dans Méthode de cet Ou cette théorie des Etres fenfibles, nous avons vrage. donné la préférence à celle qui nous a paru la plus fimple, la plus naturelle, la plus propre à la recherche de la Vérité, dans le grand Ensemble des choses: à celle qui tracée & formée fur le modele de la Méthode géométrique, a le mérite plus qu'aucune autre, de régler la marche, de fixer l'attention, & de concentrer la lumiere de l'Esprit humain; sans nuire en rien à l'énergie, à la richeffe, aux élans de l'Imagination & du Génie : quand quelquefois de grandes Scenes à présenter, de

brillans Systêmes à développer, d'énergiques Sentimens à inculquer, fouffrent & exigent leur effor.

Cette Méthode, confifte à donner d'abord des Définitions exactes & lumineufes des choses dont il va être question, pour en bien fixer l'idée ; à présenter enfuite, avec toute la clarté & avec toute la force poffible, l'enchaînement de Principes & de Conféquences, qui établiffent & qui démontrent une Vérité géné rale ou particuliere; à réfoudre enfin, d'une maniere folide & décifive, les Difficultés plus ou moins spécieuses, plus ou moins impofantes, que l'on pourroit faire naître contre la Vérité établie & démontrée.

Telle eft la Méthode générale qui regne d'un bout à l'autre, dans tout cet Ouvrage; & qui en fimplifie fi heureufement, autant que la chofe eft poffible, les Objets les plus com pliqués par leur nature. S: elle paroît ancienne pour le fonds des chofes, nous ofons annoncer au Public que la maniere dont nous la mettons en œuvre, en fait une Methode réellement nouvelle & unique, qui nous eft propre; & dont un goût connoiffeur faura faifir le caractere distinctif, & apprécier le mérite scien tifique.

La Partie Tout n'eft pas lumiere dans la Physique: ebfcure de parmi une foule de Vérités fenfibles & lu la Phyfi mineuses, elle préfente affez souvent des Myf

que.

teres impénétrables à l'Esprit humain. En fuivant & en développant la partie lumineufe de la Phyfique, il eft à propos d'en obferver auffi la partie obfcure. Un Esprit folide ne croit point avoir perdu fon tems: quand, après avoir obfervé fous tous les points de vue poffibles, un myftere de la Nature, il s'eft mis en état de voir & démontrer comment & pourquoi l'on ne fait rien en ce genre.

La Science ne confifte pas toujours à tout connoître : elle confifte quelquefois à favoir le point précis où la Vérité ceffe d'être acceffible; à pofer les limites de la Certitude & de l'Incertitude. Il ne faut pas moins de clairvoyance pour déterminer où cesse la lumiere, que pour décider où la lumiere exifte.

thefes &

la Phyfi

La Partie obfcure de la Phyfique, est l'objet des Hypothefes & des Syftêmes. Une Hy- Les Hypo pothefe eft une fuppofition faite ou pour expli- les Syftequer quelque Phénomene, ou pour réfoudre mes, dans quelque Problême. Un Systême eft un arrangement méthodique, ou de caufes destinées que. à produire certains effets, ou d'effets deftinés à dériver d'une même cause ou de plufieurs causes.

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« Les Philofophes, dit M. l'Abbé de Con» dillac font fort partagés fur l'usage des Hypothefes. Quelques-uns, prévenus par » le fuccès qu'elles ont en Aftronomie » peut-être éblouis par la hardieffe de quel

"

ou

»ques hypothefes de Phyfique, n'ont pas » douté qu'elles ne fuffent un des principaux » moyens d'acquérir des connoiffances. D'au » tres voyant l'inutilité & l'abus de bien des >> hypotheses, ont voulu les bannir tout à » fait des Sciences ».

Excès de part & d'autre; ou, comme dit Moliere, fottife des deux parts! Les Hypotheses sont destinées, ou à découvrir des choses inconnues, ou à expliquer des choses con nues telle eft leur deftination. Parmi ces hypotheses, il y en a de folides, fondées fur des Faits certains, fur des Expériences bien vérifiées, fur des Obfervations bien conftatées, fur des Vérités indubitables pourquoi les profcrire? Il y en a de frivoles, fondées uniquement fur des Principes ou fur des Faits imaginaires : pourquoi les retenir? Les premieres peuvent fervir à éclairer & à perfectionner l'Esprit, en lui montrant l'ordre & l'enchaînement général des chofes, l'influence & l'univerfalité des caufes, le germe & le principe d'une infinité d'effets dans la Nature. Les dernieres ne peuvent fervir qu'à abuser & à dépraver l'Efprit, en l'occupant de vifions, au lieu de réalités; en l'accoutumant à prendre les fantômes & les écarts d'une Imagination frivole & déréglée, pour l'ordre & la marche de la Nature.

Defcartes & Newton ont fait des Hypo

theses,

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