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aux peuples dans des temps où les pasteurs n'avaient plus ni l'ancienne autorité, ni l'encienne vigilance pour interpréter l'écriture, et où les peuples s'accoutumaient à mépriser leur simplicité: on reconnut même par expérience que le fanatisme de ces laiques était contagieux, et qu'ils séduisaient facilement la multitude en lui promettant de lui montrer par l'écriture combien les pasteurs étaient ignorans, trompeurs et indignes de leur ministère. Wiclef, Luther, Calvin et toutes les sectes du seizième siècle qui ont entraîné les peuples, abusaient de ses paroles, scrutamini scripturas, approfondissez les écritures; ils ont achevé de mettre l'église dans la nécessité de réduire les peuples à ne lire les écritures qu'avec une permission expresse des pasteurs.

VI. Gerson ne peut point être accusé de favoriser trop les maximes des ultramontains; cet auteur a néanmoins parlé ainsi : C'est de cette source empestée que sortent et croissent tous les jours les erreurs des béguards, des pauvres de Lyon, et de tous leurs semblables, dont il y a beaucoup de laïques qui font une traduction de la bible dans leur langue vulgaire, au grand préjudice et scandale de la vérité catholique. C'est ce qu'on a proposé de retrancher par le projet de réformation (1). (1) Trac. contra bær. de com. laïc. sub utraque specie.

Il dit ailleurs qu'il faut empêcher la traduction des livres sacrés en langue vulgaire, principalement de notre bible, excepté les moralités et les histoires (1). Il ajoute ailleurs que c'est une chose trop périlleuse que de donner aux hommes simples qui ne sont pas savans les livres de la sainte écriture traduits en français, parce qu'ils peuvent, en les expliquant mal, tomber d'abord dans des erreurs ; ils doivent écouter cette parole dans la bouche des prédicateurs, autrement on précherait en vain (2). Cet auteur se fonde sur la réflexion suivante: Comme on peut tirer quelque bien d'une bonne et fidèle version de la bible en français, si le lecteur l'entend avec sobriété; au contraire, il arrivera des erreurs et des maux innombrables si elle est mal traduite ou expliquée avec présomption, en rejettant les sens et les explications des saints docteurs (3). En effet, nous avons vu que c'est par les versions de la bible et par l'interprétation arbitraire, que les protestans ont voulu renverser l'ancienne église : tous les peuples étaient entraînés par cette promesse flatteuse, qu'ils

(1) In 2. lect pœnitemini, 9. consid (2) 1. serm. de Nativ. Dom.

(3) Serm. contra adulat. 5. consider.

verraient clairement la vérité dans le texte des écritures.

VII. C'est par la crainte de ces inconvéniens, que la faculté de théologie de Paris censura, l'an 1527, quelques propositions d'Erasme, qui disait que si son sentiment était suivi, les laboureurs, les maçons et tous les autres artisans liraient la sainte écriture, et qu'elle serait traduite en toute sorte de langues. La faculté assurait au contraire que les vaudois, les albigeois, les turlupins nous ont appris quel danger il y a d'en permettre indifféremment la lecture en langue vulgaire, etc. qu'encore qu'elle fút utile à quelques-uns, on ne devait pourtant pas la permettre sans choix à tout le monde. La faculté ajoutait à l'égard des laïques, que l'église ne les empêche point de lire quelquefois quelques livres de l'écriture qui pourront servir à l'édification des mœurs, avec une explication qui soit à leur portée. Enfin elle remarque que le saint siége a défendu, il y a déjà long-temps, aux laïques de lire ces livres, etc.

VIII. Le clergé de France parut suivre les mêmes maximes lorsqu'il écrivit au pape Alexandre VII, l'an 1661, contre la traduction du missel, faite en français par le sieur Voisin. Nous avons été attentifs, disent les évêques, à cette nouveauté, et nous l'avons entièrement désapprouvée, comme

contraire à la coutume de l'église et comme très-pernicieuse aux ames. A ce propos, le clergé rapporte et approuve la censure que la faculté de Paris avait faite autrefois des propositions d'Erasme il remarque que les vaudois, ou pauvres de Lyon, sont ceux qui ont abusé de la lecture familière du texte sacré; que c'est ce qui a produit dans la suite les sectes des protestans; et que cette nouveauté avait même auparavant ouvert le chemin à l'erreur des Bohémiens, comme la faculté de Paris l'avait dit dans sa censure. Enfin le clergé cite Vincent de Lerins, qui assure que l'écriture sainte était nommée le livre des hérétiques, à cause des subtilités par lesquelles ils en tournaient les textes contre l'autorité de l'église. Le pape Alexandre VII, ayant reçu cette lettre du clergé, répondit en condamnant la témérité de ceux qui avaient osé traduire dans la langue vulgaire, savoir, la française, le missel romain pour le divulguer et le faire passer dans les mains des personnes de tout état et de tout sexe.

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IX. Je conclus de tout ceci que l'église sans changer de maximes fondamentales, s'est crue obligée de changer un peu sa conduite sur la lecture du texte sacré. Comme les pasteurs ont eu moins d'autorité et d'application à expliquer les écritures, et que les peuples ont été plus indociles, plus présomp

tueux, plus enclins à prêter l'oreille an séducteurs, elle a cru devoir permettre ave moins de facilité et plus de précaution, qu'elle permettait plus généralement dan des temps plus henreux. C'est ainsi que non voyons que la même église permettait aux simples fidètes d'emporter l'encharistie dan leurs maisons ou dans leurs voyages, parce qu'elle se tenait pleinement assurée de len, pureté, de leur retenue et de leur zèle, ar lien que maintenant elle ne leur donne l communion que dans l'église avec beancong de précaution; ce n'est pas l'église qu change, c'est le peuple fidèle qui a change et qui rend nécessaire ce changement de dis cipline extérieure. Au reste, dans les premiers siècles, l'église ne permettait la leg ture du texte sacré qu'avec dépendance de la direction des pasteurs qui y préparaient les particuliers, et qui ne les y admettaient qu'a mesure qu'ils les y trouvaient suffisamment préparés; encore même, comme nous l'avons vu dans saint Jérôme, chacun ne lisait cer tains livres qu'après les autres, et quang les pasteurs jugeaient que le temps en étail venù. Ce qui à été pratiqué dans les der niers temps ne va que du plus au moins c'est la même économie de l'église, la même méthode, la même dépendance on a seulement augmenté la réserve et la précaution à mesure que l'indisposition des peuples a augmenté.

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