Images de page
PDF
ePub

l'au

pête. Ils s'imaginaient même, ainsi qu'on l'a su depuis, qu'ils étaient à jamais hors de tout danger, parce que tocrate Alexandre, qu'ils nommaient leur souverain, était intervenu en leur faveur, lorsqu'une lettre du lord haut commissaire, adressée au lieutenant-colonel de Bosset, sous la date du 24 mars 1817, révéla les malheurs de Parga. Le principe de la remise de cette place et de son territoire à la Porte Ottomane, avait été conclu et signé par le ministre de la Grande-Bretagne à Constantinople.

Cette cession déloyale, d'après les promesses faites aux Parguinotes, au nom de l'Angleterre, pouvait cependant s'expliquer par sa conformité au traité du 21 mars 1800; et, comme on espérait voir remettre en vigueur ses dispositions, quelques hommes portèrent la résignation jusqu'à se féliciter d'un pareil événement (1). Ils se flattaient en conséquence que Prévésa, Vonizza et Buthrotum, arrachés au joug d'Ali, renaîtraient du sein de leurs ruines, et que les chrétiens, rétablis dans leurs propriétés, obtiendraient le libre exercice de leur culte, ainsi que les avantages stipulés par le traité qu'on revivifiait. Mais, quand on sut qu'il s'agissait d'une cession absolue en toute souveraineté, on fut plongé dans la douleur. On venait d'envoyer

(1) Les iles Ioniennes, cédées à la France, en vertu du traité de CampoFormio, avec leurs dépendances qui étaient Prévésa, Vonizza, Parga et Buthrotum, perdues par elle successivement en 1798 et 1799, furent constituées en république par le traité du 21 mars 1800, conclu entre la Russie et la Turquie. Suivant cet acte, la Russie, afin de tempérer le sacrifice qu'une politique immorale lui dictait, stipula, pour les cantons de terreferme abandonnés au grand-seigneur, que leurs habitants, qui étaient chrétiens, ne ressortiraient jamais que de leurs tribunaux particuliers ; que les droits de propriété et d'héritage seraient conservés et le commerce libre; que les Turcs ne pourraient jamais bâtir de mosquées dans aucun des quatre cantons ; que nul mahométan ne serait reçu à s'y établir, à l'exception d'un commissaire de cette nation, chargé de lever le tribut fixé par le sénat de Corfou, qu'il appartenait à la Porte d'encaisser ; que la résidence de cet officier serait consentie par le sénat ionien, et sa révocation, en cas de malversation, ordonné sur la demande dudit sénat.

à Janina M. John Cartwright, consul de S. M .B. à Patras, en qualité de commissaire, pour régler la vente des propriétés des Parguinotes, et traiter des conditions de leur émigration! Jamais acte pareil n'avait encore entaché la diplomatie européenne, accoutumée à regarder chaque empiètement des Turcs sur les chrétiens comme autant de sacriléges. On se demanda à quel titre l'Angleterre, simple protectrice de l'heptarchie ionienne, était intervenue dans une pareille transaction? Quels étaient ses motifs pour contrevenir à la teneur du traité du 21 mars 1800? Que droit elle avait de stipuler l'aliénation d'un territoire qui, s'il appartenait au gouvernement ionien, en était inséparable, et, dans le cas contraire, quel était son mandat pour agir au nom de ceux qui ne relevaient pas de son autorité ?

En agitant ces questions, on n'était pas moins surpris qu'indigné de l'empressement des agents de la GrandeBretagne à complaire aux volontés du visir Ali. A peine M. Cartwright avec son collègue Parish étaient arrivés à Janina pour y conférer avec Hamed bey, délégué de la Porte, que le satrape s'était occupé à intercepter leur correspondance. Ils étaient sans s'en douter environnés d'espions, tandis que d'une main non moins criminelle il essayait de soulever les Parguinotes contre le gouvernement anglais. On ne tarda pas à recueillir les preuves de ces trames. Le lieutenant-colonel de Bosset en saisit tous les fils (1), et, sans sa surveillance, c'en était fait peut-être de la garnison anglaise et des habitants de Parga. Il découvrit, et il en a produit les preuves à la face de l'Europe, qu'Ali avait cherché à empoisonner l'eau de la fontaine Saint-Triphon et le pain destiné aux troupes. Ces faits étaient connus des commissaires anglais ainsi que du gou

(1) Voyez, pour tous ces faits, les pièces de l'ouvrage du colonel de Bossot, depuis le N° xxvi, jusqu'au N° LXII, dans l'appendix de son ouvrage déjà cité.

verneur Maitland: en fallait-il d'autres pour rompre une négociation? Malgré tant de forfaits, les affaires continuèrent à se traiter sans récrimination; le lieutenant-colonel de Bosset, auquel on aurait dû des couronnes civiques, fut destitué et remplacé par le colonel Stuart: Ali l'avait demandé; que pouvait-on lui refuser ?

