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patriarches, prosternés aux pieds des ministres pants dans les sallons des ambassadeurs chrétiens, quand leurs chefs ont besoin d'un crédit étranger; et habiles à prendre toutes les formes convenables à leurs desseins.

Les dépenses extraordinaires mises à la disposition des capi-tchoadars leur donnent des moyens faciles de pénétrer dans les secrets de l'état; et les courriers attachés à leur service instruisent sans intermédiaire leurs mandataires de ce qui peut les intéresser. Souvent, par ce moyen, ils devancent les ordres que le divan transmet aux visirs ; et plus souvent, ils les préviennent à temps des dangers auxquels ils sont exposés.

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Par suite de ce flux et reflux d'action, le ministère est personnellement en réserve vis-à-vis de ces émissaires. Ses membres et les employés des bureaux sont à leur tour suspects les uns aux autres, dans la crainte de perdre leurs pensions secrètes, et de se créer des ennemis en laissant percer leurs sentiments de patronage envers tel ou tel pacha. Aussi, quand on a décidé de perdre quelque satrape, la résolution est aussi brusque qu'imprévue. On saisit ses capi-tchoadars; on s'empare de leurs chiffres de leur correspondance; et, comme ils sont sans aveu, c'est sur leur tête que retombent toujours les premiers coups de l'autorité, à moins qu'ils ne se constituent accusateurs et ne se prononcent avec un zèle furieux contre leurs commettants.

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Dans le cours ordinaire des choses, les capi-tchoadars marchent entourés de déférences et de présents. Ils ne manquent jamais, de saluer affectueusement les portiers des ministres, et de leur donner des étrennes ; il serait impolitique à eux de négliger le barbier, le donneur de pipe, les gens qui présentent le café, le limonadier, et la suite nombreuse des laquais d'un grand, qui passent souvent de l'antichambre dans le salon, car la domesticité

est, en Orient, le chemin du pouvoir, assemblage luimême bizarre d'esclaves parvenus.

Le Turc sorti de la poussière, que le hasard a élevé en dignité, regarde ces manéges du haut de son arrogance, recueille discrètement l'or qu'on le prie d'accepter, promet, donne des espérances, et se déclare pour celui qui peut le mieux satisfaire sa cupidité. On voit d'après cela que le comte Choiseul-Gouffier, qui a placé au nombre des fléaux de l'Orient la race des Drogmans, à laquelle on peut ajouter les coteries de Péra, n'avait pas connu les capi-tchoadars, qui sont un des plus grands obstacles aux poursuites des ambassadeurs, lorsqu'ils réclament l'exécution des capitulations. Ainsi, satrapes, ministres, agents, tout, dans ces vieux gouvernements de l'Orient, prouve que les êtres les plus vils sont les seuls convenables à un pareil système ; et que si l'homme de bien n'approche jamais du trône, la vérité arrive bien moins encore jusqu'à l'oreille du despote, endormi au sein de la mollesse et du pouvoir absolu.

Un satrape tel que le visir Ali ne pouvait être que mal représenté à Constantinople ; et le conseil dont il se trouvait environné n'avait guère plus de moyens de lui donner des lumières. Cette réunion, comparable aux sénateurs de Tibère, imbue des plus vils principes de parcimonie, ne songeant qu'à plaire au maître, ne manquait jamais d'être de son avis. Soit qu'on délibérât de la vie, de l'honneur et des biens des citoyens, la tête servile de ces conseillers s'inclinait devant son avis, persuadés que qui plaint les peuples devant un tyran se déclare son ennemi, et que suivant le proverbe de Saadi: lui donner des conseils salutaires, c'est laver ses mains dans son propre sang. Ainsi, comme il n'y avait pas de volonté, il en résulta constamment oppression pour tous, et absence générale de raison, même dans les décisions équitables.

Telle était la position du satrape de Janina , que je vais reproduire entouré des éléments de la tyrannie et écrasant la Grèce du poids de son autorité. Je reprends en conséquence ma narration au moment où, par la nature de mes fonctions, je fus initié aux affaires de l'Épire et de la Grèce.

Les Souliotes expulsés de la Thesprotie, au nombre de dix-sept cents, s'étaient retirés dans l'île de Corfou, où les Russes leur donnèrent des terres et les moyens de former une colonie, mais ils ne purent les apprivoiser. Ils pleuraient leurs montagnes. Accoutumés aux armes, les enfants de la Selleïde dédaignaient la condition de laboureurs, et pour ne pas déroger à leurs mœurs héroïques, aussi long-temps qu'ils trouvèrent à dérober aux nobles Corcyréens des poules et des chèvres, ils refusèrent obstinément de se livrer au travail. Leurs femmes déclosaient les parcs dont elles allaient vendre le bois en ville, pour faire subsister leurs maris occupés à nettoyer leurs armes et à jouer de la lyre! On n'entendait que des plaintes contre ces hôtes nouveaux, et on ne trouva de moyen de tirer parti d'une pareille population, qu'en formant de ces émigrés un corps de milice que la Russie prit à sa solde. Ils figurèrent ainsi dans les expéditions de Naples et de Cataro, en 1806 et 1807, sans s'y distinguer. Ils n'avaient pas des Turcs pour adversaires, ils ne combattaient plus sur le théâtre de leur gloire, il leur fallait le climat de l'indépendance pour être braves et comme les arbustes transplantés d'un sol agreste dans une serre où ils languissent, la discipline russe ne fit d'intrépides montagnards que de très-mauvais soldats.

