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de Paul Ier, allait relever le trône des empereurs chrétiens de Bysance.

La guerre était allumée depuis plus de deux ans entre la Russie et la Porte Ottomane, qui s'étaient mutuellement aigries en publiant des manifestes propres à fanatiser des peuples également superstitieux. La sortie de l'étendard de Mahomet à Constantinople; les prophéties des patriarches orthodoxes, Jérémie et Nicon, qui prédisaient la chute prochaine de l'empire ottoman, publiées à Moscou; les oracles d'un nommé Mansout bey, descendant de Gengiskan, à la voix duquel les tribus tartares s'étaient armées, avaient signalé une lutte qui aurait été à l'avantage de Catherine, si la Suède n'eût pas entravé ces efforts. Malgré cette diversion inattendue, la discipline militaire avait procuré des avantages constants aux Russes. Les prétendus députés de la Grèce, qui n'étaient autres que des créatures de la politique du cabinet de Pétersbourg, en rendant compte de ces événements à leurs compatriotes, leur racontaient la prise de Khoczim, l'assaut d'Oczakof, au plus fort de l'hiver de 1788 à 1789, sans tarir sur les louanges de Potemkin.

Ils l'avaient contemplé dans l'éclat de sa gloire, au milieu de son armée, revêtu du cordon de Saint-Georges, objet de ses désirs, tenant en main un bâton de commandement enrichi de diamants et entouré d'une guirlande de laurier, dont les feuilles étaient en or. Ils avaient vu le sauvage Souwarof, vêtu d'un frac usé, assis sur une botte de paille, la tête ombragée d'un panache de à l'impératrice par le comte de Zuhof. Conduits de ses appartements à l'audience des deux grands-ducs Alexandre et Constantin Paulowitchs, Pangalos, de qui je tiens ces particularités, m'a raconté que, s'étant avancé vers le grand-duc Alexandre pour lui baiser la main comme à l'empereur futur des Grecs, S. A. I. montra aux députés le grand-duc Constantin, en leur faisant observer que c'était à lui qu'ils devaient rendre cet hommage ; ce prince prit alors la parole, et répondit en grec à la harangue des députés, auxquels il dit en finissant: Allez, et que chaque chose arrive selon vos désirs. Ὑπάγετε· καὶ ὅλα τὰ γένουν κατὰ τὰς ἐπιθυμίας σας.

diamants, conduisant, par son exemple, ses soldats à la victoire! Qui pouvait se refuser à croire qu'avec de pareils hommes les chrétiens de l'Orient ne seraient pas bientôt affranchis?

Sotiris, qui racontait ces merveilles aux guerriers de la Selleïde, leur remit, en même temps, un de ces manifestes que Catherine répandait alors avec profusion dans la Grèce. Elle invitait, en son nom, comme elle l'avait fait en 1769, les Hellènes « à prendre les armes, à l'aider » à chasser les ennemis du nom chrétien des pays qu'ils » avaient usurpés, à reconquérir leur ancienne liberté et >> leur indépendance nationale ».

Tel est le sentiment patriotique des Grecs que, sans craindre la vengeance des Turcs, dont ils avaient éprouvé la fureur, ils se préparèrent à courir les chances d'une nouvelle insurrection. Le premier moteur des idées d'affranchissement, Tamara, allait reprendre en sous-œuvre les projets que la Russie avait constamment désavoués, sans jamais les abandonner.

qu'elle pouvait tirer des choisi les îles vénitienintrigues politiques avec

Catherine, calculant le parti Grecs, avait, depuis long-temps, nes pour être le centre de ses le continent de la Hellade. Elle y avait accrédité des consuls choisis parmi les Grecs et les Albanais chrétiens, qui conservaient un parti puissant dans leur patrie. De ce nombre étaient Liberal Benaki, fils du primat de Calamate, qui avait été un des coryphées de l'insurrection de 1770, qu'elle nomma consul-général à Corfou. Un certain Comnène fut placé, dans la même qualité, à Céphalonie. Le vice-consulat de Zante échut en partage à un nommé Zagouriski, ancien chef de bande du mont Pélion, lié, par une parenté très-étendue, avec tous les plus braves armatolis des montagnes de la Thessalie.

Ces agents du cabinet de Pétersbourg n'avaient pas cessé de soutenir les espérances des chrétiens, lorsqu'on apprit,

en 1787, le commencement des hostilités entre la Russie et la Porte Ottomane.

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A cette nouvelle, les Grecs du Péloponèse établis à Trieste se cotisèrent, et formèrent les fonds suffisants pour armer, sous pavillon russe, plusieurs corsaires, dont le commandement suprême fut confié, par ordre de Catherine, à Lambros Catzonis, de l'île de Céos. On ne pouvait faire un choix plus judicieux ! Homme de génie, quoique illettré, Lambros Catzonis allait prouver que les individus propres à changer les États ne sortent pas du sein des illustrations! La fermeté de son caractère son activité, l'étendue et la justesse de son coup d'œil lui avaient mérité le grade de major au service de Russie, lorsqu'il appareilla de Trieste avec une vieille frégate marchande armée de trente canons, suivie de huit barques hydriotes, portant de six à huit canons. Ses équipages étaient faibles ; mais il eut à peine touché aux terres de la Grèce, qu'ils se complétèrent; et le port de Céos, qu'il choisit, devint le rendez-vous d'une foule de marins de l'Archipel, qui n'étaient pas moins empressés que lui à se venger des Turcs.

