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ment de batterie. Il proposa d'envoyer à Corfou un négociateur, chargé de porter au général Donzelot des propositions tendantes à lui demander la remise immédiate de Parga aux conditions les plus avantageuses, et les plus honorables pour nos armes. Le consul saisit avec empressement cette idée, qui lui parut offrir le seul moyen de sauver une population chrétienne, qu'il avait protégée depuis tant d'années au péril de sa vie. Le commissaire du visir qui devait se rendre à Corfou fut laissé à son choix, et on présume bien qu'il désigna un homme digne de sa confiance : ce fut Georges Tourtouri de Calarités, dont on peut maintenant prononcer le nom, pour reposer l'attention du lecteur sur une des créatures les plus vertueuses de l'Épire. Il fut convenu qu'on lui donnerait une lettre d'introduction auprès du général, et que Colovos, drogman du visir, se rendrait à l'instant chez le consul, pour se concerter sur sa rédaction. Ali parut enchanté de cette déférence, et promit de ne rien entreprendre avant d'avoir une réponse de Corfou.

Colovos, après avoir reçu les dernières instructions du pacha, n'eut pas plus tôt rejoint le consul, qu'il lui confia que l'intention positive de son maître était d'attaquer Parga, de risquer un coup de main contre cette ville, et il finit en conjurant le consul d'aviser aux moyens de déjouer ses projets. Tourtouri, pénétré du même désir, prit Dieu à témoin qu'il avertirait le général Donzelot des desseins perfides du satrape, et qu'il emploierait tout pour faire échouer la négociation dont il le chargeait. On convint qu'il fallait d'abord donner avis au colonel Hadgi Nicole de la marche de l'ennemi. Mais quels moyens employer? Le consul était cerné dans sa maison par les agents de la police du pacha, et personne n'osait en sortir ni y entrer sans se rendre suspect. Une lettre pouvait être interceptée, et alors elle compromettait le but qu'on se proposait. On était réduit aux expédients quand Tourtouri se souvint d'un vieillard qui

l'avait servi dans des moments difficiles, et il se chargea de l'expédier du lieu de son domicile. On lui remit un billet sur lequel était écrit la simple annonce du danger; et il fut convenu que cette dépêche laconique serait cachée dans les vêtements du messager, auquel on sut donner un zèle in

téressé.

Colovos et Tourtouri assurèrent au consul la vérité de ce que lui avait dit le pacha au sujet des négociations des Parguinotes avec les Anglais. C'est nous autres Grecs, dit le premier en riant, qui leur avons suggéré cette idée! Pour se justifier, il me raconta que la marche des événements permettant de croire que Corfou allait échapper aux Français, les Grecs avaient dû songer aux intérêts de la dernière peuplade chrétienne libre de l'Épire. On avait la parole de M. Foresti, résident de S. M. B., qui était parti pour se rendre auprès du général Campbell à Zante, afin de négocier cette affaire; et si le visir ne réussissait pas, les Anglais occuperaient Parga aussitôt après sa défaite!.... Mais, ajouta Colovos, tremblez pour vos jours s'il triomphe; car c'est dans la victoire que les láches sont à craindre.

Le consul apprit à son réveil le départ du visir pour Prévésa, et celui de son fils Mouctar qui avait pris la direction de Paramythia, en même temps que l'arrestation de cinq jeunes Parguinotes, qui avaient des demipensions au collége de Janina. Croyant alors qu'on allait peut-être commettre contre lui quelques violences, il mit ses chiffres ainsi que ses papiers les plus précieux en lieu de sûreté; paya les gages à ses domestiques, le salaire aux janissaires; et, pour savoir s'il était encore libre, il envoya demander des chevaux de poste à Tahir Belouk Bachi. Celui-ci répondit qu'il n'en avait pas de disponibles, ce qui était croyable, et qu'il conseillait au consul de rester tranquillement chez lui, sans sortir. Cet avis ne lui en disait. que trop, et sa situation aurait été accablante, s'il n'avait

eu alors la compagnie de MM. Smart Hughes (1) et Townley Parker.

Quoique en guerre avec la Grande-Bretagne, le consulgénéral de France avait toujours accueilli avec cordialité les voyageurs anglais. Il jouissait de l'avantage de rencontrer dans ceux qui se trouvaient alors à Janina deux étrangers auxquels il pût confier son cruel embarras. Ils l'entendirent; et pour la première fois de sa vie, il souhaita de voir le pavillon britannique remplacer celui de France sur une place menacée par la férocité d'Ali pacha. Sans doute que la perte de ce poste, jointe à l'occupation récente de Paxos par les Anglais, allait gèner les approvisionnements de Corfou; mais cette considération cédait devant l'intérêt plus puissant de l'humanité. Il semblait démontré qu'une fois Parga occupé par les Anglais, jamais la Croix ne ferait place au Croissant, et que les destinées d'Albion, aussi durables que son empire maritime, seraient désormais celles des Parguinotes.