A voir les déférences des commissaires britanniques, on aurait pu imaginer qu'Albion avait perdu les mille vaisseaux qui lui donnent l'empire des mers. Ses agents, ses négociateurs, ses généraux, le superbe haut commissaire Th. Maitland, se portaient aux différents rendez-vous que le satrape leur indiquait. Ils y couraient entourés de femmes, de mousses déguisés en pages, tantôt avec le luxe des nababs, tantôt avec la simplicité des colporteurs qui se présentent pour obtenir la permission d'ouvrir quelques boutiques. Dans le zèle qui les animait, tous semblaient être aux ordres du tyran pour se rendre à Janina, à Prévésa, à Buthrotum et partout où il les conviait à des fètes ou à des conférences. On marchandait au milieu des festins, tour à tour pour de l'argent ou pour des bois de construction, la liberté d'un peuple, comme on traite en Afrique de la vente d'un troupeau d'esclaves, pour de la verroterie et des breloques, ou bien en échangeant le sang des hommes contre de l'eau-de-vie. Le contrat était passé inter scyphos et pocula; et on en parlait néanmoins comme d'une chimère, tant il paraissait contraire aux principes de la vieille Angleterre.

Cette illusion était le résultat de la bonne opinion qu'on avait de la nation anglaise; et un événement pareil à la vente de Parga, quoique en apparence peu important, était une chose si inconcevable dans les rapports où l'Europe chrétienne se trouve placée vis-à-vis des Mahométans, qu'on ne pouvait y croire.

Lorsque abusant du droit de la force, disait-on, les rois des nations civilisées s'arrachent des villes ou des provin

ces, ces grands résultats ne sont guère sensibles que sur la carte ou dans l'histoire; car, tout considéré, les princes de l'amphictyonie chrétienne sont presque également paternels et humains pour les peuples. Ici, au contraire, les Parguinotes, sans avoir combattu et sans être par conséquent vaincus, se trouvaient condamnés à subir des conditions contraires à la morale et à la religion. Rien, dans le passage de leur condition présente à celle qui leur était imposée, n'était égal pour eux, d'homme à homme et de société à société; les institutions qui les régissaient, le droit de propriété et le culte, premier bien des mortels, qu'on leur avait garantis, n'existaient plus; et le sol même, dont ils étaient expropriés, allait être flétri par le dominateur auquel on l'abandonnait. Cédés à une puissance chrétienne, ils n'éprouvaient qu'un changement de pavillon; mais, livrés aux Turcs, on les plaçait entre l'apostasie et l'esclavage. Ils se seraient cependant résignés à devenir raïas; mais comme ils n'avaient à attendre d'Ali pacha que l'opprobre de leurs familles ou des supplices ignominieux, on les condamnait par le fait à un bannissement forcé.

En vain dira-t-on que la sagesse des négociateurs anglais avait paré à ces inconvénients, en réglant une indemnité pour la perte des propriétés de ceux qu'on contraignait à s'expatrier. L'action de disposer des biens d'hommes qu'on privait du droit incontestable qu'ils avaient seuls de les vendre, était une injustice ajoutée à un outrage. Ces dispositions ne dispensaient pas des engagements contractés au nom d'un prince qui se glorifie du titre de défenseur de la foi. Les Parguinotes invoquaient leurs droits; ils en réclamaient la garantie, en représentant qu'on ne pouvait leur rendre par des équivalents pécuniaires, même égaux à la valeur de leurs biens, leur patrie, ni les tombeaux de leurs ancêtres.

Ils protestaient ainsi, à la face du monde sourd à leurs plaintes, tandis qu'Ali pacha invitait Thomas Maitland à

une conférence à Prévésa, pour se plaindre du prix exorbitant de cinq cent mille livres sterling, auquel les commissaires avaient estimé Parga et son territoire, avec les réserves du mobilier des églises et des particuliers. Les jurés priseurs s'étaient flattés, par cette évaluation, de rebuter l'avidité du satrape, et cette considération les absoudra au tribunal de la postérité d'avoir participé à une oeuvre d'iniquité, en signant le traité de Janina du 30 juin 1817. Mais le tyran devait trouver plus de complai– sance dans le lord haut commissaire. Ainsi, au milieu d'un banquet fraternel, Ali et Th. Maitland convinrent qu'on ferait sur les lieux mêmes, à dire d'experts choisis par les Anglais et les Turcs, une nouvelle appréciation du territoire où le vrai Dieu devait bientôt cesser d'être adoré. L'enfer s'émut sans doute à cet accord; car les pages du visir et les bayadères britanniques, qui se trouvaient présents, unissant leurs voix et leurs acclamations, osèrent, en signe d'allégresse de cette résolution, porter la santé du vénérable et auguste monarque de la Grande-Bretagne, auquel jamais aucune puissance n'aurait arraché une pa

reille concession.

Le nom d'un Stuart, quoique privé de la splendeur royale, ne pouvait figurer à la tête d'un acte pareil à celui qui devait consommer le malheur de Parga. Le lieutenantcolonel James Maitland fut nommé à sa place commandant de Parga, pour présider à la nouvelle évaluation des propriétés privées (car on ne parla plus de celles de l'état), qui devait avoir lieu contradictoirement, quoique tacitement d'intelligence avec les commissaires aux ordres d'Ali pacha.

On accorda dix jours (depuis le 7 jusqu'au 17 avril 1818) aux appréciateurs anglais, pour remettre au commissaire James Maitland, d'une part, les expertises des Parguinotes, et le même temps fut donné aux agents turcs pour rendre leur compte à l'envoyé de la Porte Ottomane. Il

« PrécédentContinuer »