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Une entreprise de la nature de celle que les Parguinotes projetaient, n'était pas sans dangers. La citadelle qu'ils devaient surprendre avait en batterie sur ses remparts trente-quatre bouches à feu de différents calibres, et une garnison de cent cinquante soldats peu disposés à capituler. Au milieu de tant d'éléments de résistance, comment substituer l'étendard britannique, qu'ils avaient reçu du capitaine de la Bacchante, au pavillon français ? On ne pouvait risquer ce coup de main qu'à la faveur de la nuit, lorsque le détachement de troupes anglaises, commandé par sir Gordon, aurait pris position dans la ville basse, et serait à portée de prêter main forte; enfin, il fallait trouver un expédient pour se faire ouvrir, à une heure indue, la porte de la citadelle. Après avoir calculé ces chances, on s'adressa à la veuve d'un nommé Tourcojani, qui avait coutume de rentrer tard dans la forteresse, afin de favoriser l'introduction du détachement destiné à s'en emparer. Ainsi les défenseurs de Parga allaient être livrés par ceux qu'ils avaient si généreusement défendus.

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Au moment où ils reposaient dans une profonde sécurité, la poterne s'ouvre à la voix d'une femme qu'on connaissait, la sentinelle est enlevée, le poste du corps-degarde est saisi par les Parguinotes, la garnison ainsi que colonel ne se réveillent qu'en sentant la pointe des baïonnettes appuyées sur leurs poitrines. Les guerriers des deux nations ennemies restent confondus, les uns d'un succès immérité, et les autres d'une surprise à laquelle ils ne pouvaient croire. Les jours des Français furent respectés, et, comme on n'avait plus d'intérêt à les retenir pour les faire mourir en détail dans les pontons de Portsmouth, on les renvoya libres et sans échange à Corfou.

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Le 22 mars, au lever du soleil, quinze jours après l'attaque d'Ali pacha contre Parga, le pavillon anglais flotta au faîte de son acropole ; et ses défenseurs, après avoir déposé les armes sur ses glacis encore fumants du sang de

leurs camarades, quittèrent son rivage funeste. M. Foresti mettait alors à la voile pour se rendre à Prévésa, où il débarqua au même instant que M. Hugues Pouqueville, parti de Corfou, y entrait par terre. Les deux consuls font aussitôt demander audience au visir Ali pacha, auquel celui d'Angleterre notifie l'occupation de la ville, objet de ses désirs, par les troupes de S. M. britannique. Le consul français lui signifie en même temps une protestation du général Donzelot, contre la violation du territoire confié à sa défense. On ne décrit point une pareille scène, les expressions manquent pour donner une idée de la confusion du satrape, menacé de représailles, et déçu dans ses plus chères espérances.

Pour moi, je me trouvais à une conférence plus paisible avec Mouctar pacha, qui avait fait la veille sa rentrée honteuse à Janina. Comme il s'était vanté de m'envoyer des tétes, je lui demandai des oranges de Parga. Il se mordit les lèvres, dit qu'il y avait des heures malheureuses dans la vie, et m'annonça le retour prochain de son père.

Il marchait sur les pas de mon frère, qui me prévint que nous devions avoir une entrevue avec le visir dès qu'il serait rentré en ville.

Le lendemain, sur les deux heures après midi, je descendis au château du lac, où le visir nous avait donné rendez-vous. La cohorte ordinaire des palicares, commandée par le jeune Odyssée, fils d'Andriscos, rangée sur les escaliers, nous invita à entrer, en nous saluant affectueusement. Les pages, plus polis que de coutume, se levèrent à notre approche, en nous disant que leur maître nous attendait au fond de son palais. Nous traversons lentement la salle de réception, où les stores baissés ne laissaient répandre qu'une lumière vague. Des rossignols renfermés dans leurs cages, y chantaient comme s'ils eussent été au milieu des forêts éclairées par le reflet de la lune. Nous marchions avec précaution, afin de ne pas interrompre leurs concerts, lors

que, dans une seconde chambre où nous entrâmes, nous fûmes salués par d'autres rossignols qui semblaient se complaire à soupirer leurs mélodies amoureuses sous ces dômes ⚫ si souvent retentissants des plaintes des malheureux. Nous avancions vers un appartement donnant sur le lac, quand nous aperçumes Ali pacha, étendu sur une peau de léopard jetée dans l'angle d'un sopha formé de tissus précieux de Cachemire; il nous tendait la main avec le sourire sur les lèvres, en nous faisant gracieusement signe d'avancer.

