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Souli, dans l'Acrocéraune, et en Morée, des munitions de guerre, des armes, de l'argent, qui étaient distribués par des agents secrets, jusqu'aux armatolis du Pinde et du Parnasse. Un aventurier, nommé Tamara, enthousiaste des Grecs, ou plutôt désireux d'arriver à la fortune par l'intrigue, s'était abouché de son côté avec toutes les tribus guerrières de la Hellade et du Péloponèse, auxquelles il avait persuadé que l'auguste Catherine voulait enfin leur rendre la liberté. Il s'était rencontré dans ses excursions politiques, avec le thessalien Grégoire Papadopoulo, diplomate ambulant, qui s'était traîné depuis les antichambres des ministres de Pétersbourg, jusqu'aux foyers de tous les couvents répandus dans la Romélie. Les deux émissaires, qui avaient tout à gagner et rien à perdre dans une révolution, s'accordèrent à penser, à dire et à démontrer par des mémoires, qu'il fallait insurger la Hellade, sans s'inquiéter des malheurs qu'ils allaient attirer sur ses habitants.

Ils entraient ainsi dans les vues de Catherine qui, après avoir imposé des lois à la Pologne, traité avec l'Autriche, la Prusse et l'Angleterre, caressait toutes les autres cours de l'Europe en attendant le moment de s'en faire craindre. Réduite à flatter les conjurés auxquels elle devait le trône, elle sentait, comme tous les usurpateurs, qu'elle ne pouvait régner qu'au milieu des armes; et l'imprudence des Turcs, excités par le comte de Vergennes, ambassadeur de France à Constantinople, provoqua l'événement qu'elle souhaitait le plus pour sa gloire.

L'impératrice venait, en 1768, de faire entrer de nouvelles troupes en Pologne; les confédérés de Bar s'étaient adressés une seconde fois à la Porte Ottomane pour lui demander des secours, lorsque le comte de Vergennes, instruit de ces démarches, détermina le sultan à s'opposer aux projets des Russes. L'Europe, dans son intérêt, au–

fait comte à cause de ses richesses, et dont la fille unique a pour parrain l'empereur de Russie.

rait dû alors adhérer aux plans du cabinet de Versailles; mais, déjà, le système fatal de la politique des convenances, avait prévalu sur les principes éternels du droit public (1)!

A la nouvelle de l'arrestation de son ambassadeur, qui fut renfermé au château des Sept-Tours, Catherine II fit publier à son de trompe la guerre dans Pétersbourg, et les hostilités s'étendirent bientôt des rives du Danube aux rives du Kouban. Cependant l'Europe, attentive à ce spectacle, y semblait encore indifférente, lorsqu'elle apprit qu'une escadre, sortie de la Baltique, entrait dans la Méditerra– née (2). Elle était commandée par Spiridof, ou plutôt par ce soldat qu'un attentat avait élevé au rang de général, Alexis Orlof, à qui l'audace tenait lieu d'expérience et de talent. Maruzzi, décoré du cordon de Sainte-Anne, et devenu marquis, lui avait ouvert un crédit de trente-cinq millions. D'autres emprunts, formés à Livourne, à Gênes, à Lucques et à Amsterdam, le laissaient sans inquiétudes sur ses ressources; les Grecs devaient-ils l'être également sur leur avenir?

S'il avait existé parmi ceux-ci un homme versé dans la connaissance des affaires publiques, il lui aurait été facile de démontrer à ses compatriotes, ainsi que le prouve maintenant la correspondance entre Voltaire et le roi de Prusse, que cette princesse ambitieuse était loin de s'être élevée jusqu'à la pensée de tendre une main libératrice aux Grecs. Si un semblable projet avait existé, ne devait-elle

(1) C'était vers ce temps que Catherine disait au prince Henri de Prusse : Je flatterai l'Angleterre; chargez-vous d'acheter l'Autriche, pour qu'elle endorme la France. — Qui s'est maintenant chargé d'endormir la Russie?

(2) La première division de l'armée navale russe se composait de quinze vaisseaux de ligne, six frégates, et de transports sur lesquels on avait embarqué des galiotes à bombe, des galères démontées et quelques troupes. Elle fut jointe ensuite par cinq vaisseaux et deux frégates aux ordres du contre-amiral Elphingston.

pas porter ses forces au midi de son empire, attaquer son ennemi de ce côté ? Alors elle vengeait l'affront du Pruth sur les rives du Bosphore; et, maîtresse de Constantinople, elle brisait les fers des chrétiens orientaux. C'était donc une déception destinée à masquer d'autres vues, qui avait fait détacher une escadre de Cronstadt (port éloigné de la Turquie de tout le diamètre de l'Europe), obligée d'effectuer une longue navigation, avant d'attaquer le Grand Turc. Cette réflexion ne fut pas faite, et la flotte russe avait passé l'hiver à Livourne, avant que ceux qui la commandaient eussent arrêté sur quel point de l'empire ottoman ils frapperaient le premier coup, lorsque les Grecs décidèrent la question.

