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des sacristains ou muezzins, tous commencèrent à crier à l'innovation. Les janissaires hurlèrent et les pachas qui entrevoyaient la répression prochaine de leurs brigandages dans cette institution, s'attachèrent au parti de Passevend Oglou de Vidin, pour s'opposer à l'établissement de la milice régulière.

Le sultan qui ne connaît guères le mécontentement public, que quand il voit embrâser des quartiers de Constantinople, avait mis le rebelle au ban de l'empire. Les premiers avantages obtenus par Akir pacha, avaient été bientôt suivis de revers, et Alo pacha, beglier bey de l'Anatolie, qu'on lui avait donné pour successeur, n'ayant pas été plus heureux que son prédécesseur, la Porte Ottomane, après avoir ordonné de décapiter ces deux généraux, avait fait marcher le ban et l'arrière-ban de l'Asie-Mineure contre les rebelles de la Thrace qui avaient envahi la Valachie jusqu'aux environs de Bukarest. Mais ces succès étaient l'ouvrage de hordes fanatiques, plutôt que ceux d'un chef habile qui aurait été dirigé par des plans sagement médités, et Passevend Oglou était rentré dans ses limites dès que l'armée ottomane, forte de cent mille combattans, pénétra dans les vallées du mont Hémus.

Quarante pachas de l'Asie-Mineure et de l'Europe, accourus à l'ordre du sultan, se trouvaient campés devant Vidin, sous le commandement de Kutchuk Hussein Capitan pacha, chef de cette confédération de vice-rois, plus attentifs à s'observer qu'à combattre le proscrit (1), lorsqu'on

(1) Le camp du Capitan pacha, composé de cette foule de vice-rois, formait autant de groupes qu'il y avait de pachas. Un seul occupait autant d'espace qu'il en aurait fallu à une division européenne trois fois plus nombreuse. L'armée ottomane s'étendait sur un cercle de plus de dix lieues de circonférence autour de la place. Quoique plusieurs camps fussent séparés par le Danube et des rivières assez considérables, ils n'avaient entre eux aucun pont de communication. Une partie des troupes était campée et l'autre baraquée, mais le tout indistinctement, et les différentes armées confondues. L'artillerie de campagne, que les Tures croyaient suffisante pour former un

apprit le débarquement en Égypte de l'armée française, composée de l'élite de nos guerriers.

Ali pacha, qui venait à peine d'arriver sur les bords du Danube, ne tarda pas à recevoir courriers sur courriers de son fils Mouctar, par lequel il était informé que les Français, dans leurs dispositions fraternelles, cherchaient à soulever les Grecs. Ils venaient de se mettre en communication avec les Souliotes, leur consul à l'Arta avait distribué quatre mille cocardes, et les paysans commençaient à chanter je ne sais, disait-il, quel hymne appelé la Marseillaise, traduit en grec par le Thessalien Rigas (1). Ces nouvelles, un peu exagérées, furent communiquées par Ali au généralissime ottoman, et prévoyant que la guerre éclaterait entre la Turquie et la France, il obtint sans peine du grand-visir la permission de retourner à Janina, où il arriva en poste, pour prendre part aux événements qui allaient éclater.

L'essence de la politique du cabinet ottoman donne généralement à ceux qui participent au secret de l'état, une fausseté d'autant plus décevante, qu'ils ne sont jamais aussi expansifs que quand ils dissimulent, et plus affectueux que lorsqu'ils méditent quelques vengeances atroces. Ali, de retour dans ses états, au lieu de sonner l'alarme, parut plus qu'auparavant favorable aux Français, qui avaient cherché à le détourner de se rendre à Vidin (2). Il s'empressa d'écrire

siége, était éparpillée ainsi que les chariots qui portaient les munitions. On établit cependant des batteries; mais on manquait tantôt de boulets, tantôt de bombes, et parfois de poudre. Une chose singulière, qui ne nuisait moins à l'attaque, c'est que chaque bouche à feu appartenait à un maître

pas

particulier, et ne tirait que lorsque celui-ci le jugeait propos, et le propriétaire du canon ou du mortier restait à la batterie aussi long-temps qu'il permettait de s'en servir. — Voyez Précis des opérat. de la divis. française du Levant, par J. P. Bellaire, p. 29, 30, 31. Paris, 1805.

(1) C'était le Atte, Taïdes röv Exańver, qu'on lit tronqué et mutilé dans la traduction française de lord Byron.

(2) Le capitaine Scheffer avait été envoyé de la part du général Chabot pour négocier cette affaire délicate, dans laquelle il échoua complètement. « Je sais, lui dit Ali, en le quittant, qu'en combattant Passevend Oglou,

au général Chabot (1), qu'il regardait les circonstances nouvelles comme l'événement le plus heureux qu'il aurait pu souhaiter, afin de prouver son attachement à la France dont il voulait rester l'allié. Il ne fallait donc pas s'étonner, s'il rappelait ses troupes de Vidin et s'il en levait même de nouvelles, son intention étant de garder une neutralité armée dans la crise qui se préparait.

Le général français trompé par ses assurances, se laissa abuser sur les desseins du visir, qui remplissait son devoir, en informant la Porte de ses négociations, et en se préparant à une guerre occasionée par la plus injuste des agressions.

