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POUR

LA FÊTE DE S. BERNARD.

Vox clamantis in deserto : Parate viam Domini.

La voix de celui qui crie dans le désert: Préparez la voie du Seigneur. En Saint Luc, chap. 3.

Le prophète Isaïe, élevé en esprit au-dessus de lui-même, avait entendu une voix mystérieuse qui préparait déjà au désert le passage du peuple de Dieu pour son retour de la captivité de Babylone, deux cents ans avant qu'il s'accomplît: mais ce retour n'était qu'une figure de la vraie délivrance réservée au Sauveur; et saint Jean était, comme nous l'apprenons de l'évangile, cette voix promise pour préparer les hommes à être délivrés par le fils de Dieu.

Aujourd'hui, mes frères, Bernard, marchant sur les traces de Jean, retentit le désert de ses cris, et il remplit la terre des fruits de la pénitence qu'il prêche. Il est dans ce dernier àge du monde, la voix qui crie encore: Préparez la voie du Seigneur pour le second avènement de Jesus-Christ. Vox clamantis in desorto: Parate viam Domini.

Par la vie solitaire de Bernard, le désert refleurit, et l'état monastique reprend son ancienne gloire. Par la vie apostolique de Bernard, le siècle est réformé, et l'église triomphe. La voilà donc cette voix qui du désert se fait entendre aux extrémités de la terre. Il est tout ensemble le patriarche des solitaires, et l'apôtre des nations. Ces deux réflexions, mes frères, feront tout le sujet de ce discours.

O Sauveur, qui lui donnâtes de faire votre œuvre, donnez-moi d'en parler. Que ces torrens de lumières et de graces qui coulèrent de sa bouche pour inonder les villes et les provinces, passent encore de ma bouche, quoique pécheur, jusqu'au fond des cœurs. Donnez, donnez, Seigneur, selon la musure de notre foi; donnez pour la gloire de votre noin, et pour la nourriture de vos enfans. Marie, qu'il a invoquée avec une si tendre confiance, nous vous invoquons avec lui. Ave, Maria.

PREMIER POINT.

A quoi n'est-on pas exposé, mes frères, non-seulement par la malice des hommes et par sa propre fragilité, mais encore par les dons de Dieu! Dès sa plus tendre enfance, Bernard est aux prises avec des compagnies impudentes, qui veulent lui arracher son innocence; avec sa propre beauté, qui est

un scandale, selon le sage; enfin avec son esprit même, qui le tente de vanité sur le succès de ses études. Ainsi tout se tocme en piéges. Nous abusons des bienfaits mines qui sortent des pures mains de Diea, poar l'oublier, et pour nous complaire en nousmêmes. Mais rien ne peut ravir à JesosChrist ce qu'il tient dans sa main, ce qu a choisi et scellé du sceau de sa dilection éternelle. L'homme, quand Dieu le mene par la main, passe sans hésiter an travers des ombres de la mort, il marche sur l'ast et le basilic; il foule aux pieds le lion et le dragon mille flèches à sa gauche, et Ex mille à droite, tombent à ses pieds, et il demeure invulnérable. Déjà une voix docce et intérieure qui fait tréssaillir Bernard jus ques dans la moëlle des os, l'appeile an désert. En vain ses proches et ses amis venlent l'arrêter, il les entraine par la rapidité de sa fuite. Le plus jeune d'entre ses freres voyant tous les autres qui abandonnent l'héritage parternel, et qui s'enfuient tout nus pour porter la croix après Jesus-Christ, s'écrie : Quoi donc ! mon frère vous prenez le ciel, et vous ne me laissez que la terre! L'enfant suit la sainte troupe. Ainsi Bernard, à l'âge de vingt-trois ans, s'avance vers la solitude, et mène avec lui comme en triomphe la chair et le sang vaincus. Trente parens ou amis, dont il brise les liens, sont

les hosties vivantes et de bonne odeur qu'il présente à Dieu.

Apprenez ici, mes frères, à espérer contre toute espérance, et à ne vous décourager jamais dans l'œuvre de la foi. Etienne, abbé de Citeaux, succombait dans l'attente de quelque secours. Ses disciples mouraient; l'austérité de sa maison épouvantait ceux qui songeaient à s'y dévouer. Au moment où tout va périr, (car Dieu se plaît à attendre jusqu'à l'extrémité pour éprouver les siens) Dieu rétablit tout sur les ruines de toutes les ressources humaines. Accourez, Bernard, accourez; consolez le saint vieillard, et soutenez la maison de Dieu chancelante. Parmi les trente novices en voici un qui, étant le chef et le modèle de tous les autres, se demande chaque jour à soimême: Que suis-je venu faire ici? Il regrette le temps nécessaire au sommeil; les repas, après les plus longs jeûnes, sont pour lui des croix. Au bout d'un an, il ignore encore comment la maison où il est est faite; il ne distingue pas les alimens dont il est nourri; toute curiosité est éteinte, tout sentiment est étouffé; l'esprit d'oraison absorbe tout, et le travail même des mains ne peut le distraire.

Malgré sa jeunesse, il fut envoyé pour fonder une nouvelle colonie de solitaires dans l'affreuse vallée de Clairvaux, où il ne

paraissait d'autres vestiges d'hommes que ceux des voleurs. Là, souvent les frères furent réduits à se nourrir d'herbes et de feuilles. Mais le nouvel abbé, devenu implacable contre la nature, est insensible à tous ses besoins, et d'autres desirs enflamment son cœur. Lorsque ses religieux affligés par les tentations, viennent les apporter dans son sein pour se soulager et s'accuser d'être encore faibles, saint Bernard, au lieu de les consoler, gémit de trouver qu'ils sont encore hommes, eux qu'il veut déjà voir transformés en anges. Cependant ils souffraient en paix l'âpreté de ses corrections. Cette humilité si douce et si tranquille ouvrit enfin ses yeux. C'est dans la fournaise de la tentation, disait-il alors, que l'or se purifie; le vrai père doit être le consolateur de ses enfans, et les réfugier sous ses ailes comme ses petits pendant la tempête. Mais la nature, toujours irrégulière, passait de cet excès de sévérité dans un autre excès de découragement, et il allait se condamner au silence, si une vision céleste ne l'eût instruit et rassuré dès ce moment. Ne craignez rien, disciples de Bernard; la grace est répandue d'en haut sur ses lèvres; une loi de clémence est imprimée sur sa langue, il ne sortira plus de sa bouche que sagesse et douceur.

Qu'il est beau, mes frères, d'entendre

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