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nistres ottomans, en attendant le jour de la réconciliation, acceptèrent les dépouilles d'Ibrahim, qui leur furent envoyées par son coupable vainqueur.

Les formes devant cependant être observées jusque dans les concessions dictées par la lâcheté, il fallait au moins feindre d'être indisposé contre Ali. L'argent qu'il donnait avait son éloquence; de belles armes, des chevaux du Musaché, avaient leur prix; néanmoins on lui envoya l'ordre de se disposer à entrer en campagne, avec injonction de se rendre au camp du grand-visir à Choumlé.

Le satrape qui sut apprécier cette mesure comminatoire, reprit aussitôt la route de Janina, en se faisant porter en litière, comme un homme atteint d'une maladie grave. Il écrivit en même temps au divan, de la manière la plus soumise, qu'il souhaitait ardemment obéir à ses ordres, en employant au service du sultan les restes d'une vie consacrée à combattre ses ennemis ; qu'il venait d'en donner les preuves les plus signalées, en punissant, hélas! à regret, beau-père de ses fils, homme vendu aux Russes et aux Français. Il ajoutait que ses infirmités ne lui laissaient plus que la force d'adresser au ciel de ferventes prières pour le succès des armes de son maître contre les Moscovites.

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A ces lettres obséquieuses le satrape joignit des cadeaux, qu'il ordonna à Mehemet chérif (celui qu'il avait menacé de composer son apologie), de porter à Constantinople, et d'assurer les ministres sauveurs de l'état d'une reconnaissance sans bornes.

Afin de continuer la comédie, on ne parla bientôt à Janina que des infirmités du pacha; on ne se présentait plus au sérail sans le trouver entouré d'une escouade de médecins rassemblés de toutes parts. Il ne se montrait qu'avec des lunettes vertes, à cause de la cécité dont il était menacé ; et il entra dans un traitement destiné à remédier aux désordres de sa jeunesse. On n'était pas dupe de ces artifices; mais les intrigues de ses capi-tchoadars,

assistés des sollicitations de Mehemet chérif, firent que l'ordre qui le concernait fut commué, de façon que Véli et Mouctar furent acceptés en remplacement de leur père à l'armée, pour la campagne dont l'ouverture était indiquée au mois d'avril.

CHAPITRE V.

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Prise de Leucade par les Anglais. - Politique double d'Ali à ce sujet. — Il dépouille l'agent qu'il avait envoyé à Londres.- Résolution irrévocable du sultan contre le satrape de Janina. - Départ de ses fils pour l'armée. — Leur lâcheté. — Projets des Anglais contre Corfou déjoués. — Excommunication lancée contre Napoléon, propagée jusqu'en Turquie. —Mort d'Aden bey; fureurs de sa mère Chaïnitza. — Destitution de Véli pacha. -Prise et captivité d'Ibrahim pacha. Attentat du satrape contre le pavillon français. -Suites de cette affaire. — Arrivée d'une foule d'émissaires anglais à Janina,— et de Hudson Lowe.—Mouctar nommé beglierbey de Bérat.-Prise d'Argyro Castron; de Cardiki.-Entretien d'Ali

Apostrophe du cheik

avec le consul de France. - Entrevue d'Ali avec sa sœur Chaïnitza. — Massacre des Cardikiotes.-Supplice des otages. Jousouf contre Ali, qu'il attaque en face. — Ses malédictions.

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TANDIS qu'Ali pacha expulsait de Bérat le beau-père de . ses fils, les Anglais, qu'il avait invités dès l'année 1807 à attaquer les sept îles, ayant fait insurger Cérigo, Zante, Céphalonie et Ithaque, s'en étaient emparés et les gouvernaient sous le titre spécieux d'îles affranchies (isole liberate), qu'elles ont depuis si cruellement expié. Cette conquête, à laquelle Ali était digne d'avoir contribué, puisqu'elle était le résultat de la trahison, lui donnait une importance que le secrétaire d'état de S. M. B. chargea ses émissaires d'entretenir et de fomenter, parce qu'on avait besoin plus que jamais de l'assistance d'Ali pour délivrer également Leucade du pouvoir des Français, qui rendaient cette île heureuse. Le nom de Castlereagh prenait ainsi date dans les annales de l'Orient, où sa mémoire sera inséparable à jamais du souvenir des calamités de la Grèce, auxquelles il a si puissamment contribué.