Certain d'avoir donné le change sur ses véritables intentions, Ali, qui aurait dû se présenter en brave, n'eut pas plus tôt appris la déclaration de guerre du GrandSeigneur contre la république française (2), qu'il débuta par une lâche perfidie. Sans dénoncer les hostilités, il appela à une conférence, dans la ville de Philatès, l'adjudantgénéral Rose, qu'il qualifiait du nom de frère, lui donna un splendide festin, à la suite duquel il lui fit mettre les. menottes et l'envoya chargé de chaînes à Janina, d'où il le fit bientôt après transférer à Constantinople (3).

» je fais une démarche qui déplaira à mes amis; mais ma position m'y con» traint, et à moins que l'on ne me donne dix mille Français et cent mille >> sequins, je ne puis désobéir. » Précis des opérat., etc., par J. P. Bel

laire, p. 22 et 23.

(1) Je ne sais où M. le colonel Vialla de Sommières a pris l'épisode d'une guerre survenue à cette époque, entre Ali pacha et les Monténégrins: il n'y a pas un mot de vrai dans cette histoire, détaillée dans son voyage au Monténégro. Le 22 septembre 1798, Ali attaquait les Français à Buthrotum. Enfin, jamais il n'a eu que des rapports d'intrigue avec le Vladika, pour faire inquiéter, par son entremise, le visir de Scodra.

(2) La déclaration de guerre de la Porte contre la France est du 1er Rebyul 1213, 10 septembre 1798.

(3) L'adjudant-général Rose, né à Marseille, avait été élevé à Patras, en Morée, par son oncle, qui était consul du roi dans cette résidence ; il avait environ soixante-quatre ans quand je le vis aux sept tours, à Constantinople, où il mourut le 5 brumaire, 26 octobre 1799.

Il n'y avait plus à se méprendre sur ses desseins; cependant comme on n'était pas en mesure de se venger, on persista à s'abuser jusqu'au moment où il s'empara de vive force du faible poste de Buthrotum. Après ce coup de main, Ali traversa aussitôt la Thesprotie à la tête de tous les agas de cette contrée et des deux Albanies qui joignirent leurs contingents à ses bandes, afin d'attaquer Prévésa.

On songea alors à prendre des mesures de défense à Corfou, où Gentili avait été remplacé par le général Chabot, qu'un brick expédié d'Égypte par le généralissime Bonaparte prévint, vers la fin de septembre, de se tenir sur ses gardes et de se préparer à la guerre.

Rien de plus fâcheux ne pouvait arriver à cette division militaire. Les commissaires civils du Directoire, qui avaient succédé partout aux fougueux proconsuls de la Convention, étaient en discorde avec les généraux. La place n'était point approvisionnée, et au lieu de s'occuper de sa défense, on avait perdu le temps à planter des arbres de liberté, à installer des municipalités, à célébrer des bacchanales, et à alarmer les consciences, en insultant le clergé grec et romain. La châsse de Saint-Spiridion, ses lampes en vermeil, ses nombreux ex voto, étaient menacés de passer au creuset; mais le cours des événements, en mettant fin au pouvoir des agents directoriaux, rendit l'autorité toute entière aux gens d'épée, qui respectèrent le culte public, et reconquirent ainsi les suffrages des Ioniens. Cependant, par suite d'un orgueil honorable, mais mal entendu, on s'obstina à défendre Prévésa, en disant qu'on aurait eu mauvaise opinion des vainqueurs de l'Italie, si on les avait vus se retirer devant des Albanais, au moment du danger.

La France, qui n'a laissé que d'honorables souvenirs dans la Grèce, avait confié la défense de Prévésa et du territoire de Nicopolis à quatre cent quarante soldats français

commandés par le général La Salcette (1). Ce chef, arrivé au poste du danger, avait à peine organisé la garde municipale de Prévésa, et envoyé des munitions de guerre aux Souliotes, qui offraient de se ranger sous ses drapeaux, qu'il songea à la défense du poste avancé de Nicopolis. Le col de la presqu'île parut susceptible d'être défendu, l'enthousiasme des Grecs était au comble, et on se fit illusion. Parce qu'on avait été constamment heureux, on osa espérer la victoire! Mais à peine avait-on élevé une batterie, où M. Richemont, officier du génie, fit placer deux pièces de canon en fonte, seule artillerie de position du détachement, qu'on eut avis des approches de l'armée d'Ali pacha,

Des traîtres qui le tenaient au courant des dispositions des Français, préparaient ainsi leur défaite et leur propre perte. La nuit du 4 brumaire, on entendit dans les montagnes qui couronnent au nord la presqu'île, les glapissements des lapyges albanais; et le général La Salcette se rendit sur le terrain aux premiers coups de fusil, qui furent tirés vers minuit. Il donna l'ordre de réunir les soldats disséminés; il fit prendre les armes à la garde municipale de Prévésa, et il établit sa ligne de bataille au nord de Nicopolis, en donnant la droite de son centre aux troupes grecques.

On résolut de recevoir l'ennemi dans cette position. Cependant les Souliotes annoncés et attendus ne paraissaient pas. On apercevait une incertitude sinistre dans les rangs des Prévésans auxiliaires; leur langage, naguère présomptueux, changeait, lorsqu'à trois heures du matin, la fusil(1) Les troupes gallo-grecques étaient fortes d'environ sept cents hommes, savoir :

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