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Il se retira ensuite pour écrire son fetfa, et il mit au bas de la question qui lui était adressée au nom du peuple : Non; Allah sait le meilleur.

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Cette décision réformait celle du mouphti, qui avait homologué les réglements du Nizam-y-Dgédid: et le nouveau fetfa devint la sentence de Sélim III. Nous ne voulons plus qu'il soit notre souverain, répétèrent mille et mille voix aussitôt que l'oracle du cheïkislam fut proclamé; qu'il soit déposé ; il est l'ennemi du peuple. Vive le sultan Moustapha IV! il fera notre bonheur.

Cabakdgi, prenant aussitôt la parole, déclare que Sélim III, fils de Moustapha, a cessé de régner, et que le sultan Moustapha, fils d'Abdoul-Hamid, est devenu le légitime empereur des Osmanlis. Il ne s'agissait plus que de notifier cette résolution à l'empereur déposé, qui tenait entre ses mains le prince qu'on déclarait souverain à sa place; et on jeta les yeux sur le mouphti, que son caractère mettait à l'abri de la peine capitale qu'il avait si légi– timement méritée.

L'hypocrite, couvert du manteau de la religion, accepte la mission qui lui est confiée par les révoltés. Le sérail s'ouvre à son approche, et il aborde le sultan 'qu'il trouve dans la salle où il avait coutume de donner audience à ses ministres. Il tombe à ses pieds, et d'une voix entrecoupée de sanglots, il lui conseille de s'humilier devant les décrets de la providence en cédant le trône à son neveu Moustapha.

Sélim entendit son arrêt avec calme. Jamais sa figure noble et belle n'avait paru plus sereine. Après avoir pendant quelque temps promené ses regards sur les spectateurs qui l'entouraient, comme pour leur dire adieu, il s'achemina lentement vers les appartements qu'il avait occupés avant son avénement au trône.

L'auteur de cette histoire se trouvait au sérail d'Ali pacha, quand la nouvelle de la révolution opérée par Cabakdgi-Oglou fut reçue de celui que Sélim avait comblé de

ses bienfaits. Son messager lui remit un billet qu'il parcourut rapidement. Palais me retirer pour lui laisser lire ses dépêches lorsqu'il me retint, et ayant fait signe à tout le monde de s'éloigner, il me dit d'un air satisfait : Sélim est détrôné; son neveu Moustapha le remplace..... pour quelque temps !... Tout va changer !... Tout était effectivement changé.... L'empire tombait avec Sélìm ; sa déposition avait retenti jusque sous la tente de Napoléon.

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Les intérêts de la Porte Ottomane avaient été sacrifiés à Tilsitt. Elle ne pouvait plus se fier à un allié qui n'avait stipulé pour elle qu'un armistice trompeur, et elle dut naturellement rechercher l'appui de l'Angleterre qu'on est toujours assuré de trouver généreuse, quand cela s'accorde avec sa politique. Ali pouvait s'honorer dans cette circonstance, s'il n'eût pas voulu faire prévaloir ses passions sur les vues de son gouvernement. Mais peu inquiet de voir la Turquie seule en présence des Russes, au lieu de rechercher le secours de la Grande-Bretagne, sans se brouiller avec les Français, il ne songea qu'à provoquer des hostilités imprudentes qui pouvaient tout perdre.

Le divan, souvent raisonnable quand il a peur, ne demandait qu'à rétablir ses relations avec l'Angleterre sur le pied où elles étaient en 1806; mais Ali, entassant mensonges sur mensonges, persuada aux agents anglais qu'il avait eu des liaisons avec Bonaparte, en prétendant qu'il s'était brouillé avec lui, parce qu'il n'avait pas voulu accéder au démembrement de la Turquie. Il affirmait que les armées de Marmont, de Lauriston et celle des Iles Ioniennes, étaient prêtes à fondre sur la Grèce. On avait déja fait une tentative, en lui redemandant le château de Buthrotum; des ingénieurs français étaient répandus de tous côtés pour lever des plans; il avait fabriqué des correspondances qui prouvaient des projets très-étendus, et il était urgent de venir au secours de l'empire.

Tel était l'état des affaires publiques, lorsque l'émis

saire du visir revint de Tilsitt. Il n'avait réalisé aucune des espérances de son maître, et il en fut reçu très-froidement, quoiqu'il rapportât une lettre de l'empereur, signée, disait son ministre, avec la même plume qui avait servi à souscrire le traité de paix entre la France et la Russie. Cette phrase sentimentale ne toucha point Ali, qui régala son envoyé d'épithètes telles que celui-ci ne put se défendre de s'en plaindre amèrement, ainsi que de l'ingratitude de son maître, en racontant l'accueil officiel qu'il avait reçu au quartier impérial.

