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zèle et avait entraîné la destruction de sa

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flotte à Navarin, il crut le moment propice pour réitérer la demande du pachalik de Damas. La Porte, encore une fois, écarta sa demande et lui accorda le gouvernement de Candie, dont la cession lui avait déjà été consentie peut-être, pour le prix de son secours. Si nos renseignemens sont exacts, le revenu de l'Ile ne s'élevait pas à quatre millions de piastres, et la dépense dépassait onze millions le présent qu'il avait reçu lui coûtait donc sept millions par an. Ce n'était pas sans doute une raison de se désister de ses prétentions sur la Syrie. En conséquence, il sut s'abstenir de toute participation à la guerre que la Porte eut à soutenir contre la Russie. Durant cette neutralité, il travailla activement à réparer les pertes de sa marine, à recruter son armée et à multiplier ses préparatifs de tout genre. Au contraire, l'Empire, épuisé par la campagne d'Andrinople, allait subir les conditions d'une paix écrite à la pointe de l'épée. Tout conspirait contre lui. L'Angleterre, la France et la Russie faisaient taire la diversité de leurs intérêts sous une émulation commune à l'affaiblir pour constituer à ses dépens le nouvel État grec. La Porte résista; mais, aprės

une conférence de seize heures à Kalender, kiosque voisin de Constantinople, entre les ministres des trois puissances et le Reïs-effendi, elle se laissa arracher les provinces réclamées pour la Grèce. A part l'impossibilité de repousser le vœu bien prononcé de cette ligue protectrice des Hellenes, les préparatifs du pacha d'Égypte lui annonçaient encore un orage à conjurer, et ce fut, les yeux sur un présage de troubles dans ses régions d'Asie, qu'elle se résigna au coup décisif qui frappait sa puissance en Europe.

Méhémed-Ali rencontrait dans la Porte une opposition trop constante à ses vues sur la Syrie pour ne pas y renoncer ou se résoudre à forcer cette opposition. Afin d'apprécier ces relations nouvelles du Vice-roi et de la Porte, il devient utile de jeter un coup d'œil sur la composition et sur la politique intérieure de l'Empire ottoman : ce n'est ni d'après la constitution des États de l'Europe ni d'après les principes de leurs gouvernemens qu'il serait équitable de les juger.

Si imposant qu'ait long-temps paru l'Empire ottoman, si admirable qu'ait été sa durée," on ne peut ignorer que ce fut un ensemble incohérent de plusieurs nationalités asservies

et liées par la conquête. Aidée de l'Europe', la Grèce venait de se réclamer et de constater son émancipation; en Égypte et en Syrie, provinces de race et de langue arabe, l'Empire devait aussi porter la peine de cette diversité d'élémens dont était faite sa puissance. Ce n'était point de Constantinople qu'était émanée la souveraineté dont Méhémed-Ali jouissait aux bords du Nil. Soldat jeté sur cette terre, il y avait trouvé l'autorité turque avilie et impuissante, et c'était lui qui avait

à

peu

peu arraché les lambeaux de cette proie magnifique à toutes les mains qui se la disputaient, pour la réunir entièrement dans les siennes à nul autre qu'à lui il ne devait l'investiture de son pouvoir, que Constantinople sanctionna malgré elle. Lorsqu'il songea à rattacher la Syrie à l'Égypte, de même que Saladin rattacha l'Égypte à la Syrie, parce que toujours l'une de ces provinces entraîne l'autre dans son orbite, il n'eut point à s'arrêter devant le spectacle de la domination ottomane profondément enracinée; la suzeraineté de la Sublime-Porte était devenue le jouet des caprices d'un Abdallah. Son ambition, les inspirations de sa politique, les nécessités de sa position parlèrent donc plus haut que le de

voir d'une fidélité absolue et passive envers une autorité plus nominale que réelle. Les considérations de la suprématie légitime des sultans pouvaient lui commander des ménagemens, mais non lui lier les mains. Sans parti pris de révolte, il persévéra dans ses projets, avec l'espoir que, pour obtenir, il suffisait de prendre et d'effrayer.

Qu'on n'oublie pas, d'ailleurs, que l'histoire de l'Empire ottoman signale, entre les pachas et le divan de Constantinople, une guerre perpétuelle, et qu'on ne s'en étonne pas. Formé, ainsi que nous l'avons dit, de populations diverses au milieu desquelles était assise la race conquérante, l'Empire n'avait ni nationalité ni homogénéité. L'œuvre du pouvoir consista donc à suppléer à une franche et native cohésion par le rattachement forcé au gouvernement central de tous les gouverneurs des provinces. Ni la courte durée de leurs fonctions, ni leurs déplacemens fréquens ne répondirent suffisamment de leur fidélité : inévitablement exposés aux tentations de la révolte, ils étaient inévitablement dévoués aux soupçons, et ils devaient souvent périr en coupables, parce qu'ils auraient pu l'être. De là cet empressement de la Porte et

de ses vizirs à se prévenir mutuellement par leurs violences et leurs perfidies. La défiance était l'ame du Divan; son but était le maintien, à tout prix, de l'unité factice de l'État; ses moyens étaient tour à tour le châtiment avant le crime, l'impunité après le succès du crime; et toujours, au commencement et à la fin de chacun de ces drames, la secrète justice du lacet, du poignard, du poison, à moins d'une occasion favorable pour écraser la sédition d'un coup. Du côté des vizirs, révoltes en permanence, ouvertes ou dissimulées; du côté de la Porte, tables de proscription en permanence, affichées ou sous le voile. Les pachas semblaient ne prendre possession de leur rang que comme d'une arme pour l'insurrection : la Porte semblait ne les avoir élevés que pour les abattre, et elle avait en quelque sorte mis en coupe réglée les têtes de ses vizirs, qui, l'une après l'autre, venaient décorer le seuil même du sérail impérial : qu'on juge si le soupçon qui tue et confisque manque jamais de prétexte ! A bien prendre, le despotisme du gouvernement turc s'est principalement exercé sur ses hauts fonctionnaires : sans doute ce despotisme a réagi sur les populations; mais la race ottomane, comme toute race conqué

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