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sous le nom de Tchélebi effendi (1), adressé aux musulmans pour les engager à substituer aux hordes des janissaires le Nizam-y-Dgédid ou milice disciplinée à l'européenne, circulait dans le public. L'auteur annonçait que « le Dieu » Très-Haut ayant voulu que la race des hommes, depuis » Adam jusqu'au jour du jugement dernier, fût condam» née à souffrir, la Providence avait créé un empereur » du monde (le Sultan distributeur de couronnes), pour >> administrer les affaires de toute la compagnie de ses >> serviteurs. »

gens

Partant de ce préambule, après avoir jeté un coup d'œil sur les différents royaumes, indigné de voir une secte de attachés aux vieux usages, il s'écriait : « Voulez-vous >> que je vous fasse le récit des troubles survenus sur la >> terre avant que le Nizam-y-Dgédid existât? Voyez les dé>> sordres arrivés dans l'Asie-Mineure par les Courdes Gel» lali; l'insolence de Sarry bey Oglou; les brigandages >> des Wahabites, etc. est-ce le Nizam-y-Dgédid qui a >> fait tout cela?..... Et cependant une canaille composée » de la lie du peuple, se réunissant dans les boutiques des >> barbiers, des cafés, oubliant ce qu'elle est, se permet » d'injurier la Sublime Porte, et comme elle n'a pas été » visitée par le châtiment, elle s'est enhardie à dire tout » ce qui lui plaisait. Mais rappelez-vous et qu'elle se rap» pelle le temps de Soliman le Canonique. Alors, comme » aujourd'hui, le peuple raisonnait; sur quoi l'empereur » fit couper la langue des médisants et les oreilles de ceux » qui les écoutaient, et les fit clouer, pour servir d'exem»ple au public, au haut d'une petite porte près du palais » du sultan Bajazet. Comme cet endroit était un lieu de >> passage, ceux qui avec leurs yeux contemplaient ce >> spectacle apprenaient à ne pas écouter et à retenir leur » langue. >>

(1) Voyez cet écrit dans l'ouvrage de Wilkinson, traduit et imprimé à Paris en 1821.

Malgré cette éloquence à l'usage des Orientaux, la nouvelle milice n'en resta pas moins odieuse au peuple, qui fit justice de cet écrit, comme d'autres brochures arrivées de France, pour engager les musulmans à reprendre le rang d'enfants de la dévastation, dans l'Europe civilisée. Mais avant d'aborder ce sujet, il convient de reprendre le récit sommaire de quelques événements qui précédèrent ceux de l'année 1806, afin de montrer les moyens que la Providence préparait pour changer la face de l'Orient, en dévoilant la faiblesse du gouvernement turc aux Grecs impatients du joug sous lequel ils gémissaient.

La première idée d'une milice permanente en Turquie avait été donnée par le général Aubert Dubayet; et quoique le corps qu'il forma à Constantinople fût dissous à sa mort, ses leçons ne furent pas perdues auprès d'un ministre tel que le grand amiral Hussein pacha. Ce chef, qu'on a vu figurer au siége de Viddin, ayant pris à son service plusieurs étrangers, en avait formé un régiment qu'il se plaisait à rassembler tous les vendredis, et à faire manoeuvrer à l'européenne. La contenance de ces vieux soldats, leur habillement, l'éclat de leurs armes, l'ensemble et la préci– sion de leurs mouvements, étonnaient les spectateurs. Devenus l'objet de l'attention du gouvernement, après la guerre contre les Français en Égypte, on avait résolu de former plusieurs corps sur ce modèle, et le mouphti Véli Zadé secondant Hussein pacha, on procéda à leur organisation.

Uniforme, armement, discipline, réglements, argent nécessaire à l'entretien du Nizam-y-Dgédid, tout fut réglé avec tant de sagesse, que les fonds qui s'élevaient en l'année 1800 à cinquante millions de piastres, se montaient en 1806 à plus de soixante-quinze millions (1). Sélim III se complaisait dans l'idée que cette milice, en comprimant ses pachas, servirait à remplacer les janissaires dégénérés, et à

(1) Voyez, pour l'organisation du Nizam-y-Dgédid, l'Histoire des révolutions de Constantinople, en 1807 et 1808, par Juchereau de Saint-Denis.

man,

restaurer l'empire des sultans. Deux renégats, l'un Grec connu sous le nom d'Aga, et l'autre Prussien appelé Soliavaient été choisis pour chefs de ce nouveau corps, dans lequel on enrôlait tous les militaires Francs qui consentaient à renoncer à la foi de leurs pères pour parvenir au grade d'officier, qu'une foule d'Allemands obtinrent à cette condition infamante. On avait aussi tout organisé : la marine, l'artillerie, l'armée de terre et l'administration florissaient. Les progrès de l'esprit, qui ont une marche victorieuse, enveloppaient le trône du sultan, étonné de s'en voir entouré; la Turquie se ranimait, et le nouveau corps avait montré, avant même d'avoir reçu cette extension, qu'il était supérieur aux hordes indisciplinées de Hadgi Becktadgé.