La disgrace est causeuse; l'émissaire du visir qui revenait de Tilsitt divulgua les intrigues du pacha. On sut ainsi qu'il venait d'expédier à Malte Marc Gaïos, neveu du dernier archevêque de Janina, afin de presser les Anglais d'attaquer les îles Ioniennes, et de renouer leurs négociations avec la Porte Ottomane, où un certain Khalet Effendi était très-influent depuis la déposition de Sélim III.

Un Turc de Salone, Seïd Achmet, fut, en même temps, expédié à Londres avec des instructions surchargées d'une foule de demandes particulières. On l'embarqua au port Panorme, muni de la somme exiguë de cent louis, pour subvenir aux frais de sa mission. C'était à peine de quoi vivre pendant un mois; mais en revanche Ali, à qui cela ne coûtait rien, lui assigna un crédit illimité sur les marchands de capes de Calarités, qui étaient établis à Malte. Ce fut donc par une avanie faite aux Valaques Épirotes, que le diplomate du visir débuta dans sa légation. Le gouverneur anglais de Malte lui procura ensuite le passage gratuit sur un bâtiment de l'état, et, arrivé à Londres, la munificence de lord Castlereagh pourvut à l'entretien du ministre de son glorieux allié.

Après cette expédition, le sérail d'Ali prit subitement un aspect guerrier. On n'y parlait plus que de guerre depuis que la paix était faite; le satrape était d'une témérité

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exagérée, parce qu'il n'avait aucun ennemi en tête ; et à sa cour, où chacun criait nous sommes braves, on était dans des transes dès qu'on apprenait l'arrivée d'un renfort de quelques centaines de Français à Corfou.

Celui qui s'imaginait avoir trompé tous les regards reprit en même temps son attitude amicale vis-à-vis des autorités françaises, auxquelles il ne cessait de demander Parga, objet d'une négociation que le consul français de Janina eut le bonheur de faire échouer, et il se mit à parcourir ses états.

Le satrape était sans cesse en mouvement; et tel que Genséric, appareillant du port de Carthage, il aurait pu répondre à ceux qui lui demandaient de quel côté il voulait tourner ses pas : Vers ceux sur lesquels la colère de Dieu veut s'appesantir (1).

Ce fut sous cette influence sinistre d'agitations et d'intrigues que j'eus occasion d'accompagner Ali pacha, dont je vais faire connaître les mœurs et les habitudes, telles que je les observai à cette époque, où je dressais l'acte d'accusation historique du moderne Jugurtha. Ce tableau servira également à dévoiler à quel degré de malheur les Grecs étaient descendus à cette époque, sans exemple dans les annales du monde.

(1) Anλovóti ép' oûs Otós äpisaι. PROCOP., Bell. Vandalic., lib. I, c. v.

CHAPITRE III.

Idée générale des voyages du satrape dans ses états. - Sa police. Son avidité. — Ses exactions.- Espions.-Délateurs. —Audiences.- Opérations fiscales et usuraires.—Intérieur du sérail.—Serviteurs, gardes, pages. Terreurs du tyran. Superstitions. - Plaisirs. Clients. Tolérance. Son amour pour Vasiliki, devenue son épouse.

TOUT prend, a dit un auteur moderne (1), un aspect menteur en présence des souverains. Les routes sont jonchées de fleurs ; les villes et les hameaux se décorent, et le peuple se pare de ses habits de fête. Dans la Turquie, au contraire, on tremble à la simple annonce du passage d'un de ses satrapes (car les sultans vivent maintenant cloîtrés dans leurs sérails), et des provinces entières fuient dès que quelque visir fait publier qu'il entrera en campagne. En vain Ali se faisait précéder de manifestes d'amour, pour déclarer aux habitants de tel ou tel canton qu'il portait dans son cœur, qu'à une certaine époque ils auraient le bonheur de se prosterner sur la poussière de ses bottes d'or ; on criait miséricorde à la nouvelle d'une semblable faveur. Le canton menacé de la visite du bon maître se rassemblait, se cotisait et députait vers lui, afin de se racheter de l'excès d'honneur dont on se disait indigne, et pour le prier de changer sa gracieuse résolution. De pauvres gens comme nous, seigneur, disaient-ils, méritent-ils les regards de ton Altesse?

Si Pavidité trouvait leurs raisons irrésistibles, la partie était ajournée ou bien le tyran changeait de direction, et les paysans étaient dans l'allégresse, car c'est fète pour eux quand ils peuvent manger en paix le pain acquis au prix

(1) Le prince de Ligne, témoin du voyage de Catherine II en Crimée..

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