Ali pacha, qui ne perdait pas de vue ces hommes qu'il savait parfaitement apprécier, s'était occupé à briser tous les chaînons auxquels ils pouvaient rattacher leur existence militaire et politique. Il avait en conséquence dissipé et affaibli la ligue des armatolis, lorsqu'en débordant la fron

tière du Parnasse il envahit la Phocide jusqu'aux Thermopyles, de sorte qu'à la fin de l'année 1805 il était maître de la Hellade entière, à l'exception de la Béotie et de l'Attique, où il fit nommer pour vaivode une de ses créatures qui vint siéger à Athènes. Il ne lui resta plus qu'à purger l'Étolie et l'Acarnanie de quelques bandes d'Agraphiotes, pour y commander comme à Janina.

Établi en vainqueur dans ces provinces d'antique liberté, Ali confia le soin de leur police à son lieutenant Jousouf Arabe. Il se reposait avec une telle confiance sur cet agent exterminateur, qu'il le créa exécuteur absolu de ses vengeances pour dompter les peuplades qui défendaient encore leur indépendance contre ses attentats. Ce n'était point en proclamant l'oubli du passé, mais en détruisant par le fer ceux qu'il appelait ses ennemis que le visir voulait consolider son autorité, persuadé que les morts seuls ne reviennent pas. On vit ainsi son lieutenant incendier les bourgades principales de l'Agraïde, leurs habitants massacrés, suppliciés ou vendus, et un pays florissant réduit à l'état le plus complet de désolation.

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Tant de cruautés refoulèrent dans les îles de Céphalonie, d'Ithaque et de Leucade, l'élite des capitaines de l'Acarnanie et de l'Étolie, qui furent presque aussitôt invités à prendre part à une grande entreprise. Il se tramait alors à Corfou une vaste conspiration contre la Porte Ottomane. Les Russes cherchaient encore une fois à opérer un soulèvement dans la Grèce; et celui qui en avait tous les fils dans la main, l'archevêque Ignace, réfugié à Leucade, se trouvait aux avant-postes de l'insurrection.

Ce fut un spectacle nouveau pour les Ioniens de voir Cadgi Antonis couvert d'armes brillantes se présenter, entouré de ses cinq frères, au nombre desquels on citait Georges et Lepeniotis. Ce dernier avait pris son surnom d'un village qui a succédé à l'antique Stratos, place voisine de l'Achéloüs, où il avait reçu le jour dans la cabane d'un

berger. Christakis de Prévésa, Chamis Caloyeros, Christos Vlakos, Skylodimos, Zongos ou Zongas, alors protopalicare du chef des bandes étoliennes : Nothis et Kitzos Botzaris, qui venaient de donner des armes au jeune Marc, l'honneur futur de la Hellade, convoqués au nom de l'empereur Alexandre, lui prêtèrent serment de fidélité perpétuelle (1), pour servir contre ses ennemis. Cadgi Antonis, agissant au nom de tous ses capitaines, jura de ne poser les armes qu'après avoir reconquis l'indépendance de la Grèce, sous la suzeraineté puissante de l'autocrate orthodoxe de Russie, et on attendit les jours de grace qui ne devaient pas tarder à briller pour la Hellade.

Tandis que ces événemens se préparaient, le tyran arrachait des bras d'Ibrahim pacha la dernière de ses filles, pour la donner en mariage à son neveu Aden bey, second fils de l'incestueuse Chaïnitza. Ainsi fut consommé le malheur du visir de Bérat, qui aurait pu, en unissant la plus jeune de ses filles à quelque voisin puissant, s'en faire un appui et se ménager un asile contre les malheurs dont il était menacé ; mais il devait, ainsi que ces oiseaux timides, qui se laissent, dit-on, fasciner, tomber sous la dent meurtrière du serpent destiné à le dévorer. Cependant ou crut entrevoir un rayon d'espérance lorsqu'en contractant cette alliance, le fils d'Ibrahim fut fiancé avec une fille de Véli pacha. Mais Ali n'avait feint ce croisement de familles, qu'afin de placer un agent secret auprès du fils d'Ibrahim, si le mariage se contractait; et, dans le cas contraire, il trouvait un moyen de prolonger l'illusion d'une famille qu'il voulait anéantir.

Cependant des nuages présagaient une rupture prochaine entre la Russie et la Turquie. Un écrit publié

(1) Dans leurs traités ou capitulations avec la France et l'Angleterre, ces mêmes soldats en prenant du service, exceptèrent toujours le cas d'être employés contre la Russie, avec laquelle ils étaient liés par un serment religieux.

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