Tandis qu'on se repaissait de ces espérances, les hordes d'Ali pacha commandées par des chefs obscurs, qu'il aurait volontiers sacrifiés si la France s'était trouvée en mesure d'exiger un jour des réparations, franchissaient les sommets des monts Vigla et Alecci qui commandent l'entrée du défilé septentrional de Parga. Mouctar pacha s'était arrêté à Paramythia (2); Omer Brionès et Hagos Muhardar, auxquels il avait remis le commandement des troupes, avec l'injonction de s'arrêter en deçà de la frontière, avaient lancé ces bandes qui dénoncèrent les hostilités en poussant des hurlements et en faisant retentir les échos d'une bruyante fusillade. Elles venaient de s'emparer d'Agia, où elles n'avaient trouvé que quelques vieillards à égorger. Elles étaient altérées de carnage; l'aspect du territoire

(1) Auteur d'un excellent voyage dans la Grèce, publié à Londres en

1820.

(2) Dix-huit milles de Parga.

chrétien redoublait la soif du sang qu'elles éprouvaient. Elles dépassent la limite sur laquelle était bâtie l'église de la Vierge de Zaglianitza. Elles arrivent, ayant en tête deux cent cinquante cavaliers, au poste de St.-Triphon, où trente soldats français les arrêtent, en jetant par terre une foule de barbares. Les cavaliers, qui se poussent dans une descente rapide, roulent bientôt sur les cadavres amoncelés au fond de l'étroit sentier par lequel ils débouchaient au galop; l'infanterie se mêle avec les chevaux, le commandement n'est plus entendu, et la déroute commence. Nos braves, qui n'avaient perdu que deux de leurs camarades, élèvent leurs chakos sur la pointe de leurs baïonnettes. Les cris, long-temps inséparables, de France et de victoire, se faisaient entendre, lorsqu'un signal párti de l'Acropole de Parga les avertit de se replier sous le canon de ses remparts. On avait aperçu une nuée de Turcs descendant des hauteurs de Rapéza, qui manoeuvraient pour les envelopper.

A cette vue, la bande Schype qui fuyait reprend courage. Les cris de Allah, de Mahomet et de mort aux infidèles retentissent, et, transportés de fureur, les barbares pénètrent dans les rues de Parga. Soudain le canon du château tonne, les soldats et les habitants se retranchent dans les maisons; huit cents Parguinotes embusqués vers le défilé du mont Pézovolos qui conduit à Moûri, rétrogradant brusquement contre l'ennemi, se répandent eu tirailleurs sur son flanc gauche, et commencent un combat meurtrier. Français, Grecs, vieillards, femmes, enfants, riva lisent de courage et d'audace. Du fond des bosquets d'orangers, où l'oeil des Turcs ne peut les découvrir, et des jardins ombragés de cédrats enlacés de guirlandes de roses et de jasmins, partent mille et mille coups de fusil, qui portent la destruction parmi les Turcs. Une fumée épaisse, d'où jaillit la mort, enveloppe les voûtes de verdure naguère asile de la paix, lorsque nos grenadiers, descendus de l'Acropole, attaquent l'ennemi en front. Le bruit des tam

bours, du canon et de la mousqueterie achèvent la défaite des Mahométans. Ils se débandent, ils abandonnent sur le terrain quatre Bim-bachis (1) avec un grand nombre de morts et de blessés. Ils fuient, en emportant pour trophées les têtes de quatre filles du Seigneur, et de six grenadiers français, chargés de la garde du monastère de Notre-Dame des Blaquernes, où ces religieuses, immolées au pied de l'autel, mèlèrent leur sang à celui de leurs défenseurs.

Palmes du martyre et de la gloire, croissez sur le cap Chéladi, ombragez le tombeau des pieuses colombes de la sainte Sion, et de six guerriers, enfants de l'opulente Normandie, que leurs familles ne reverront jamais (2). Étrangers, qui visiterez ces plages, donnez une larme à la mémoire des braves; ils sont morts loin de leur patrie.

Les mahométans, consternés de leur défaite, fuyaient à travers les vallées de la Thesprotie, tandis qu'un autre combat s'engageait à l'orient de Parga. L'escadrille d'Ali pacha, sortie du golfe Ambracique, s'approchait pour prendre part au carnage; car l'ordre du tyran portait que les habitants au-dessus de douze ans, ainsi que la garnison, fussent passés au fil de l'épée. Quelques volées, tirées des batteries de la Madona Analipsis, îlot qui défend les approches de la place et de son principal mouillage, suffirent pour éloigner les barbares. Une barque montée par des Paxinotes, peuplade la plus timide de l'archipel Ionien s'étant mise à leur poursuite, l'amiral du visir, Athanase Macrys, fut tué d'un coup de fusil sur son banc de quart. D'autres embarcations mettaient à la voile, encouragées par cet exemple; mais la fregate anglaise, la Havannah, qui croisait au large, ne permit pas aux chrétiens de s'aventurer en pleine mer: les cris de victoire retentirent dans Parga.

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Ils retentissaient presque en même temps à Prévésa, où (1) Bim-bachi, commandant de mille hommes.

(2) Ils étaient tous natifs du département de l'Eure.

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