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Enfin, traquée de tous côtés par la police impériale, Mme. de Staël résolut de se rendre en Angleterre, voyage qu'elle fit en passant par le Tyrol, l'Autriche, la Hongrie, la Pologne et la Russie, pour échapper à Bonaparte. Après la chute de celui-ci, elle revint à Paris, où après avoir publié les Considérations sur la Révolution française, livre qui lui fit beaucoup d'ennemis, elle se réfugia dans la famille et dans la religion. Louis XVIII lui accorda deux millions de francs à titre de restitution des sommes dues à son père. Après sa mort on publia Dix Années d'exil, ouvrage qui décrit les persécutions subies par Mme. de Staël à cause de son livre De l'Allemagne et qui nous donne un tableau frappant de la domination européenne de Napoléon Ier.

Je revins à Genève, et le préfet me signifia que non-seulement il m'interdisait d'aller, sous aucun prétexte, dans les pays réunis à la France, mais qu'il me conseillait de ne point voyager en Suisse, et de ne jamais m'éloigner dans aucune direction à plus de deux lieues de Coppet. Je lui objectai qu'étant domiciliée en Suisse, je ne concevais pas bien de quel droit une autorité française pouvait me défendre de voyager dans un pays étranger. Il me trouva sans doute un peu niaise de discuter dans ce temps-ci une question de droit et me répéta son conseil, singulièrement voisin d'un ordre. Je m'en tins à ma protestation; mais le lendemain j'appris qu'un des littérateurs les plus distingués de l'Allemagne, M. Schlegel, qui, depuis huit ans, avait bien voulu se charger de l'éducation de mes fils, venait de recevoir l'ordre non-seulement de quitter Genève, mais même Coppet. Je voulus encore représenter qu'en Suisse le préfet de Genève n'avait pas d'ordre à donner; mais on me dit que, si j'aimais mieux que cet ordre passât par l'ambassadeur de France, j'en étais bien la maîtresse; que cet ambassadeur s'adresserait au landammann du canton de Vaud, qui renverrait M. Schlegel de chez moi. En faisant faire ce détour au despotisme, j'aurais gagné dix jours; rien de plus. Je voulais savoir pourquoi l'on m'ôtait la société de M. Schlegel, mon ami et celui de mes enfants. Le préfet, qui avait l'habitude, comme la plupart des agents de l'empereur, de joindre des phrases doucereuses à des actes

très durs, me dit que c'était par intérêt pour moi que le gouvernement éloignait de ma maison M. Schlegel, qui me rendait anti-française. Vraiment touchée de ce soin paternel du gouvernement, je demandai ce qu'avait fait M. Schlegel contre la France; le préfet m'objecta ses opinions littéraires, et entre autres une brochure de lui, dans laquelle, en comparant la Phèdre d'Euripide à celle de Racine, il avait donné la préférence à la première. C'était bien délicat pour un monarque corse, de prendre ainsi fait et cause pour les moindres nuances de la littérature française. Mais, dans le vrai, on exilait M. Schlegel parce qu'il était mon ami, parce que sa conversation animait ma solitude, et que l'on commençait à mettre en œuvre le système qui devait se manifester, de me faire une prison de mon âme, en m'arrachant toutes les jouissances de l'esprit et de l'amitié.

Je repris la résolution de partir, à laquelle la douleur de quitter mes amis et les cendres de mes parents m'avait si souvent fait renoncer. Mais une grande difficulté restait à résoudre, c'était le choix des moyens de départ. Le gouvernement français mettait de telles entraves au passeport pour l'Amérique, que je n'osais plus recourir à ce moyen. D'ailleurs, j'avais des raisons de craindre qu'au moment où je m'embarquerais, on ne prétendît qu'on avait découvert que je voulais aller en Angleterre, et qu'on ne m'appliquât le décret qui condamnait à la prison ceux qui tentaient de s'y rendre sans l'autorisation du gouverne`ment. Il me paraissait donc infiniment préférable d'aller en Suède, dans cet honorable pays dont le nouveau chef annonçait déjà la glorieuse conduite qu'il a su soutenir depuis. Mais par quelle route se rendre en Suède? Le préfet m'avait fait savoir de toutes manières, que partout où la France commanderait je serais arrêtée, et comment arriver là où elle ne commandait pas? Il fallait traverser la Bavière et l'Autriche. Je me fiais au Tyrol, bien qu'il fût réuni à un état confédéré, à cause du courage que ses malheureux habitants avaient montré. Quant à l'Autriche, malgré le funeste abaissement dans lequel elle était tombée, j'estimais assez son monarque pour croire qu'il ne me livrerait pas; mais je savais aussi qu'il ne pourrait me défendre. Après avoir sacrifié l'antique honneur de sa maison, quelle force lui restait-il en aucun genre? Je passais donc ma vie à étudier la carte de l'Europe pour m'enfuir, comme Napoléon l'étudiait pour s'en rendre maître, et ma campagne, ainsi que la sienne, avait toujours la Russie pour objet. Cette puissance était le dernier asile des opprimés: ce devait être celle que le dominateur de l'Europe voulait abattre. (DIX ANNÉES D'EXIL).

CHATEAUBRIAND.

François-René-Auguste, vicomte de Chateaubriand (1768-1848) d'abord sous-lieutenant dans l'armée française, abandonna les armes pour aller en Amérique, où il espérait trouver un passage pour se rendre aux Indes par le nord-ouest de cette contrée. N'ayant pas réussi dans son entreprise, il parcourut le nouveau monde jusqu'au jour où il apprit la fuite de Louis XVI: il rentra en France et reprit du service dans l'armée des émigrés. Blessé et ruiné, il alla en Angleterre, où il eut de la peine à vivre.

