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mesure des déclarations de M. le président du Conseil, est suffisant pour que j'appuie ce ministère, et pour que j'en réponde devant ma conscience et devant mon pays. »

M. Odilon-Barrot examinait en terminant les considérations de M. Desmousseaux (de Givré), contre le déplacement des pouvoirs. C'était la théorie de l'immobilité, théorie dangereuse, théorie qu'avait adoptée aussi la majorité sous la Restauration, théorie qu'avait adoptée aussi l'opposition, qui se considérait comme systématiquement et absolument opposition, et qui, alors, se souciait peu, à l'occasion d'une priorité entre une loi départementale ou une loi d'arrondissement, de renverser un ministère de progrès et de courir les aventures des révolutions. L'orateur rejetait cette théorie, et ne pensait pas qu'elle fût acceptée sans restriction de tout le parti conservateur.

Les idées développées par M. Thiers, trouvèrent un nouvel organe dans la personne de M. de Rémusat. Depuis quelques années le Gouvernement avait fléchi: il n'était pas resté à la hauteur où l'avaient placé les premières années qui avaient suivi son avènement. Tout le mal venait des tendances de la Chambre, du fractionnement, et il n'y avait point d'autre obstacle au rapprochement des partis, que des antipathies fondées sur des positions occupées par les ministres actuels, et sur des querelles du passé, sur des préventions qui s'évanouiraient devant une discussion claire et loyale. M. le ministre de l'intérieur passait alors en revue tous les reproches adressés au 1" mars; son manque d'homogénéité, allégation dénuée de vérité; car depuis nombre d'années une vieille amitié unissait ses membres sur tous les grands principes du Gouvernement son alliance avec la gauche, alliance légitime et utile au pays, alliance naturelle, spontanée et sans engagements réciproques.

Un autre reproche, continuait le ministre, s'adresse à la position que nous occupons, La plupart des ministres,

en effet, appartiennent à une fraction importante de la Chambre, mais ce n'est pas la plus nombreuse; quant aux autres, quelle est leur position? Ils ne sont pas de ceux qui ont soutenu le 15 avril; ils ne sont pas du centre gauche; ils ne sont pas de l'ancienne opposition. Mais ces querelles sur la position qu'on occupe, ne sont-ce pas des souvenirs du passé, des retours vers les luttes du passé? et un tel langage n'aurait-il pas pour résultat de retrancher la Chambre dans autant de minorités incompatibles, entre lesquelles le Gouvernement serait impossible? D'ailleurs, la position des ministres était précisément une position intermédiaire qui leur permettait, peut-être sans exclusion, sans hostilité, au nom de leurs antécédents, de tous leurs antécédents réunis et coalisés dans le ministère, d'appeler à eux sous le drapeau du Gouvernement toutes les bannières de la Chambre. Quels motifs pouvaient donc encore entraver cette réunion des partis si désirable, si importante pour le pays? Y avait-il, comme on l'avait dit, d'un côté, des idées libérales; de l'autre, des instincts révolutionnaires ?

Quelle distinction M. de Lamartine veut-il faire alors entre les instincts révolutionnaires et les idées libérales? Voudrait-on nous persuader que les idées libérales fassent leur chemin dans ce monde sans que les événements les aident à triompher? Les révolutions, Messieurs, c'est l'avènement des idées libérales. C'est presque toujours par les révolutions qu'elles prévalent et se fondent; et quand les idées libérales en sont véritablement le principe et le but, quand elles leur ont donné naissance et quand elles les couronnent à leur dernier jour, alors ces révolutions sont légitimes: les excès, les crimes dont elles ont été souillées retombent sur ceux-là seuls qui les ont commis; mais les révolutions restent pures et légitimes, et alors il est permis de se prévaloir des souvenirs de ces révolutions.

⚫ Il ne faut pas avoir, comme l'honorable membre, un amour platonique pour les idées libérales, qui les sépare des révolutions, c'est-à-dire du souvenir des hommes et des événements qui les ont fait triompher. Il faut respecter ces révolutions dans leur principe, il ne faut pas se tenir à l'écart des souvenirs qu'elles consacrent, du drapeau qu'elles honorent, de la royauté qu'elles ont créée. Il faut aimer ces révolutions dans leur ensemble en détestant leurs erreurs, leurs crimes, leurs excès; mais il ne faut pas craindre de présenter au monde le drapeau d'une révolution comme la Ann. hist. pour 1840.

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nôtre. Non, il n'est pas vrai que ce drapeau fasse peur. Et à qui ferait-it peur, si ce n'est aux ennemis de la France ?.

» Le drapeau de la révolution, après quarante années, ce drapeau de la guerre, il est aujourd'hui le drapeau de la paix; il a été le drapeau de la force, il est aujourd'hui le drapeau du bon droit. Quand ce drapeau se promène dans nos murs, est-ce l'agitation, est-ce la crainte qu'il répand ? Non, c'est la sécurité, parce que sur ce drapeau vous lisez écrit l'ordre à côté de la liberté, comme l'Europe y voit aujourd'hui l'emblême de la paix aussi bien que de la victoire. »

Enfin, le ministre de l'intérieur abordait le dernier cher d'accusation qui consistait à alléguer que les conditions faites par le ministère à la Chambre, étaient inacceptables; on lui offrait ce qu'elle pouvait désirer: un Gouvernement ferme et digne; et il était de l'intérêt même des conservateurs de ne pas s'organiser contre lui en opposition systématique. En effet, s'ils restaient à l'état de minorité, ils pousseraient le Gouvernement sur la pente dangereuse qui les effrayait et lui donneraient pour alliés exclusifs, ceux dont ils redoutaient l'exclusive alliance; que s'ils obtenaient la majorité, cette majorité serait précaire, sans cesse contestée, et alors renaîtraient les orages. Quoiqu'il en fùt, la situatoin était difficile : il y avait quelque chose de souffrant, de faible, d'impuissant dans le fond de notre Gouvernement.

