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Consommation digne du drame lent et sûr conduit par Dieu

seul.

C'est tellement cet invisible qui domine dans Athalie, l'intérêt y vient tellement d'autre part que des hommes, bien 5 que ces hommes y remplissent si admirablement le rôle qui leur est à chacun assigné, que le personnage intéressant du drame, l'enfant miraculeux et saint, Joas, est, à un moment capital, brisé lui-même et flétri comme exprès en sa fleur d'espérance. Dans cette scène de la fin du troisième acte, 10 dans cette prophétie du grand-prêtre, qui est comme le Sinaï du drame, c'est Joas de qui il est dit :

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé?

Car qu'est-ce que Joas devant l'Éternel? De quel poids est-il, après tout, dans les divins conseils? Joas tombe, un 15 autre succède: roseau pour roseau. Joas, dans cette scène prophétique, c'est la race de David, mais elle-même rejetée dès qu'elle a produit la tige unique, nécessaire et impérissable: qu'importe la Jérusalem de pierre, quand on aura la nouvelle ?

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Quelle Jérusalem nouvelle

Sort du fond du désert, brillante de clartés,
Et porte sur le front une marque immortelle ?
Peuples de la terre, chantez:

Jérusalem renaît plus charmante et plus belle.
D'où lui viennent de tous côtés

Ces enfants qu'en son sein elle n'a point portés ?
Lève, Jérusalem, lève ta tête altière;
Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés;
Les rois des nations, devant toi prosternés,
De tes pieds baisent la poussière;
Les peuples à l'envi marchent à ta lumière.
Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur
Sentira son âme embrasée !

Cieux, répandez votre rosée,

Et que la terre enfante son Sauveur.

Le vrai Joas de la pièce, à ce moment sublime où elle se

transfigure, le Joas du lointain et de l'espérance immortelle, le flambeau rallumé de David éteint, l'enfant sauveur échappé du glaive, c'est le Christ.

Le temple Juif vu par l'œil Chrétien, le culte Juif attendri par l'idée Chrétienne si abondamment semée aux détails de 5 la pièce, et qui se dévoile en face à ce moment, voilà bien le sens d'Athalie.

La prophétie close, cet éclair deux fois surnaturel évanoui, le surnaturel ordinaire de la pièce continue; le drame reprend avec son intérêt un peu plus particulier; Joas redevient le 10 rejeton intéressant à sauver et pour qui l'on tremble. Joad lui-même, en lui parlant,, semble avoir oublié cette chûte future entrevue par lui-même dans la prophétie. Pourtant une sorte de crainte, à ce sujet, ne cesse plus, et fait ombre sur l'avenir et sur la persévérance de cet enfant merveilleux. 15 Joas y perd: la véritable unité de la pièce, Dieu, à qui tout remonte, y gagne.

Je me rappelle qu'enfant, quand je lisais Athalie, il me prenait une peine profonde de cette chûte prédite de Joas; à partir de cet endroit, la pièce, pour moi, était gâtée et 20 comme défleurie. C'est que je jugeais en enfant, sur la fleur, tandis qu'il faut entrer avec Joad dans le néant de l'homme et dans les puissances du Très-Haut.

Quoi qu'il en soit de cette ombre un moment aperçue au front de l'enfant, il est bien touchant que cet enfant tienne le 25 principal rôle de la pièce, au moins quant à l'intérêt de tendresse; il sied que la plus auguste et la plus magnifique pièce sacrée ait pour héros un enfant, et qu'elle ait été composée pour des enfants; c'est une harmonie Chrétienne de plus: Parvulis!

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Athalie, comme art, égale tout. Le sentiment de l'Éternel, que j'ai marqué le dominant et l'unique de la pièce, est si bien conçu et exprimé par l'âme et par l'art à la fois, que ceux même qui ne croiraient pas seraient pris non moins puissamment par ce seul côté de l'art, pour peu qu'ils y fussent 35 accessibles. Quand le Christianisme (par impossible) passerait, Athalie resterait belle de la même beauté, parce qu'elle le

porte en soi, parce qu'elle suppose tout son ordre religieux et le crée nécessairement. Athalie est belle comme l'Edipe roi, avec le vrai Dieu de plus.1

SAINTE-BEUVE.

