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LA SAINT-BARTHÉLEMY.

Le signal est donné sans tumulte et sans bruit; C'était à la faveur des ombres de la nuit.

De ce mois malheureux l'inégale courrière
Semblait cacher d'effroi sa tremblante lumière:
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.
Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable:
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités;
Il voit briller partout les flambeaux et les armes,
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes,
Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés,
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix: "Qu'on n'épargne personne;
C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi qui l'ordonne!"
Il entend retentir le nom de Coligny;

Il aperçoit de loin le jeune Téligny,
Téligny dont l'amour a mérité sa fille,

L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance et lui tendait les bras.

Le héros malheureux, sans armes, sans défense, Voyant qu'il faut périr, et périr sans vengeance, Voulut mourir du moins comme il avait vécu, Avec toute sa gloire et toute sa vertu.

Déjà des assassins la nombreuse cohorte Du salon qui l'enferme allait briser la porte: Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux Avec cet œil serein, ce front majestueux, Tel que dans les combats, maître de son courage, Tranquille il arrêtait ou pressait le carnage.

A cet air vénérable, à cet auguste aspect, Les meurtriers surpris sont saisis de respect; Une force inconnue a suspendu leur rage.

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Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage, Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs, Que le sort des combats respecta quarante ans ; Frappez, ne craignez rien, Coligny vous pardonne; Ma vie est peu de chose, et je vous l'abandonne

J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous."
Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux:

L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes;
L'autre embrasse ses pieds, qu'il trempe de ses larmes;
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.

Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups;
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible:
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats il court d'un pas rapide :
Coligny l'attendait d'un visage intrépide;
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée, en détournant les yeux,
De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort.
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort.
Son corps percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture;
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis,
Conquête digne d'elle et digne de son fils.
Médicis la reçut avec indifférence,

Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présents.

La vie de Charles XII, roi de Suède. "Sa (Voltaire) première entreprise historique, Charles XII, est un chefd'œuvre de narration; et le héros, les faits, l'époque, ne voulaient pas un autre mérite. Voltaire commença cette histoire à la fin de son voyage d'Angleterre, en relisant Quinte-Curce, et en faisant causer le chevalier Dessaleurs, qui avait longtemps suivi le service aventureux de Charles XII. L'Europe était encore pleine du bruit de ce roi.

L'historien recueillit, en courant, des détails et des témoignages; il en écrivit le récit dans quelques mois de retraite profonde à Rouen, avec cette vitesse qui faisait partie de sa verve, et tout en composant à la fois Eriphile et la Mort de César." — (VILLEMAIN.)

MORT DE CHARLES XII.

Ainsi périt, à l'âge de trente-six ans et demi, Charles XII, roi de Suède, après avoir éprouvé ce que la prospérité a de plus grand, et ce que l'adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l'une, ni ébranlé un moment par l'autre. Presque toutes ses actions, jusqu'à celles de sa vie privée et unie, ont été bien loin au-delà du vraisemblable. C'est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu'ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans faiblesse; il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. Sa fermeté, devenue opiniâtreté, fit ses malheurs dans l'Ukraine et le retint cinq ans en Turquie; sa libéralité, dégénérant en profusion, a ruiné la Suède; son courage, poussé jusqu'à la témérité, a causé sa mort: sa justice a été quelquefois jusqu'à la cruauté; et, dans les dernières années, le maintien de son autorité approchait de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n'attaqua jamais personne; mais il ne fut pas aussi prudent qu'implacable dans ses vengeances. Il a été le premier qui ait eu l'ambition d'être conquérant sans avoir l'envie d'agrandir ses États; il voulait gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre et pour la vengeance l'empêcha d'être bon politique, qualité sans laquelle on n'a jamais vu de conquérant. Avant la bataille et après la victoire, il n'avait que de la modestie; après la défaite, que de la fermeté: dur pour les autres comme pour lui-même, comptant pour rien la peine et la vie de ses sujets, aussi bien que la sienne; homme unique plutôt que grand homme; admirable plutôt qu'à imiter. Sa vie doit apprendre aux rois combien un gouvernement pacifique et heureux est au-dessus de tant de gloire.

Le Siècle de Louis XIV (1751) est un tableau de la société du XVIIe siècle. D'abord l'auteur parle des événements politiques, puis il rapporte les anecdotes relatives

à Louis XIV; viennent ensuite les questions de finances, l'histoire littéraire de cette grande époque et enfin les affaires ecclésiastiques. Cet ouvrage est un des monuments les plus durables de la littérature française.

Pour terminer ce rapide exposé des œuvres de Voltaire il nous reste à citer Nanine, sa meilleure comédie; son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations depuis Charlemagne jusqu'à nos jours (1746); Les Commentaires sur Corneille, ouvrage qui servit à doter une nièce de l'auteur du Cid; L'Histoire de la Russie sous Pierre le Grand; des satires, épîtres, contes, épigrammes, un grand nombre de pamphlets impies contre la religion chrétienne et des articles pour l'Encyclopédie.*

EXERCICES.

1. A quel siècle appartient Voltaire? 2. Tracez une esquisse de la vie de Voltaire jusqu'à son départ pour Berlin. 3. Que savez-vous des relations de Frédéric II avec le poète français? 4. Où Voltaire passa-t-il les années 1758 à 1778? 5. Racontez son voyage à Paris et les conséquences qui en résultèrent. 6. Où sont les cendres de Voltaire ? 7. Faites l'historique du Panthéon. 8. Quels sont les perfectionnements apportés à la tragédie par Voltaire? 9. Décrivez les caractères les plus saillants du génie de Voltaire. 10. Caractérisez les styles de Cor

* L'Encyclopédie est une immense publication d'articles rangés par ordre alphabétique qui eut pour principaux rédacteurs D'Alembert et Diderot et qui fut une arme au service du parti philosophique du XVIIIe siècle.

neille, de Racine et de Voltaire. 11. Quelles sont les principales tragédies du poète? 12. Donnez l'analyse de Zaïre. 13. Citez les quatre vers qu'Alzire prononce avant de mourir. 14. Que savez-vous de la tragédie de Mahomet? 15. Quel est le sujet traité dans Mérope? 16. Résumez cette pièce et faites-en deux citations. 17. Que fit Voltaire pour se venger de Crébillon? 18. Qu'est-ce que la Henriade? 19. Que savez-vous de la Saint-Barthélemy? 20. Citez un ouvrage historique de Voltaire. 21. Citez de lui un ouvrage littéraire. 22. Dans quel but écrivit-il les Commentaires sur Corneille? 23. Parlez de l'Encyclopédie et de ses principaux inspirateurs. 24. Citez les autres œuvres de Voltaire. 25. Quelle influence exerçat-il sur son siècle ?

J.-J. ROUSSEAU.

Jean-Jacques Rousseau naquit à Genève le 28 juin 1712; bien que né en Suisse, il peut être hardiment revendiqué par la France, non-seulement à cause de ses ouvrages, mais encore parce que sa famille était d'origine française. Orphelin de bonne heure, Jean-Jacques fut élevé tant bien que mal par un oncle qui le mit en apprentissage chez un graveur; là, il fut traité si durement qu'il finit par s'échapper; il avait seize ans.

Dès lors commença pour lui une existence vagabonde. Rencontré par M. de Pontverre, curé de Confignon, qui faisait un ardent prosélytisme catholique, Rousseau, reconnu intelligent, fut envoyé au château des Charmettes, chez Mme. de Warens, jeune femme convertie récemment au catholicisme et dont la conversion avait fait beaucoup

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