« Záv paxápios, comme un bienheureux, lui dit mon frère » en l'abordant. Je le suis en effet. Avec quelles délices » j'écoute le gazouillement de ces oiseaux! Approchez, mes » chers enfants. » Et il poursuivit en se relevant sur son coude. « Je le serais peut-être pour toujours si je ne sui>> vais que mes penchants. Oh! si vous saviez ce qu'il faut » parfois pour me satisfaire! Tenez, j'ai parmi les femmes » de mon harem une paysanne qui chante, mais de ces airs >> admirables que je n'entends jamais sans me reporter aux » jours de ma jeunesse; je me crois alors transporté dans » mes montagnes de la Iapygie. Ma vie était bien tranquille >> alors. Quelle fète pour moi quand nous mangions entre >> camarades quelque chevreau dérobé aux pâtres du mont » Argenik!..... et quand j'allais aux noces de mes amis, j'é>> tais le premier joueur de lyre de cent lieues à la ronde; » j'aurais défié les plus habiles à la danse, à la lutte; mais >> ce temps ne reviendra plus, et je n'aperçois à l'autre bout » de la vie que des chagrins de famille, des orages, et qui » sait....? je n'aurai peut-être pas le bonheur de mourir sur » la natte de mes aïeux. Je la garde ici, pour me rappeler » que je suis né pauvre; que j'ai souffert. » Et, se levant brusquement sur son séant : « Mais, s'il le faut, je saurai » braver jusqu'à la misère ».

Puis retombant dans ses éternelles redites, relativement aux services qu'il avait rendus aux Français et notamment aux Anglais, qui ne l'avaient jamais payé que d'ingratitude,

sa conclusion fut qu'il mourrait désespéré s'il n'obtenait pas Parga. Tout en le calmant, j'essayai de lui prouver que ses désirs étaient contraires à sa véritable politique; qu'une fois devenu maître absolu de l'Épire, , sa tète effervescente, loin de se calmer, le pousserait à quelques entreprises téméraires; et que son ambition, d'autant plus active qu'elle aurait été toujours satisfaite, serait la cause des tourments qui l'attendaient à l'autre bout de la vie. Je me permis de lui dire, sans penser alors que ma voix était prophétique, que de la possession de Parga dateraient peut-être pour lui et les siens les plus affreux malheurs.

« J'en défie l'augure, repartit-il. Au reste, pourvu que » je puisse bâtir un palais sur ce pan de rocher, je serai » consolé de tout. Chaque homme porte empreint sur son » front le sceau irrévocable de son destin, et ce qui est écrit » doit nécessairement arriver. Je veux Parga. Oλ T » Πάργανο Craignez d'ètre maître de Parga! — Je veux » Parga. Θέλω τὴν Πάργαν. »

Il leva les yeux au ciel, en soupirant.

CHAPITRE VIII.

Nouvelle de la restauration de la dynastie des Bourbons.-Sainte Alliance. - Hétéristes. — État de la Grèce en 1814. — Colléges. — Écoles. —Impri- Jalousie des Anglais. - Calomnies

meries.

- Commerce. - Marine.

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de leurs agents. — Indifférence de la Porte Ottomane. — Arrivée de Sir Thomas Maitland aux îles Ioniennes. Humble requête que lui adressent les Parguinotes. - Vente de leur territoire. - Incertitudes. Alarmes.- Désespoir. — Le Croissant remplace la Croix. — Imprécations contre le ministère britannique. — Émigration des chrétiens. — Leur dernier soupir chanté par Xénoclès.

NAPOLÉON tombé de son char de victoire, les fils de saint Louis et de Henri IV rendus au trône de leurs aïeux; les événements de plusieurs siècles pressés dans le cours d'un mois, depuis que les Français célébrèrent sur le cap Chimærium la dernière victoire d'une guerre à jamais mémorable, étant connus dans la Grèce, on se demanda pendant long-temps encore comment celui qui avait présidé aux destinées de l'Europe n'était plus? Les Turcs pleurèrent l'enfant de la fortune; et les Grecs, charmés de sa perte, parce qu'ils le regardaient comme un obstacle à leur affranchissement, poussèrent un cri de joie qui retentit jusqu'aux bords de la Néva.

Dans cette circonstance, le comte Andréossy, alors ambassadeur à Constantinople, ne pouvant présumer que si le tyran avait respecté les jours du consul-général de France, il n'eût pas attenté à sa liberté, exigea et obtint de la Porte Ottomane qu'un capigi- bachi fût envoyé à Janina pour constater son existence, avec injonction de rapporter un écrit signé de sa main, pour en prouver la réalité. S'il était ainsi l'objet de la sollicitude de ses chefs, il ne l'était pas moins de celle des ennemis même de la France. Il jouis

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