On annonçait qu'il devait être bientôt secondé par une division navale, également sortie de Trieste, sous les ordres d'un nommé Guillaume, qui, après avoir long-temps fait la course sous le pavillon de la Religion, avait obtenu le grade de major russe. Il montait une belle frégate de quarante canons, qu'il avait prise aux Turcs, et il avait sous ses ordres cinq à six armements de dix-huit à vingt canons; mais au lieu de se réunir à Lambros, comme lui prescrivaient ses instructions, il fit la guerre pour son compte, et rentra à Malte, où incarcéré par ordre du grand-maître, il ne recouvra sa liberté que pour vivre en paix du produit des prises qu'il avait faites.

Il n'en était pas de même de Lambros, qui, combattant pour sa patrie, ne faisait usage du produit de ses captures que pour solder ses équipages. Sa générosité, les promo

tions de capitaines et d'officiers qu'il faisait en leur délivrant des brevets auxquels il apposait sa signature et le sceau de l'impératrice de Russie, en firent une puissance telle, que cette souveraine ordonna de prendre des mesures pour lui fournir des provisions et des fonds. Un nommé Psaro, Grec de l'Archipel, et l'ancien insurrecteur Tamara, se rendirent en conséquence, l'un en Sicile et l'autre à Ithaque, pour diriger les opérations des Grecs. Ce dernier avait ordre de sonder les dispositions des chrétiens du continent, en suscitant des insurrections partielles, et il s'adressa, comme on l'a rapporté, aux guerriers de la Selleïde par l'entremise de Sotiris de Vostitza, qui n'eut pas de peine à les déterminer à s'armer contre Ali pacha.

Si on se rappelle ce que j'ai dit en parlant de la topographie de Souli et des usages des Souliotes (1), on saura qu'ils avaient coutume d'évacuer les villages de la plaine, au premier signal d'une rupture avec les Turcs. Ils emportaient les vivres, ils emmenaient les bestiaux qu'ils pouvaient nourrir, et ils se retranchaient dans leurs rochers. Telle fut encore leur tactique; et trois mille hommes qu'Ali pacha avait détachés contre eux, les trouvèrent embusqués dans leurs montagnes, sans oser les y attaquer. Voyant donc qu'ils ne pouvaient rien entreprendre contre des hommes que près de deux siècles de victoires avaient enorgueillis, ils se répandirent dans les campagnes, en faisant main-basse sur les paysans chrétiens.

A cette vue, les Souliotes indignés firent sortir de leurs défilés un détachement de deux cents palicares, précédés de leurs drapeaux, qui étaient semblables à ceux de Saint-Jean de Jérusalem; et, tombant sur les mahométans, dont ils firent un grand carnage, ils arrachèrent de leurs mains ceux qu'ils traînaient en esclavage, reprirent les dépouilles dont ils étaient chargés, et les poursuivirent (1) Tome II, ch. xxxiv, de mon Voyage dans la Grèce.

jusqu'à Janina, en brûlant maisons de campagne et mos quées.

Ali pacha comprit, par le résultat de cette première entreprise, que les descendants des Selles n'étaient pas des ennemis ordinaires; et il en eut bientôt d'autres preuves. Il rugissait de leurs triomphes, lorsqu'il reçut l'ordre du sultan de se rendre à l'armée du Danube, destinée à combattre les Russes et les Autrichiens. C'était une occasion propre à réparer le tort que les Souliotes venaient de faire à sa réputation militaire. Bien convaincu qu'ils ne pouvaient ni insurger l'Épire, ní faire aucune conquête en dehors de leurs montagnes, il ne manqua pas d'obéir aux firmans, moins dans l'intention de se distinguer comme général, que dans la pensée de faire connaissance avec les pachas de l'empire, réunis sous l'étendard du Prophète, de pénétrer leurs dispositions à l'égard du souverain, et surtout de s'en faire des amis.

On connaît les résultats de cette campagne dans laquelle les Russes furent toujours vainqueurs des Turcs, et les Autrichiens constamment battus par ces barbares qui ne sont plus connus depuis long-temps que par leur lâcheté. Ali, qui n'avait vu que la fumée des bivouacs allemands, rentra en quartier d'hiver à Janina, traînant à sa suite, à défaut de captifs enlevés à l'ennemi, quelques centaines de Serviens et de Bulgares, sujets pacifiques du GrandSeigneur, dont il forma deux petites colonies dans l'intérieur de l'Épire.

Ali, comprenant que les armatolis seraient un obstacle perpétuel aux projets qu'il avait formés d'asservir l'Épire, résolut de leur ôter un point d'appui formidable dans la personne d'Andriscos. Domicilié depuis près de quinze ans à Prévésa, les capitaines d'Agrapha l'invitaient à leurs fètes, et l'appelaient à leurs conseils, chaque fois qu'il s'agissait de cérémonies publiques ou de prendre quelque résolution importante. C'était un vétéran de la

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