Images de page
PDF
ePub

ritablement plus parfaite qu'il n'était, et même qui eût en elle toutes les perfections dont il pouvait avoir quelque idée; en un mot, qui fût Dieu.

A cette preuve de l'existence de Dieu, Descartes en ajoute une autre également fondée sur l'idée de la perfection. On peut, dit-il, affirmer d'un être tout ce qui est contenu dans son idée. Or, la notion de l'être parfait, renfermant toutes les perfections imaginables, implique nécessairement l'existence, qui est une perfection. - Donc, l'existence d'un être parfait, c'est-à-dire de Dieu, est comprise dans l'idée même de la perfection, tout comme il est compris dans la notion de triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits. Donc Dieu existe. 5o Idées innées. Mais ce qui fait qu'il en est plusieurs qui se persuadent qu'il y a de la difficulté à le connaître, et même aussi à connaître ce que c'est que leur âme, c'est qu'ils n'élèvent jamais leur esprit au delà des choses sensibles, et qu'ils sont tellement habitués à ne considérer les choses qu'en les imaginant, ce qui est une façon de penser particulière pour les choses matérielles, que tout ce qui n'est pas imaginable ne leur paraît pas intelligible. Ce qui est assez manifeste de ce que même les philosophes tiennent pour maxime dans les écoles, qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans les sens, où il est certain que les idées de Dieu et de l'âme humaine n'ont jamais été.

de

6o La règle de l'évidence a son fondement dans la perfection de Dieu. En dernier lieu, Descartes fait observer que l'existence de Dieu reconnue donne seule de la valeur à toutes nos autres connaissances, la certitude à l'existence des corps, et même une certitude complète à la règle par laquelle il a débuté, que les choses que nous concevons très-clairement sont toutes vraies. Cela même, dit-il, n'est assuré que parce que Dieu est, et qu'il est un être parfait, et que tout ce qui est en nous vient de lui; d'où il suit que nos idées étant des choses réelles et qui viennent de Dieu en tout ce en quoi elles sont claires et distinctes, ne peuvent en cela être que vraies.

CINQUIÈME PARTIE.

ORDRE DES QUESTIONS DE PHYSIQUE QU'IL A CHERCHÉES.

Descartes alors déduit de la perfection de Dieu les lois du monde physique. Dans cette cinquième partie, il trace une esquisse rapide de deux traités qu'il ne veut pas publier pour le moment.

1° Son traité du Monde ou de la lumière, dont l'idée générale est que « Dieu aurait pu, au commencement, ne pas donner au monde « d'autre forme que celle du chaos, mais lui imposer des lois qui, en « agissant avec le concours divin, eussent fini par imprimer aux choses

« la forme qu'elles ont maintenant. » Il fait allusion à son hypothèse des tourbillons, à l'aide de laquelle il expliquait la pesanteur, la lumière, la chaleur, la formation des corps et tous les phénomènes physiques.

2o Son traité de l'Homme qu'il considère : 1° au point de vue physique. Les considérations qu'il développe sont relatives à la circulation du sang, aux esprits animaux et à l'automatisme; 2o au point de vue moral. Il insiste sur l'importance de la question de la spiritualité de l'âme, qui distingue l'homme de la bête et nous fait induire son immortalité.

SIXIÈME PARTIE.

QUELLES CHOses il croit ÊTRE REQUISES FOUR ALLER PLUS AVANT EN LA RECHERCHE DE LA NATURE QU'IL N'A ÉTÉ, ET QUELLES RAISONS L'ONT FAIT ÉCRIRE.

Il faut abandonner les questions purement spéculatives, s'appliquer à celles qui ont une utilité pratique, à l'invention des arts utiles, et surtout à la recherche des moyens de conserver la santé, qu'il regarde comme le premier des biens. Pour cela on doit multiplier les expériences, rechercher les principes ou premières causes de tout ce qui est ou peut être dans le monde, et en déduire les effets les plus ordinaires : c'est à quoi sert surtout la méthode.

Les raisons qui l'ont porté à publier cet ouvrage sont surtout son zèle pour la vérité et son amour pour l'humanité. Cependant, comme les objections ne lui paraissent pas très-utiles, non plus que le concours des autres, il continuera à écrire, parce que c'est un moyen d'examiner avec plus d'attention ses propres idées, et qu'il regarde comme un devoir de faire part au monde de ce qu'il aura découvert; mais ses ouvrages ne seront imprimés qu'après sa mort. Il ne devait pas tenir cette promesse, puisqu'il publia de son vivant plusieurs autres ouvrages.

DISCOURS

DE LA MÉTHODE

POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON

ET CHERCHER LA VÉRITÉ DANS LES SCIENCES 1

Si ce discours semble trop long pour être lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties: et en la première on trouvera diverses considérations touchant les sciences; en la seconde, les principales règles de la méthode que l'auteur a cherchée; en la troisième, quelques-unes de celles de la morale qu'il a tirée de cette méthode; en la quatrième, les raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l'âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphysique; en la cinquième, l'ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et particulièrement l'explication du mouvement du cœur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine, puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes; et en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu'il n'a été, et quelles raisons l'ont fait écrire.

PREMIÈRE PARTIE.

DIVERSES CONSIDÉRATIONS TOUCHANT LES SCIENCES.

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point

1. Ce Discours de la Méthode fut imprimé pour la première fois à Leyde, en 1637, avec la Dioptrique, les Météores et la Géométrie. Descartes l'avait écrit en

coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses)2. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.

Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien. plus parfait que ceux du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente, que

français. Il en parut en 1644 une traduction latine par l'abbé de Courcelles. Cette traduction, revue par Descartes, renferme quelques corrections et additions qui éclaircissent sa pensée primitive.

2. Nicole ne paraît pas de cet avis. « Il est étrange, dit-il, combien c'est une qua«lité rare que l'exactitude du jugement. On ne rencontre partout que des esprits « faux, qui n'ont presque aucun discernement de la vérité... Le sens commun << n'est pas une qualité si commune que l'on pense. Il y a une infinité d'esprits «grossiers et stupides que l'on ne peut réformer en leur donnant l'intelligence « de la vérité, mais en les retenant dans les choses qui sont à leur portée, et en « les empêchant de juger ce qu'ils ne sont pas capables de connaître. » Voir la Logique de Port-Royal, premier discours, et lire tout le passage; il est bon à méditer. Il y a ici une confusion de mots. Ce n'est pas le bon sens, c'est-à-dire la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est naturellement égal chez tous les hommes; mais le sens commun, c'est-à-dire, ces notions qui constituent, pour ainsi dire, le fond même de notre esprit, qui en sont inséparables, et que nous appelons des principes évidents par eux-mêmes, des jugements naturels et spontanés. Le bon sens (recta ratio) est la faculté du juger et de raisonner conformément à ces données primitives, sans jamais les perdre de vue. - On a donc plus ou moins de bon sens, comme on a plus ou moins de force, de sensibilité, de mémoire, d'imagination; mais le sens commun n'admet pas de dégrés. On l'a ou on ne l'a pas; et si on ne l'a pas, on n'a rien de commun avec les autres hommes, on mérite le nom d'insensé. Le sens commun est la raison à l'état brut, la raison sans la réflexion et la science. Ce que Descartes appelle le bon sens et qui est tout entier en chacun de nous, c'est le sens commun; ce que Nicole appelle le sens commun est ce que nous appellerions le bon sens. (Voir le Dictionnaire des sciences philosophiques, art. SENS COMMUN.)

« PrécédentContinuer »