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piatoire de la Thessalie, où les vexations et la persécution cessèrent

Tandis que la paix renaissait aux bords du Pénée, où l'archevêque Gabriel consolait les chrétiens, le sérail d'Ali était en proie aux inquiétudes. On l'accusait à Constantinople d'avoir suscité les derniers troubles de la Thessalie pour se dispenser de se rendre à l'armée, où il était appelé ainsi que ses fils.

Hakib pacha devenu l'oracle du divan ne lui laissait aucun Il savait que repos. la faction qui avait renversé Sélim III du trône, agitée par Ali, ne regardait ses desseins qu'à moitié accomplis, aussi long-temps que ce malheureux prince vivrait. Son ennemi faisait répandre dans le public, que le monarque captif devait être enlevé de sa prison et remis à Moustapha Baïractar, qui s'entendait avec les Moscovites pour le rétablir sur le trône d'Ottman. Il n'en fallait pas davantage pour exaspérer les janissaires, parmi lesquels les capi-tchoadars d'Ali répandaient un or sacrilége employé plus d'une fois de nos jours à frapper des têtes augustes. Le délit était flagrant, et si on ne prit pas des mesures énergiques pour sauver Sélim, c'est qu'il est de la triste condition des rois, qu'on ne croie jamais à la possibilité de tramer leur perte que lorsqu'ils ont péri sous les coups de quelque assassin (1).

On résolut de contreminer l'intrigue par l'intrigue, et pour manoeuvrer le grand conspirateur, on lui retira le gouvernement de la Macédoine Cisaxienne. Kourchid ра cha, homme d'une fidélité éprouvée, ancien vice-roi d'Égypte, et l'un des lieutenants de l'amiral Kutchuk Hussein, fut en conséquence nommé Romili vali-cy ou lieutenantgénéral de Romélie, et Moustapha Baïractar, profitant d'un armistice conclu avec les Russes, résolut de venger la majesté outragée de Sélim III.

(1) Voyez Sueton. Vit. Domit. cap. xxi, et Vit. Avid. Cæs. A. Vulgat. Gallican.

La révolution opérée à Constantinople par CabakdgiOglou s'était peu fait ressentir dans l'armée où se trouvaient le grand-visir, et tous les ministres de la Porte. Le janissaire Aga, partisan du Nizam-y-Dgédid, y avait été mas sacré par ses janissaires, et le visir suprême, homme d'un caractère faible, ayant perdu sa place en conservant sa fortune, on lui donna pour successeur un ancien ministre appelé Tcheleby pacha. Ainsi il y avait eu de légers changements au camp, où ce qui restait de fidèles musulmans semblait s'être réfugié.

La capitale, au contraire, était le séjour de l'anarchie. Mousta pacha et le Mouphti, restés maîtres du gouvernement sous un prince tel que Moustapha uniquement occupé de frivolités, n'avaient pas tardé à se diviser. Le conflit de l'autorité religieuse et civile, en suscitant la haine la plus violente entre les deux ambitieux, avait donné une nouvelle importance à Cabakdgi-Oglou, qui s'attacha au parti du Mouphti. Il triompha avec cet appui, et Mousta pacha déposé et envoyé en exil, fut remplacé par un nommé Tayar, homme immoral qui céda au grand prêtre d'Islam, et caressa avec soin Cabakdgi-Oglou ainsi que ses milices.

Depuis ce changement tout fut livré à l'intrigue, et Cabakdgi, se trouvant mêlé dans les affaires, devint le médiateur même des puissances chrétiennes qui avaient à traiter avec la Porte Ottomane. C'était par son entremise qu'avaient lieu les négociations de la France et de la GrandeBretagne; car sir Arthur Paget, qui s'était rendu aux Dardanelles, avait renouvelé des propositions de paix qui ne furent pas écoutées. Cabakdgi, recherché par l'ambassadeur Sébastiani, s'était prononcé pour le parti français : il s'ensuivit une lutte orageuse avec le nouveau Caïmacan Tayar pacha. Il fut destitué à son tour; et comme on lui permit de se rendre à l'armée, il alla porter son chagrin et ses dé sirs de vengeance à Routchouk, auprès de Moustapha Baï

ractar, dont il connaissait les vues ambitieuses et la haine contre les auteurs de la dernière révolution.

Le ministre disgracié fut parfaitement accueilli, et il lui devint facile, en faisant connaître la situation des affaires de Constantinople, de décider Moustapha Baïractar à s'adresser au grand visir qui était mécontent de l'anarchie, pour rétablir Sélim III sur le trône.

Il envoya en conséquence un de ses affidés auprès du chatir azem qui était retiré à Andrinople depuis le traité de Tilsitt; et cet émissaire ayant réussi à le mettre dans son parti, à la seule condition de renverser Cabakdgi-Oglou et le Mouphti, la question se simplifia. Quant à la partie des projets de Moustapha Baïractar tendant à la restauration de Sélim III, on la tint soigneusement cachée au grand-visir. On convint ensuite que Baïractar se rendrait à son quartier-général avec quatre mille hommes, pour contenir les janissaires qui se trouvaient dans cette ville.

