Images de page
PDF
ePub

même de prétexte à notre amour - propre, par l'indulgence qu'il veut nous inspirer en faveur de nos plus grands défauts ; et l'aveuglement de cet amour-propre va tous les jours jusqu'à trouver moyen de faire en sorte qu'ou soit content de soi, quoiqu'on ne contente personne.

Que faut-il conclure parini tant de ténèbres? Qu'il n'appartient qu'à Dieu de les dissiper; que lui seul est le maître non suspect et toujours infaillible; qu'il faut le consulter, et qu'il nous apprendra, si nous sommes fidèles à l'invoquer, tout ce que les hommes n'oseraient nous dire, tout ce que les livres ne peuvent nous apprendre que d'une manière vague et confuse, tout ce que nous avons besoin de savoir, et que nous ne saurions jamais nous dire à nous-mêmes.

Concluons que le plus grand obstacle à la véritable sagesse est la présomption. qu'inspire la fausse; que le premier pas vers cette sagesse si précieuse est de soupirer après elle; de sentir le besoin où nous sommes de l'acquérir; et de nous convaincre enfin fortement, selon les termes de saint Jacques (1); que ceux qui cherchent cette sagesse si peu connue doivent s'adresser au Père des lumières, qui la donne libéralement à tous ceux qui la lui demandent de bonne

(1) Jacques, chap. 1.

:

foi. Mais s'il est vrai que Dieu seul peut nous éclairer, il n'est pas moins constant qu'il ne le fera point, si nous ne l'y engageons en lui demandant cette grace. Il est vrai, dit saint Augustin, que Dieu nous prévient par le premier de tous les dons, qui est celui de la foi; il le répand en nous sans nousmêmes, quand il nous appelle à être chrétiens mais il veut, et il est bien juste, que nous avons le soin de le prévenir à notre tour pour les autres qu'il veut nous faire dans tout le cours de notre vie. Sa miséricorde nous les prépare: mais, de peur de les prodiguer: elle attend que nous les souhaitions; c'est-àdire, en un mot, qu'il ne nous les accorde qu'autant que nous savons nous en rendre dignes par notre empressement à les demander.

Est-il rien, dit encore ce père, de plus convenable aux maximes mêmes de notre justice, rien dont nous ayons moins sujet de nous plaindre, que cette dispensation que Dieu fait de ses graces? Il nous veut donner ses richesses; mais il ne les donne qu'à ceux qui les lui demandent, de peur de les donner à ceux qui ne les veulent pas.

N'est-on pas trop heureux, quand il s'agit de posséder un si grand bien, de n'avoir qu'à le desirer? En peut-il moins coûter, puisqu'il ne faut que le vouloir ? Nulle des peines qu'on se donne pour acquérir les faux

biens du siècle n'est nécessaire pour obtenir de Dieu les véritables biens. Que ne fait-on point, que n'entreprend-on point, que ne souffre-t-on point dans le monde, et souvent sans aucun succès, pour acquérir des choses méprisables et dangereuses, qu'on serait fort heureux de n'avoir jamais, dit saint Chrysostome? Il n'en est pas de même des biens du ciel; Dieu est toujours prêt à les donner à qui les demande et souhaite sincèrement ce qu'il demande.

Faut-il donc s'étonner si saint Augustin nous assure souvent que toute la vie chrétienne n'est qu'une longue et continuelle tendance de notre cœur vers cette justice éternelle pour laquelle nous soupirons ici-bas? Tout notre bonheur est d'en être toujours altérés. Or cette soif est une prière; desirez donc sans cesse cette justice, et vous ne cesserez point de prier. Ne croyez pas qu'il faille prononcer une longue suite de paroles, et se donner beaucoup de contention afin de prier Dieu. Etre en prière, c'est lui demander que sa volonté se fasse, c'est former quelque bon desir, c'est élever son cœur à Dieu, c'est soupirer après les biens qu'il nous promet, c'est gémir à la vue de nos misères et des dangers où nous sommes de lui déplaire et de violer sa loi. Or cette prière ne demande ni science, ni méthode, ni raisonnemens ; ce ne doit point être un

travail de la tête; il ne faut qu'un instant de notre temps, et un bon mouvement de notre cœur. On peut prier sans aucune pensée distincte; il ne faut qu'un retour du cœur, d'un moment; encore ce moment peut-il être employé à quelque autre chose; la condescendance de Dieu à notre faiblesse est si grande, qu'il nous permet de partager pour le besoin ce moment entre lui et les créatures. Oui, dans ce moment occupez - vous selon vos emplois : il suffit que vous offriez à Dieu, ou que vous fassiez avec une intention générale de le glorifier, les choses les plus communes que vous êtes engagés à faire.

C'est cette prière sans interruption que demande saint Paul (1); prière dont le seul nom épouvante les lâches chrétiens, pour qui c'est une rude pénitence que d'être obligés de parler à Dieu, et de penser à lui; prière que beaucoup de gens de piété s'imaginent être impraticable, mais dont la pratique sera très-facile à quiconque saura que la meilleure de toutes les prières est d'agir avec une intention pure, en se renouvelant souvent dans le desir de faire tout selon Dieu Dieu.

et pour

Hé! qu'y a-t-il de gênant et d'incommode dans cette loi de la prière, puisqu'elle se ré

(1) I Thess. 5,

duit toute à acquérir l'habitude d'agir librement dans une vie commune pour faire son salut, et pour plaire au souverain maître ?

Les gens du monde qui s'appliquent à leur fortune, s'avisent-ils jamais de se plaindre que c'est une sujétion incommode que d'avoir à penser toujours à son propre intérêt, et à chercher continuellement les moyens de plaire au prince, et de parvenir ? ne s'en fait-on pas une habitude, et une habitude qu'on aime? Si donc on était sensible au salut éternel et au bonheur d'être agréable à Dieu, regarderait-on l'habitude d'agir pour lui, et selon son esprit, comme une habitude fàcheuse à acquérir? au contraire, cette habitude n'aurait-elle pas quelque chose qui nous consolerait, qui nous animerait, qui nous soulagerait dans les peines et dans les tentations que l'on a à surmonter quand on est déterminé à faire le bien ?

Est-ce trop exiger des hommes, que de les vouloir assujetir à demander souvent à Dieu ce qu'ils ne peuvent trouver en euxmêmes? Est-il rien de plus juste que de ne sortir point de cet état où l'on vit avec dépendance de Dieu, et où l'on sent à tout moment et sa propre faiblesse et le besoin qu'on a de son secours ? Il suffit d'être chrétien, dit saint Augustin, pour être obligé de se croire pauvre, et pour être réduit à demander à Dieu une aumône spirituelle.

« PrécédentContinuer »