Le public, avec sa sensibilité admirable, s'en aperçoit, et il se demande s'il n'y a pas un vice grave dans nos institutions. Pour moi, j'en suis convaincu, il n'y a au fond qu'un seul mal, l'absence d'une majorité; mais ce n'est pas à dire qu'il y ait beaucoup de choses à faire, qu'il y ait encore de grandes questions à résoudre; c'est sur ces questions, c'est sur ce qu'il y a à faire pour les résoudre que je voudrais voir se porter l'attention de la Chambre et le débat. Je voudrais que ceux qui nous interrogent nous fissent subir un interrogatoire tout différent. Qu'ils nous demandent si nous avons mesuré nos forces, si nous avons bien le sentiment profond de la difficulté, si nous avons compris la difficulté prodigieuse qu'il y a à faire vivre en paix, avec mesure et dignité, un gouvernement nouveau au milieu · du monde, si aujourd'hui que les querelles qui passionnaient le public et qui l'intéressaient cependant, sont calmées, nous avons trouvé les moyens de l'intéresser aux débats plus réguliers de cette assemblée, aux dévelop

pements pacifiques et raisonnables d'une politique à la fois fière et conservatrice; si nous avons compris la difficulté qu'il y a à résoudre ce grand problème : maintenir nos alliances au dehors et prévenir en même temps le démembrement d'un grand empire. Ce sont là les questions sur lesquelles je voudrais que la discussion se portât, sur lesquelles je voudrais qu'on hous interrogeât; c'est là-dessus, c'est sur cette pensée qui nous occupe, c'est sur ces questions qui devraient nous occuper bien plus que les souvenirs du passé que je voudrais voir porter le débat; et s'il se portait sur ces choses, s'il revenait au fond des choses, à ce qui touche à l'avenir de la France, aux intérêts réels du pays, aux questions positives des gouvernéments qui nous inspirent tant d'inquiétudes et de soucis, peut-être alors nous trouverions-nous tous d'accord. En présence de ces grands intérêts, les dissidences qu'on cherche à exciter parmi nous s'évanouiraient, et, je n'en doute pas, à la voix de la raison, il naîtrait du sentiment du bien public, si puissant dans cette Chambre, une majorité forte, à laquelle il ne serait pas nécessaire de parler d'union pour l'obtenir; car elle s'unirait dans la pensée commune du bien public, dans la pensée de la difficulté accablante, effrayante pour l'homme politique qui veut la résoudre, de ranimer le pays sans le passionner, de donner au Gouvernement la grandeur avec la sagesse, de lui donner enfin tout ce qu'il attend d'une révolution qu'il veut ́à la fois glorieuse et modérée. Sous le coup de cette pensée, Messieurs, nous ne serions plus tentés de nous diviser; le problème serait résolu; la Chambre aurait une majorité, et la France un gouvernement. »

Ces raisonnements furent combattus par M. de Carné. Se reportant à l'origine du centre gauche, il affirmait qu'il n'existait ni au 13 mars, ni au 11 octobre, et que sa formation était postérieure à nos grandes luttes parlementaires. «< C'était, disait l'orateur, un terrain d'alluvion, auquel les cataclismes ministériels avaient toujours ajouté quelque parcelle. » Ce parti n'avait point les caractères qui créent véritablement une force parlementaire et encore moins une force nationale. Il ne fallait pas conclure de l'analogie des noms à l'analogie des choses, et prendre le centre gauche de 1830 pour le centre gauche de la Restauration. M. de Carné, en terminant, exprimait le regret de n'avoir point vu le président du conseil, comme au 22 février, appeler individuellement aux affaires tous les hommes disposés à seconder ses vues et ouvrir largement les

rangs de la majorité: son concours ne lui eût pas manqué.

Après quelques explications sur le centre gauche, données par M. Dupin, contradictoirement au discours de l'honorable préopinant, la tribune fut occupée par le chef de l'extrême droite, M. Berryer: Que présentaient les dernières années du parlement? des crises successives, les renversements incessants de tous les Cabinets, des luttes dans l'intérieur de la Chambre, portant sur des questions qu'il n'était pas toujours facile de comprendre. Ainsi les préoccupations de la législature se trouvaient absorbées loin des grands intérêts du pays, de tout ce qui touche à son industrie, de tout ce qui touche à ses grands travaux, de tout ce qui touche à son commerce, au mouvement de son génie et de son intelligence! Toutes ces matières écartées, et pourquoi? Pour discuter sans cesse sur la sympathie ou sur l'antipathie qu'ont inspirées tels ou tels ministères qu'on ne peut pas même venir à bout de définir par les principes qu'ils auraient essayé de mettre en œuvre et pour lesquels il faut recourir au chiffre du calendrier, parlant tour à tour du 22 février, du 6 septembre, du 15 avril et du 12 mai. Les premières espérances conçues par l'orateur sur la nouvelle administration s'évanouissaient : il avait pensé que le Cabinet allait ouvrir à la politique une carrière nouvelle; mais dans la position indiquée, dans le plan tracé, rien ne signalait l'avènement d'un Cabinet qui dût triompher d'un système ministériel maintenu pendant longues années.

En effet, depuis deux jours la discussion se trouvait restreinte aux étroites limites de questions de personnes. Pourtant il y avait, au fond de la situation, une division réelle et profonde de principes; il y avait dans la Chambre deux fractions bien distinctes, indépendantes des subdivisions qu'elles avaient subies: l'une voulait sur la conduite et la marche des affaires dans le pays, la prééminence du pouvoir parlementaire; l'autre, la prééminence

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