Ces propositions ayant été acceptées, on vit presque aussitôt paraître sur les bords de l'Hèbre Baïractar avec le nombre de soldats qu'il avait annoncé. La célérité de sa marche étonna, et quand on apprit que cette avant-garde était suivie de douze mille hommes, chacun voulut fuir : il n'en était plus temps. Le Bulgare s'était emparé des routes. Il rassura cependant le divan en le comblant de largesses, en cantonnant ses soldats dans les villages, et en s'établissant avec une faible escorte au sein d'Andrinople qui était occupée par les troupes du grand-visir.

On tint ensuite conseil pour exécuter le projet mis en délibération, et Baïractar trancha la difficulté en persuadant au grand-visir de rentrer avec l'oriflamme de l'empire, ou sangiac chérif, à Constantinople. Reprenez vos fonctions, lui dit-il, je suivrai votre marche pour vous soutenir. Je ne resterai dans la capitale que le temps nécessaire pour détruire les yamacks et affermir votre administration.

Ce projet fut unanimement approuvé, et on résolut de le mettre de suite à exécution.

Dès que ces dispositions furent connues à Janina, Ali tomba dans une profonde mélancolie, et les agents du cabinet britannique qui se trouvaient à sa cour s'empressèrent de regagner les vaisseaux de leur croisière. Le tyran ne recevait plus que des courriers, pour le sommer de se rendre à l'armée. Il répondait qu'il était accablé d'années, il feignit de tomber malade; et un grand personnage envoyé de Constantinople pour constater le fait, disparut en route. Deux capigi bachi qui se croyaient mieux inspirés parvinrent jusqu'à lui, signèrent un Ilam, reçurent de l'argent, et munis de cette déclaration, regagnèrent le camp de Moustapha Baïractar, où ils furent pendus avec leur procès-verbal attaché au dos. Le redoutable Bulgare, inaccessible aux présents et aux supplications, avait pris son parti: «< Retourne vers Ali Tébélen, » dit-il à Hassan effendi son capi-tchoadar; «< annonce-lui que je viens de pro>> longer la trève avec les Russes, et que tu m'as vu partir » pour Constantinople, afin d'y rétablir l'ordre. Il n'y » aura désormais entre le traître et moi d'autre rapproche>>ment que celui qu'il faudra franchir pour faire tomber » sa tête et celle de sa race criminelle. Si je succombe dans >> l'entreprise que je médite, apprends-lui que j'ai légué le » soin de ma vengeance, à mon lieutenant Kourchid pa» cha. Je te fais grace de la vie, tu peux partir ».

La foudre qui éclaterait au milieu d'une foule de conjurés réunis pour consommer un attentat, ne produirait pas un effet plus terrible que cette déclaration transmise à Ali pacha par Hassan effendi son capi-tchoadar, qui s'était prudemment retiré à Constantinople, au lieu d'en venir faire part à son maître. Mouctar déclara aussitôt qu'il renonçait à son sangiac de Lépante; son père voulait abdiquer et il parlait même de se retirer à Tébélen. Une proclamation qui défendait aux habitants de Janina de sortir après le

coucher du soleil, lui permit de renvoyer secrètement sa sœur à Liboôvo, de la faire suivre de son propre harem, et à la faveur des nuits il commença à déménager ce qu'il avait de plus précieux.

Cependant, avant de céder le terrain, le satrape s'avisa de recourir, en désespoir de cause, à l'ambassadeur de France près la Sublime-Porte, afin de détourner, s'il était possible, le glaive de la justice levé sur sa tête.

Pour arriver à ce but, il crut devoir s'adresser d'abord au consul-général de France, auquel il fit des propositions par l'entremise des beys de la Thesprotie, Ibrahim Dem, et Mahmoud Delvino. Promesses, séductions, trésors, rien ne fút négligé. Ce n'étaient plus de vaines paroles, mais une tonne d'or, d'environ huit cent mille francs, qu'on mettait à ses pieds. Que de hauts personnages ont cédé pour moins! Mais au grand étonnement des embaucheurs turcs, celui qui avait bravé les poignards et le poison, auquel on ne demandait qu'une lettre, n'eut pas de peine à dédaigner les trésors du satrape : « Je ne suis pas venu à Janina pour » m'enrichir, » et il laissa Ali aux prises avec ses inquiétudes.

Elles ne furent pas de longue durée. Tandis que l'armée de Baïractar s'avançait vers Constantinople, en répandant le bruit que la paix était conclue avec les Russes, un émissaire nommé Hadgi Ali, muni d'un firman de mort délivré par le grand-visir, s'était dérobé aux regards pour surprendre Cabakdgi Oglou.

Ce coryphée de l'anarchie vivait retiré avec ses yamacks à Phanaraki, château situé à l'embouchure de la mer Noire, lorsqu'au bout de trente-six heures de marche Hadgi Ali, suivi d'une escorte de cavaliers, entoure nuitamment sa demeure. Accompagné de quatre hommes déterminés, il frappe à la porte, en annonçant une dépêche pressée du caïmacan. On ouvre; Hadgi Ali s'empare du portier qu'il livre à ses soldats, pénètre dans le harem, saisit Cabakdgi

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