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Il est bien évident que l'homme se retrouve dans l'œuvre, et que les différentes circonstances de sa vie ont plus ou moins exercé leur influence sur cette œuvre ; mais dans quelle mesure? Tout est là! Rarement, on est bien sûr de son fait; combien de fois, au contraire, n'aboutit-on pas à des interprétations erronées ! M. Rigal le montre notamment au sujet du Misanthrope, où l'on a prétendu reconnaître la peinture des relations difficiles de Molière avec sa femme et l'image de la jalousie du poète, amoureux d'une coquette, sans compter les personnages divers, que l'on a voulu voir dans Alceste, transformé, selon la fantaisie des critiques, en héros romantique, mystérieux, ténébreux, révolté, byronien, etc. C'est aller beaucoup trop loin: trop d'érudition ou d'imagination.

Molière, nous dit M. Rigal, n'a voulu peindre ni lui-même, ni Armande, ni Montausier, ni tel ou tel autre de ses contemporains: il a simplement fait « son métier d'observateur et de créateur d'âmes » (tome II, p. 45). Et prenant son parti de mettre de côté toutes les questions que peut se poser l'érudition au sujet de cette pièce, questions qu'il faudrait « étrangler » faute de pouvoir « les manier toutes » comme elles le méritent, M. Rigal se contente d'examiner les questions propres à la critique littéraire : « Quels sont les éléments dramatiques du Misanthrope? De quel art témoigne-t-il ? Quelle en est la portée ? Quelle place tient-il dans l'évolution de la comédie de Molière et même du théâtre classique français ? Voilà vraiment ce qui importe, etc. » (P. 46.)

Telle est la méthode qu'il adopte de même pour les autres pièces de notre grand comique. M. Rigal connaît fort bien toute la littérature française; les rapprochements qu'il fait de Molière avec. tels ou tels auteurs du XIXe siècle le prouvent. Il connaît fort bien l'érudition moliéresque ; lui-même, il y a apporté plus d'une contribution dans des études qu'a publiées la Revue d'Histoire litté raire de la France, mais il sait se dégager de l'encombrement des menus faits; de toute cette érudition, il ne garde que la fleur, l'essentiel, ce qui lui est nécessaire pour donner à son étude de solides assises. Et comme il s'agit pour lui de juger des pièces de théâtre, il s'attache à l'action, aux caractères, au génie dramatique de l'auteur. Tout savant érudit qu'il est, il reste l'honnête homme qu'aimaient nos pères du xvne siècle, l'homme de goût, le fin connaisseur, le probe et habile écrivain que nous autres, Français, nous aimons à retrouver dans un auteur d'études littéraires. L'ouvrage de M. Rigal mérite de devenir classique.

GUSTAVE ALLAIS.

Leçons de morale, par M. E. BOIRAC, recteur de l'Académic de Dijon, correspondant de l'Institut, librairie F. Alcan, Paris, 1909.

La France et ses colonies (Classe de première), par MM. BUSSON, FÈVRE et HAUSER, librairie F. Alcan, Paris, 1909.

Asie et Insulinde, Afrique (par MM. BUSSON, FEVRE et HAUSER, librairie F. Alcan, Paris, 1909.

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REVUE HEBDOMADAIRE

DES

COURS ET CONFÉRENCES

DIRECTEUR : N. FILOZ

Origines françaises du romantisme

Cours de M. ÉMILE FAGUET,

Professeur à l'Université de l'aris.

Le sentiment de la solitude après Rousseau : Hugo,
de Vigny, Musset.

J'achève, aujourd'hui, l'étude du sentiment de la solitude chez les disciples de Rousseau. Je vous rappelle que la solitude est pour Sénancour comme l'occasion d'un dialogue avec lui-même, qui ferait songer aux dialogues de Rousseau avec Jean-Jacques, mais dégagés de toute intention d'apologie personnelle. Dans Chateaubriand, j'ai surtout étudié l'artiste qui aime à s'entourer des grands spectacles et des harmonies de la nature : j'aurais pu vous indiquer aussi le Chateaubriand de René, qui est celui qui se rapproche le plus de Rousseau. Enfin, en Lamartine, j'ai trouvé le solitaire qui, dans la solitude, ne se cherche pas uniquement lui-même et qui sait assez faire abstraction de soi pour y rencontrer Dieu : nous tenons là un disciple direct de Jean-Jacques Rousseau.