Plus tard il produisit Atala, René et Les Natchez. Les autres ouvrages de Chateaubriand sont: le Génie du christianisme (1802), ouvrage qui contribua à rétablir les croyances religieuses; l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, les Martyrs (1806), romans en prose, et ses Mémoires d'outre tombe.

Chateaubriand prit part à la politique en 1802 en qualité de secrétaire d'ambassade à Rome; en 1814, comme ministre des affaires étrangères; enfin en 1830, à la chambre des pairs.

Quand, en 1800, parut le livre de Mme. de Staël, De la littérature considérée dans ses Rapports avec les Institutions sociales, Mr. de Chateaubriand écrivit une longue lettre, qui se termine ainsi: "Voici ce que j'oserais lui dire, si j'avais l'honneur de la connaître : vous êtes sans doute une femme supérieure. Votre tête est forte et votre imagination quelquefois pleine de charme: votre expression a souvent de l'éclat, de l'élévation: mais, malgré tous ces avantages, votre ouvrage est bien loin d'être ce qu'il aurait

pu devenir. Le style en est monotone, sans mouvement et trop mêlé d'expressions métaphysiques. Votre talent n'est qu'à demi développé, la philosophie l'étouffe." Mme. de Staël, accessible et empressée à toutes les admirations, désira connaître l'auteur de cette lettre ce premier exploit de polémique devint ainsi l'origine d'une liaison entre les deux génies dont nous sommes habitués à unir les noms et la gloire.*

L'ARÉOPAGE D'ATHÈNES.

L'Aréopage était placé sur une éminence à l'occident de la citadelle. On comprend à peine comment on a pu construire, sur le rocher où l'on voit des ruines, un monument de quelque étendue. Une petite vallée appelée, dans l'ancienne Athènes, Coelé (le creux), sépare la colline de l'Aréopage de la colline du Pnyx et de la colline de la citadelle. On montrait dans le Colé les tombeaux des deux Cimon, de Thucydide et d'Hérodote. Le Pnyx, où les Athéniens tenaient d'abord leurs assemblées publiques, est une esplanade pratiquée sur une roche escarpée, au revers du Lycabettus. Un mur composé de pierres énormes soutient cette esplanade du côté du nord; au midi s'élève une tribune creusée dans le roc même, et l'on y monte par quatre degrés également taillés dans la pierre. Je remarque ceci, parce que les anciens voyageurs n'ont pas bien connu la forme du Pnyx. Lord Elgin a fait depuis peu d'années désencombrer cette colline, et c'est à lui qu'on doit la découverte des degrés. Comme on n'est pas là tout à fait à la cime du rocher, on n'aperçoit la mer qu'en montant au-dessus de la tribune: on ôtait ainsi au peuple la vue du Pirée, afin que des orateurs factieux ne le jetassent pas dans des entreprises téméraires, à l'aspect de sa puissance et de ses vaisseaux.

Les Athéniens étaient rangés sur l'esplanade entre le mur circulaire que j'ai indiqué au nord, et la tribune au midi.

C'était donc à cette tribune que Périclès, Alcibiade et Démosthènes firent entendre leur voix ; que Socrate et Phocion parlèrent au peuple le plus léger et le plus spirituel de la terre? C'était donc là que se sont commises tant d'injustices, que tant de décrets iniques ou cruels ont été prononcés? Ce fut peut-être ce lieu qui vit bannir Aristide, triompher

*STE. BEUVE. Portraits de Femmes.

Mélitus, condamner à mort la population entière d'une ville, vouer un peuple entier à l'esclavage? Mais aussi ce fut là que de grands citoyens firent éclater leurs généreux accents contre les tyrans de leur patrie, que la justice triompha, que la vérité fut écoutée.

EXERCICES.

1. De qui Mme. de Staël était-elle la fille? 2. Que faisait-elle dans sa jeunesse? 3. Quel est l'auteur de l'Esprit des lois? 4. Sous quel rapport Mme. de Staël peut-elle être comparée à Mme. de Sévigné? 5. Que savez-vous du baron de Staël? 6. Quel fut le premier succès littéraire de Mme. de Staël? 7. Où passa-t-elle l'année de la Terreur? 8. Que fit-elle pour Marie-Antoinette? 9. Pourquoi Mme. de Staël fut-elle exilée? 10. Comment passat-elle son temps à Weimar? 11. Où alla-t-elle ensuite? 12. Vivait-elle dans la solitude à Coppet? 13. Quels romans publia-t-elle ? 14. Que lui ordonna Bonaparte après qu'elle eut fait paraître De l'Allemagne ? 15. Quels pays dut-elle traverser pour se rendre en Angleterre et pourquoi? 16. Quand retourna-t-elle à Paris et qu'y publia-t-elle ? 17. Quel fut le résultat de cette publication? 18. Que lui accorda Louis XVIII? 19. En quelle année mourut Mme. de Staël?

20. Pourquoi Chateaubriand quitta-t-il l'armée française et que fit-il ensuite? 21. Quels sont ses ouvrages? 22. Dans quel but écrivit-il le Génie du christianisme? 23. A quelle occasion Chateaubriand écrivit-il à Mme. de Staël? 24. Que lui écrivit-il? 25. Que résulta-t-il de cette lettre?

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