Pendant les années 1803 et 1804, des bandes de brigands commandées par les chefs qu'Ali pacha avait relâchés après sa campagne dans la Romélie, avaient été vaincues au nombre de plus de trente mille par les Nizam-Dgédites. Ces exploits étaient l'ouvrage de deux bataillons sortis de Constantinople, d'une compagnie d'artillerie légère, de deux escadrons de cavalerie et de trois régiments formés dans la Caramanie. Mais autant ces succès éclatants flattaient le sultan, autant ils affligeaient ses pachas, qui entrevoyaient dans l'extirpation de l'anarchie, le terme de leur existence dévastatrice, lorsqu'un édit impérial (kattichérif), en date du mois de mars 1805, mit le comble à leurs anxiétés.

Cette déclaration souveraine, discutée au banc des ministres, sanctionnée par le Mouphti, et datée de l'étrier impérial du successeur des Caliphes, ordonnait de choisir dans les villes et villages de la Turquie, parmi les janissaires et jeunes gens de l'âge de vingt à vingt-cinq ans, les hommes les mieux constitués pour être incorporés dans les NizamDgédites. Il n'en fallut pas davantage pour mettre les suppôts des abus en fureur. Et comme on attribuait la suggestion de cette mesure aux Français, la légation russe qui

avait intérêt à maintenir les Turcs dans une longue nullité, celle d'Angleterre, excitée par la compagnie du Levant, la diplomatie et l'ignorance se réunirent pour exciter une fermentation générale.

On reçut à coups de bâton à Andrinople le maître des requêtes qui vint y proclamer l'édit de recrutement du Grand-Seigneur. A Rodosto, le cadi chargé de son exécu— tion fut massacré par la populace. Le hattichérif fut brûlé à Janina; et ces tristes présages firent qu'on n'osa le publier à Constantinople, où le Mouphti sut contenir l'ouléma, ou corporation des gens de loi, par une sage fermeté.

Cependant l'horizon s'obscurcissait; et Napoléon, qui n'aima jamais les Grecs (1), avait mis à contribution le savoir de nos orientalistes et les presses de son imprimerie, afin d'adresser aux mahométans un écrit intitulé: Voix d'un muezzin, avec la traduction en turc, arabe et persan des bulletins de ses grandes armées, pour l'édification des ennemis du nom chrétien. Le conquérant prétendait enflammer les Osmanlis par le récit pompeux de ses batailles qui, loin de leur inspirer du courage, ne tendaient qu'à les alarmer. Pour surcroît de malheur, on se défia du héros qui voulait tout entraîner dans son orbite funeste, et une lettre en date du 24 juin 1806, qu'il écrivit à Ali pacha, fut reçue avec tiédeur, parce qu'il parlait de la gloire de l'empire ottoman à celui qui ne voulait que son humiliation.

Le calme était néanmoins rétabli dans la Romélie, quand le général Sébastiani arriva à Constantinople en qualité d'ambassadeur de France. La mission qu'il avait remplie en 1803, lorsque Napoléon, occupé de la conquête de l'Inde de concert avec la Russie, songeait à établir son point de

(1) J'ai entendu raconter qu'étant à Sainte-Hélène, Napoléon, entraîné dans une discussion relative aux projets de la Russie contre la Turquie, s'écriait : Non, je ne souffrirai jamais qu'Alexandre renverse l'empire Ottoman..... Puis abaissant ses regards vers la mer, il dit en soupirant : Il le peut maintenant.....

départ d'Alep, avait décidé l'empereur à faire choix d'un homme digne de sa confiance pour une opération d'une autre nature. Il s'agissait maintenant de profiter de toutes les circonstances pour entraîner la Porte dans une guerre contre la Russie, et le consul de Janina avait ordre d'engager Ali pacha à seconder cette mésure par l'influence que celui-ci exerçait dans le divan.

La conduite des hospodars C. Hypsilantis et A. Morousi, qui gouvernaient alors la Valachie et la Moldavie, permettait de soupçonner leur fidélité. L'ambassadeur Sébastiani en fit part au divan, qui n'ignorait rien de leurs intrigues; et quoique la Porte eût stipulé dans son dernier traité avec la Russie, qu'aucun gouverneur des provinces ultradanubiennes ne pourrait être destitué que dans le cas où le ministre de cette puissance reconnaîtrait la justice de sa déposition, on ne fut pas arrêté par ces considérations. Les hospodars furent remplacés par Suzzo et Callimacki. Morousi revint à Constantinople, tandis que Hypsilantis, constant dans sa haine contre les Turcs, parvenait, de la Transylvanie où il s'était réfugié, à soulever contre le Sultan, Czerni Georges et les Serviens, qui venaient de conclure un armistice avec l'empire ottoman.

La guerre devait être la conséquence inévitable de ce qui se passait. Néanmoins, M. Italinski ouvrit des négociations (1) de concert avec M. Arbuthnot, ambassadeur d'Angleterre, et la Porte hésitait quand le général russe Michelson entra, au mois de novembre 1806, sur le territoire ottoman, précédé d'une proclamation (2) qui contri

(1) Son ultimatum était : 1o que la Porte revînt sur sa résolution relative aux hospodars; 2o qu'elle rejetât la demande faite par la France de fermer le passage des Dardanelles aux vaisseaux russes et anglais.

(2) Proclamation du général Michelson, publiée au nom de S. M. l'em

pereur de Russie.

«La sollicitude paternelle et la vigilance constance avec laquelle nos an>>cêtres ont cherché de tout temps à préserver ce pays de tous malheurs,

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