Pour Victor Hugo, je vous dirai tout de suite le mot de la fin, en me réservant de vous l'expliquer. Hugo n'est pas du tout un poète de la solitude et pour plusieurs raisons: à cause du profond optimisme qui ne l'a jamais complètement abandonné et à cause d'une certaine confiance dans ses relations avec l'univers. Il ne goûte pas la solitude, parce qu'aussi bien il ne s'y trouve jamais.

seul mille liens le rattachent sans cesse à tout ce qui est créé, qui l'empêchent de sentir autour de lui ce vide qu'un véritable amant de la solitude voit ou veut voir. De plus, il est trop personnel pour jouir vivement de la solitude. Cette assertion semble contradictoire celui qui se suffit à lui-même ne doit-il pas trouver le plus grand charme dans la solitude? Ainsi pense Rousseau, pour qui la plénitude du moi était dans l'absorption du moi dans la nature, dans l'anéantissement du moi. Mais Hugo est beaucoup trop plein de lui-même et de l'idée de son importance dans le monde pour pouvoir atteindre à cette jouissance de soi par la destruction de soi. Aussi ne rencontrons-nous point chez lui d'expression très heureuse du sentiment de la solitude. Cependant, il ne serait point romantique ; il ne serait point celui qui, reconnaissant Chateaubriand pour maître, disait: «Je veux être Chateaubriand ou rien »>, s'il n'avait, lui aussi, chanté la solitude. Il l'a chantée surtout dans sa jeunesse, par mode et par imitation : c'est pourquoi il ne saurait faire une vive impression sur nous. Voici, par exemple, tirée des Odes et Ballades, l'ode Au vallon de Chérizy:

Le voyageur s'assied sous votre ombre immobile...

<< Levez-vous donc, orages désirés, » disait René; voilà Victor Hugo qui, dans le plus fort des illusions et des espérances, se lamente, implore les orages, par une simple imitation de Chateaubriand.

De dégoûts en dégoûts il va traîner sa vie (1).

C'est à moitié du Chateaubriand, c'est à moitié du Millevoye ; et le tout forme quelque chose d'ambigu qui n'est pas très intéressant, parce que pas très sincère. Voici encore une autre rêverie, qui, au point de vue de la forme, est extrêmement remarquable, mais qui manque de profondeur :

Amis, loin de la ville...

L'âme se mêle aux âmes,
Comme la flamme aux flammes,

Comme le flot aux flots (2) !

Ici, c'est une méditation de Lamartine. Hugo vient de lire les Méditations; il en prend l'air et le ton, il prend les manies de

(1) Odes et Ballades, livre cinquième, ode 23. (2) Odes et Ballades, livre cinquième, ode 25.

l'auteur et dans sa rêverie introduit la Bible et Jéhovah. Au fond, l'ode qui a pour titre Rêves, n'est qu'un magnifique exercice de rhétorique.

Lorsque nous arrivons aux Contemplations et aux Châtiments, nous trouvons un autre sentiment, plus personnel, mais qui démontre ce que j'avançais: Hugo ne goûte pas la solitude, parce qu'il est trop plein de lui-même. On n'entend pas les voix de la solitude, quand on n'écoule que sa propre voix. Celui qui éprouve le vrai sentiment de la solitude est celui qui, en quelque sorte, sait se dédoubler, et de cela Victor Hugo est incapable.

Prenons la pièce des Contemplations intitulée Pasteurs et Troupeaux. Dans cette pièce très curieuse, d'un dessin un peu lâche, et où l'on ne saisit pas très bien le sentiment général, le poète, en somme, ne songe guère qu'au personnage qui se promène :

Le vallon où je vais tous les jours est charmant,...

- Comme définition de la solitude, remarquez que ces vers sont tout à fait excellents...

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Dans cette pièce, Hugo est d'abord un Chateaubriand, un pur artiste, avide de s'entourer des beaux spectacles naturels; puis, c'est un homme qui aime à se représenter lui-même dans la solitude, et à ne la prendre que comme un cadre merveilleux pour sa propre figure: il se symbolise dans le pâtre-promontoire, qui s'accoude aux rochers pour rêver.

Vous retrouvez le même thème et l'expression du même sentiment de personnalité dans la seconde pièce des Contemplations:

Le poète s'en va dans les champs ; il admire,
Il adore, il écoute en lui-même une lyre...

Dans la solitude, V. Hugo ne voit et ne peint que lui-même. C'est le même sentiment que dans Pasteurs et Troupeaux, mais avec la vision artistique en moins: l'égotisme l'emporte, ici, sur la faculté esthétique. Je ne vous lirai pas la pièce 27 du livre premier :

Oui, je suis le rêveur...

(1) Les Contemplations, livre cinquième, pièce 23.

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