1 De grands amateurs et connaisseurs de l'Antiquité, mais qui ne sont peut-être pas d'aussi grands connaisseurs des beautés françaises d'Athalie, me soutiennent que Sophocle reste supérieur; qu'Athalie peut avoir la grandeur d'éloquence des Anciens, mais qu'elle n'en a pas la poésie; qu'après tout, un choeur de Sophocle, avec son style si hardi, si sacré, si vivant d'images, avec ses paroles ailées qui vont comme des flèches, est plus beau, sans comparaison, que le plus beau choeur de ce chef-d'œuvre moderne. J'écoute, je laisse dire; j'envie ceux qui seraient capables, au même degré, de juger des deux genres de beautés. Ce qui est certain, c'est que tous les modernes qui n'ont eu que des termes de comparaison plus rapprochés, n'ont rien conçu de plus parfait qu'Athalie et n'ont rien mis au-dessus. Je pourrais citer tout ce qu'il y a eu de bons esprits, même parmi les incrédules. Madame Du Deffand disait que s'il lui fallait choisir un ouvrage qu'elle eût voulu avoir fait, et s'il lui fallait n'en choisir qu'un, elle opterait pour Athalie. Le grand Frédéric disait qu'il aimerait mieux avoir fait Athalie que la guerre de Sept-Ans.-Je lis dans les Anecdotes de Spence (section I) ce témoignage de Ramsay, qui n'a rien que de vraisemblable: L'Archevêque de Cambrai avait coutume de dire que l'Athalie de Racine était la pièce la plus complète qu'il eût jamais lue, et que, dans son opinion, il n'y avait rien chez les Anciens, pas même dans Sophocle, qui l'égalât.'

PRÉFACE.

Tout le monde sait que le royaume de Juda était composé des deux tribus de Juda et de Benjamin, et que les dix autres tribus qui se révoltèrent contre Roboam composaient le royaume d'Israel. Comme les rois de Juda étaient de la maison de David, et qu'ils avaient dans leur partage la ville et 5 le temple de Jérusalem, tout ce qu'il y avait de prêtres et de lévites se retirèrent auprès d'eux, et leur demeurèrent toujours attachés. Car depuis que le temple de Salomon fut bâti, il n'était plus permis de sacrifier ailleurs; et tous ces autres autels qu'on élevait à Dieu sur des montagnes, appelés 10 par cette raison dans l'Écriture les hauts lieux, ne lui étaient point agréables. Ainsi le culte légitime ne subsistait plus que dans Juda. Les dix tribus, excepté un très-petit nombre de personnes, étaient ou idolâtres ou schismatiques.

Au reste, ces prêtres et ces lévites faisaient eux mêmes une 15 tribu fort nombreuse. Ils furent partagés en diverses classes pour servir tour à tour dans le temple, d'un jour de sabbath à l'autre. Les prêtres étaient de la famille d'Aaron; et il n'y avait que ceux de cette famille, lesquels pussent exercer la sacrificature. Les lévites leur étaient subordonnés, et avaient 20 soin, entre autres choses, du chant, de la préparation des victimes, et de la garde du temple. Ce nom de lévite ne laisse pas d'être donné quelquefois indifféremment à tous ceux de la tribu. Ceux qui étaient en semaine avaient, ainsi que la grand prêtre, leur logement dans les portiques ou galeries 25

dont le temple était environné, et qui faisaient partie du temple même. Tout l'édifice s'appelait en général le lieu saint. Mais on appelait plus particulièrement de ce nom cette partie du temple intérieur où était le chandelier d'or, l'autel 5 des parfums, et les tables des pains de proposition. Et cette partie était encore distinguée du Saint des Saints, où était l'arche, et où le grand prêtre seul avait droit d'entrer une fois l'année. C'était une tradition assez constante, que la montagne sur laquelle le temple fut bâti était la même 10 montagne où Abraham avait autrefois offert en sacrifice son fils Isaac.

J'ai cru devoir expliquer ici ces particularités, afin que ceux à qui l'histoire de l'Ancien-Testament ne sera pas assez présente n'en soient point arrêtés en lisant cette tragédie. 15 Elle a pour sujet Joas reconnu et mis sur le trône; et j'aurais dû dans les règles l'intituler Joas; mais la plupart du monde n'en ayant entendu parler que sous le nom d'Athalie, je n'ai pas jugé à propos de la leur présenter sous un autre titre, puisque d'ailleurs Athalie y joue un personnage si 20 considérable, et que c'est sa mort qui termine la pièce. Voici une partie des principaux événemens qui devancèrent cette grande action.

Joram, roi de Juda, fils de Josaphat, et le septième roi de la race de David, épousa Athalie, fille d'Achab et de Jézabel, 25 qui régnaient en Israel, fameux l'un et l'autre, mais principalement Jézabel, par leurs sanglantes persécutions contre les prophètes. Athalie, non moins impie que sa mère, entraîna bientôt le Roi son mari dans l'idolâtrie, et fit même construire dans Jérusalem un temple à Baal, qui était le dieu du pays de 30 Tyr et de Sidon, où Jézabel avait pris naissance. Joram, après avoir vu périr par les mains des Arabes et des Philistins tous les princes ses enfants, à la réserve d'Okosias, mourut lui-même misérablement d'une longue maladie qui lui consuma les entrailles. Sa mort funeste n'empêcha pas Okosias d'imiter 35 son impiété et celle d'Athalie sa mère. Mais ce prince, après avoir régné seulement un an, étant allé rendre visite au roi d'Israel, frère d'Athalie, fut enveloppé dans la ruine de la maison d'Achab, et tué par l'ordre de Jéhu, que Dieu avait

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