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LE DUC D'ORLÉANS,

FRÈRE UNIQUE DU ROL

MONSEIGNEUR,

Je fais voir ici à la France des choses bien peu proportionnées : il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tête de ce livre, et rien de plus bas que ce qu'il contient. Tout le monde trouvera cet assemblage étrange; et quelques uns pourront bien dire, pour en exprimer l'inégalité, que c'est poser une couronne de perles et de diamants sur une statue de terre, et faire entrer par des portiques magnifiques et des arcs triomphaux superbes dans une méchante cabane. Mais, MONSEIGNEUR, ce qui doit me servir 'd'excuse, c'est qu'en cette aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à VOTRE ALTESSE ROYALE m'a imposé une nécessité absolue de lui dédier le premier ouvrage que je mets de moi-même au jour. Ce n'est pas un présent que je lui fais, c'est un devoir dont je m'acquitte; et les hommages ne sont jamais regardés par les

choses qu'ils portent. J'ai donc osé, MONSEIGNEUR, dédier une bagatelle à VOTRE ALTESSE ROYALE, parceque je n'ai pu m'en dispenser; et si je me dispense ici de m'étendre sur les belles et glorieuses vérités qu'on pourroit dire d'elle, c'est par la juste appréhension que ces grandes idées ne fissent éclater encore davantage la bassesse de mon offrande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles choses; et tout ce que j'ai prétendu dans cette épître, c'est de justifier mon action à toute la France, et d'avoir cette gloire de vous dire à vousmême, MONSEIGNEun ", avec toute la soumission possible, que je suis

DE VOTRE ALTESSE ROYALE

le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

MOLIÈRE.

PERSONNAGES.

SGANARELLE, frère d'Ariste.

ARISTE, frère de Sganarelle.

ISABELLE, sœur de Léonor

LEONOR, sœur d'Isabelle.

VALÈRE, amant d'Isabelle.
LISETTE, suivante de Léonor.
ERGASTE, valet de Valère.
UN COMMISSAIRE.

UN NOTAIRE

DEUX LAQUAIS.

La Scène est à Paris, dans une place publique.

DES MARIS.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

SGANARELLE, ARISTE.

SCANARELLE

Mon frère, s'il vous plaît, ne discourons point tant;

Et que chacun de nous vive comme il l'entend.
Bien que sur moi des ans vous ayez l'avantage,
Et soyez assez vieux pour devoir être sage,
Je vous dirai pourtant que mes intentions
Sont de ne prendre point de vos corrections,
Que j'ai pour tout conseil ma fantaisie à suivre,
Et me trouve fort bien de ma façon de vivre.

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SGANARELLE.

Je voudrois bien savoir, puisqu'il faut tout entendre, Ce que ces beaux censeurs en moi peuvent reprendre.

ARISTE.

Cette farouche humeur dont la sévérité
Fuit toutes les douceurs de la société,

A tous vos procédés inspire un air bizarre,
Et, jusques à l'habit, rend tout chez vous barbare.

SGANARELLE.

Il est vrai qu'à la mode il faut m'assujettir,
Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir.
Ne voudriez-vous point par vos belles sornettes,
Monsieur mon frère aîné, car, Dieu merci, vous l'êtes
D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer,
Et cela ne vaut pas la peine d'en parler;

Ne voudriez-vous point, dis-je, sur ces matières,
De vos jeunes muguets m'inspirer les manières ;
M'obliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux,
Et de ces blonds cheveux de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure;

De ces petits pourpoints sous les bras se perdants,
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendants;
De ces manches qu'à table on voit tâter les sauces
Et de ces cotillons appelés hauts-de-chausses ;
De ces souliers mignons de rubans revêtus,
Qui vous fcnt ressembler à des pigeons pattus;
Et de ces grands canons où, comme en des entraves,
On met tous les matins ses deux jambes esclaves,
Et par qui nous voyons ces messieurs les galants
Marcher écarquillés ainsi que des volants?
Je vous plairois sans doute équipé de la sorte,

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