On eut les premiers avis des projets de l'Angleterre contre Leucade, dès le mois de janvier 1810, au moment où

un mécontentement sourd agitait la Sicile, à laquelle W. Bentinck avait octroyé une charte et des lois, au mé— pris de l'autorité souveraine de son roi légitime. Le gouvernement de Corfou, informé de ce qui se tramait, écrivit en France pour proposer de faire, du côté de Messine, une diversion capable de le dégager sur le point où il était directement menacé; on donna l'éveil partout où il convenait; mais on comprit qu'on ne pourrait sauver SainteMaure des efforts d'une puissance maîtresse de la mer.

Persuadé qu'Ali se compromettrait dans cette circonstance, le consul français résolut de l'observer, et de venger l'humanité du plus cruel de ses ennemis. Le tyran avait perdu toute retenue, et son fils Mouctar, rentré à Janina sans congé, savait si peu dissimuler, que toute la ville était imbue par ses discours des desseins ambitieux de son père, qui n'allaient à rien moins, depuis l'envahissement de Bérat, qu'à s'emparer de Scodra, et à donner à l'Orient l'Hèbre frontière au sultan. La fortune qui avait corrompu la famille de Tébélen, l'entraînait à sa perte; son existence était un long délire, parce que, oubliant non-seulement que celui-là se trompe qui croit pouvoir faire quelque action ignorée de Dieu (1), elle ne gardait pas même les convenances politiques attachées à sa condition.

pour

La gravité de l'histoire ne permet pas de rapporter les manoeuvres honteuses employées pour corrompre la fidélité des Leucadiens; ce qu'on dirait n'ajouterait qu'une série de perfidies de plus au triste tableau des siéges entrepris depuis l'origine des guerres. Il suffit de présenter les Anglais abordant aux plages de Ste.-Maure; l'évêque de Leucade, comblé de nos bienfaits, faisant insurger les paysans des montagnes en faveur de l'ennemi; les armatolis abandonnant nos drapeaux; un bataillon italien,

(1)

Εἰ δὲ θεὸν ἀνήρ τις ἔλπεσταί τι λασόμεν

Ἔρδων, ἁμαρτάνει.

Pindar. Olymp., 1.

formant partie de la garnison du château, refusant de se battre, et la défense de cette place en mauvais état reposant sur soixante canonniers et trois cents soldats français: pour donner l'idée d'un événement qui serait sans importance, s'il ne servait à faire connaître de plus en plus Ali pacha.

Je me trouvais avec lui à Prévésa; nous assistions en quelque sorte aux combats, et l'allié prétendu du ministère anglais ne manqua pas, dans cette circonstance, de donner des preuves de sa loyauté aux nobles amis qu'il voulait avoir pour voisins. Par son entremise, je fis entrer M. le colonel du génie Baudrand, dans la place assiégée, tandis qu'il retenait à souper le général anglais Oswald, qui était venu lui faire une visite, avec M. Spiridion Foresti, ministre de S. M. B., auxquels il protestait de son dévouement inviolable. Il m'aida également, en les trompant, à procurer des approvisionnements, des signaux de reconnaissance aux assiégés; et il offrit, si je voulais engager notre géné– ral à évacuer la citadelle, de l'occuper et de faire cause commune avec nous contre les Anglais. Mais on n'avait pas encore donné à l'Europe le coupable exemple d'une ville civilisée, livrée aux Turcs, comme cela a eu lieu depuis par rapport à Parga. L'idée d'une action qui aurait mis une population chrétienne, quoique reprochable à notre égard, à la discrétion d'Ali pacha, me fit repousser ses propositions (quoique j'eusse carte-blanche pour agir sans responsabilité), et je laissai courir les événements selon leur marche naturelle. Sainte-Maure, assiégée, bombardée, au moment de voir écrouler une façade entière de ses remparts, capitula ; et le général Oswald, après en avoir pris possession, vint, de la meilleure foi du monde, recevoir les félicitations du visir Ali et le remercier publiquement d'avoir contribué au succès de son entreprise.

J'ignore si le canon de la Tour de Londres annonça la victoire du général Oswald; mais l'excursion imprudente qu'il fit à Prévésa, où il triompha au bruit des salves de

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