Grégoire Papadopoulo, qui était venu s'établir à OEtylos, après sa conférence avec Tamara, n'avait pas eu de peine à faire entrer dans ses idées Janaki Mavro Michalis bey du Magne, père de celui qui combat maintenant à la tête des Grecs (1). Ses capitaines, qui étaient alors au nombre de quatorze, ainsi que Bénaki, l'un des plus riches propriétaires de Calamate, ayant accédé à ce projet, on adressa aux généraux russes, à Livourne, un plan d'insurrection, aussi détaillé que si elle eût été régulièrement organisée ; et, au retour des députés qui le portèrent, ceux-ci firent valoir la promesse des secours qu'ils avaient obtenue par cette supercherie afin d'exciter le soulèvement qu'ils avaient annoncé comme étant déjà opéré. Les Turcs les aidèrent mieux qu'ils ne l'auraient fait eux-mêmes dans cette machination. Soupçonnant qu'il existait un complot contre eux, ces oppresseurs pusillanimes agirent comme des hommes qui se jettent dans le précipice qu'ils redoutent. Dans leur terreur panique, ils massacrèrent une troupe de pay

(1) La plupart de ces détails m'ont été confirmés par M. Bénaki, fils de celui dont il est ici question, que j'ai connu consul général de Russie à Corfou. Depuis ce temps, il n'avait jamais cessé d'entretenir le feu sacré parmi les Grecs. Il est mort dernièrement à Naples, où il était consul général, estimé de tous ceux qui l'ont connu.

sans lacédémoniens revenant de la foire de Patras, qu'ils prirent pour une armée de rebelles dirigée contre eux. Le cri de vengeance se fit aussitôt entendre de tous côtés ; et lorsqu'au mois d'avril 1770, la flotte russe jeta l'ancre dans la baie d'OEtylos, ses commandants furent reçus avec transport par les évêques de Lacédémone et de Chariopolis, suivis d'une foule de montagnards qui ne demandaient qu'à s'enrôler sous les drapeaux de leurs prétendus libéra

teurs.

Ce début était favorable; mais, en voyant débarquer onze cents hommes et deux mille fusils rouillés, les Grecs s'écrièrent qu'on les sacrifiait. Ils espéraient que les Moscovites accompliraient seuls l'œuvre de leur délivrance, tandis que ceux-ci prétendaient n'être venus que comme auxiliaires. Cependant, comme les Maniates avaient déjà fait main basse sur les Turcs de Mistra, il fallait agir. On était compromis, et ils se décidèrent à marcher sur Tripolitza, assistés de quatre-vingts grenadiers russes. On ne pouvait leur en donner davantage; car Dolgorouki, le même qui avait réduit Navarin, plutôt par la peur que par la force de ses armes, venait d'entreprendre le siége de Modon. Quelques vaisseaux de guerre, aussi mal construits qu'équipés, s'amusaient pendant ce temps à canonner Coron. Il n'y avait ni ensemble, ni plan dans les attaques, et on s'aigrissait par des reproches mutuels, quand les Schypetars mahométans entrèrent au nombre de vingt mille dans la Morée. Alexis Orlof qui se trouvait à OEtylos avec Janaki Mavro-Michalis, s'emporta en le traitant de brigand et de láche. « Brigand! répliqua le Maniate, je n'ai ja>> mais assassiné personne. Je suis libre et chef d'une na>>tion indépendante. Mon sang est mêlé à celui de Médi>> cis.... et toi, tu n'es que l'esclave d'une femme! » Cette altercation fut la dernière; on ne se vit plus, et Dolgorouki ayant perdu quarante canons devant Modon, s'embarqua avec ce qui lui restait de soldats à Navarin, en aban

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donnant une foule de chrétiens réfugiés dans l'île de Sphactérie où ils furent massacrés par les Turcs. Tel fut le résultat d'une insurrection dans laquelle on s'était mutuellement trompé.

Le Péloponèse tombait au pouvoir des barbares, quand un homme qui avait presque à lui seul la conscience de la force entière des Grecs, apparut au sein des montagnes de la Laconie (1). Andriscos, né dans la Béotie, accourait au secours de ses coréligionnaires, au moment où les Moscovites remontaient sur leurs vaisseaux. La cause qu'il venait défendre était perdue; il fallait se frayer une route à travers les Guègues et les Turcs de Larisse, et il se présenta à leur chef Mahmoud Basaklia, visir de Scodra, duquel il obtint un sauf-conduit pour rentrer dans la Romélie.

Il s'achemina vers cette province; mais, arrivé aux défilés de Clèones, il s'y trouve cerné par des forces supérieures embusquées sur son passage. Il montre le ciel à ses compagnons d'armes, et après s'être fait jour à coups desabre, il arrive, en combattant de rochers en rochers et de défilés en défilés, au couvent de Saint-Michel près de Vostitza', où il se renferme avec Eustache P......., homme qui n'eut jamais son pareil à manier le fusil. Ils y sont bientôt assiégés par les janissaires de Larisse; et les Turcs avaient été obligés de renouveler leur armée, lorsque les braves, qui touchaient à la fin de leurs vivres et de leurs munitions, parvinrent à se dégager des mains de leurs ennemis. Pendant neuf mois entiers Eustache P...... tint la campagne, avant de se réfugier dans l'Étolie. Andriscos de son côté, après avoir longtemps erré dans le mont Olénos, et fait éprouver des pertes énormes aux Mahométans, s'étant embarqué à Patras, se réfugia, avec son compagnon d'armes qui le rejoignit, à Prévésa, ville alors dépendante de la république de Venise.

(1) On écrit le nom d'Andriscos, père d'Odyssée, l'un des stratarques actuels de la Grèce, Andrikos et Androutzos. Si je ne nomme pas son compagnon d'armes, que j'ai beaucoup connu, c'est que sa famille habite encore dans une ville occupée par les Turcs.

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