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O dons de Dieu, quel jugement préparezvous à l'ame qui vous reçoit et qui vous néglige! La voilà la malédiction qui pend déjà sur la terre ingrate que la main du Seigneur cultive et qui ne lui rend aucun fruit. Hâtez-vous donc, ma chère sœur, de fructifier; n'attendez pas les grandes occasions, trop rares et trop éclatantes. C'est dans le détail des occasions communes, qui reviennent à tout moment, où l'orgueil n'est point préparé, où l'humeur prévient, et où la nature fatiguée s'abandonne à elle-même, que la véritable piété peut seule s'éprouver et se soutenir. Souvenez-vous que le joug de la religion n'est pas un fardeau, mais un soutien. L'obéissance, bien loin d'être une servitude, est un secours donné à notre faiblesse. On obéit à Dieu en gardant la subordination nécessaire dans toute société, et en obéissant à l'homme qui le représente. Souvent même les défauts des supérieurs nous sont plus utiles que leurs vertus : car nous avons encore plus besoin de croix pour mourir à nous-mêmes, que de bons exemples pour être édifiés. La règle n'est qu'un simple régime de l'ame pour atteindre à la perfection évangélique dans la retraite avec plus de facilité, moins de tentation, et moins de périls. Le cloître n'est pas un lieu de captivité, mais un asyle. Quel est l'homme qui regarde comme une prison la forteresse

où il se retranche contre l'ennemi pour sauver sa vie? Le soldat prêt à combattre prendil les armes pour un fardeau? Ici, ma chère sœur, on n'obéit aux supérieurs que pour obéir à la règle, et la règle que pour obéir à l'évangile. On n'obéit à cette autorité douce et charitable, que pour n'obéir pas au monde, au péché, et aux passions les plus tyranniques. Si on se dépouille des faux biens, c'est pour se revêtir de Jesus-Christ qui nous a enrichis de sa pauvreté. La virginité même du corps ne tend qu'à celle de l'esprit. Qu'il est beau de réserver avec jalousie, dans un profond recueillement, tous ses desirs et toutes ses pensées à l'époux sacré ! N'en doutez pas, ma chère sœur, la mesure de votre ferveur sera celle de votre joie. Gardez-vous donc bien de la perdre. La perfection, loin de vous surcharger, vous donnera des ailes pour voler dans les ¦ voies de Dieu. Seigneur, s'écrie saint Augustin, je ne suis à charge à moi-même, qu'à cause que je ne suis pas encore assez plein de vous.

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Croyez, ma chère sœur, et vous recevrez selon la mesure de votre foi; commencez par la foi courageuse, et par pur amour qui ne réserve rien de sensible. Ne craignez rien dans cette privation; donnez, donnez à Dieu. Après tout, que lui donnerez-vous? L'écume dont la tempête se joue, la fumée

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que le vent emporte, le songe que le réveil dissipe, la vanité des vanités, qui vous rendrait non-seulement coupable, mais encore malheureuse dès cette vie. O monde, rends ici témoignage contre toi-même; c'est de ta bouche profane que Dieu arrache la vérité. Qu'est-ce que j'entends parmi les enfans des homines, depuis celui qui est dans les fers, jusqu'à celui qui est sur le trône, sinon les plaintes amères de coeurs oppressés ? Que n'en coûte-t-il pas pour vivre dans ton esclavage! Tout y déchire le cœur, jusqu'à l'espérance même, par laquelle seule on y est soutenu. Mais Dieu, ma chère sœur, Dieu fidèle dans ses promesses, Dieu riche en miséricordes, Dieu immuable dans ses dons, vous donnera tout, et épuisera en vous tout desir, en se donnant à jamais luimême. Mais vous qui vous donnez à lui, gardez-vous bien de vous reprendre.

Le tentateur dira peut-être : Oh ! que ce sacrifice est long! Tais - toi, ô esprit impur. Tout ce qui doit finir est court. La vie s'écoule comme l'eau; les temps se hâtent d'arriver. Où est-il cet avenir qu'on croit don ner? nous ne savons s'il sera heureux ou funeste une sombre nuit nous le cache: il n'est pas même encore à nous; peut-être n'y sera-t-il jamais. Mais n'importe qu'il vienne au gré de nos desirs, et avec les enchantemens les plus fabuleux; sera-t-il plus solide

et moins rapide dans sa fuite, que le présent et le passé? Non, non dans le moment même que nous parlons, le voilà qui arrive, et je ne puis dire, il arrive, sans remarquer qu'il n'est déjà plus.

O folie monstrueuse! ô renversement de tout homme ! est-ce donc là à quoi l'on tient tant? Quoi cette ombre fugitive que rien ! n'arrête, et qui nous entraîne avec elle, estce donc là ce qu'on abandonne avec tant de douleurs? est-ce donc là ce qu'on n'a point de honte de dire qu'on donne à Dieu ? Encore un peu (ce n'est pas moi, c'est l'apôtre, c'est le Saint-Esprit qui parle), encore un peu, et celui qui doit venir viendra, il ne tardera guère cependant tout juste vit de la foi. Vivez-en donc, ma chère sœur. Que le monde aveugle s'écrie: Faut-il toujours se faire violence? Pour nous qui croyons, qui espérons, et savons que notre espérance ne sera jamais confondue, nous aurions horreur d'appeler ce moment si court et si léger, des tribulations d'ici-bas. Nous disons au contraire : Ah! quelle proportion entre les souffrances présentes et le poids immense de gloire qui va être révélé en nous ! Souffrir si peu, et régner toujours.

Elle vient, elle vient la fin; je la vois, la voilà qui arrive. O homme qui as enseveli ta folle espérance dans la corruption, et dont le cœur s'est nourri de mensonges, qui te

délivrera à cette dernière heure? qui te délivrera de toi-même et de ton éternel désespoir? qui te délivrera des ténèbres, des pleurs, des grincemens de dents, du ver rongeur qui ne peut mourir, des flammes dévorantes, des mains du Dieu vivant, qui se nomme lui-même le Dieu des vengeances?

Pour vous, ma chère sœur, pauvre et crucifiée, vous ne tiendrez à rien ici-bas. Pendant que toute la nature écrasée frémira d'horreur, vous leverez la tête avec confiance, voyant descendre votre rédemption. Le souverain juge, à la face duquel s'enfuiront le ciel et la terre, viendra comme époux essuyer vos larmes de ses propres mains, vous donner le baiser de paix, et vous couronner de sa gloire.

Seigneur, qui mettez ces paroles de vie sur mes lèvres et dans le cœur de votre épouse, hâtez-vous de la plonger dans les flammes de votre esprit. Que votre louange ne tarisse jamais dans sa bouche. Que du trésor de son cœur elle l'épanche sur nous tous. Voilà que votre main l'enlève à la terre, jusqu'au jour où vous viendrez juger toute chair. Nous ne la verrons plus; elle s'ensevelit, comme morte, toute vivante. Mais sa vie sera cachée avec Jesus-Christ votre fils en vous, pour apparaître bientôt avec lui dans la même gloire. Du cilice et de la cendre de ce cloître, son ame s'envolera dans

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