HENRI DE régnier Dans mon vallon de Mai tout arum s'étire, Un ruisseau roule un rêve en son rire, Sous ma forêt de Mai fleure tout chèvrefeuille, Le soleil goutte en or par l'ombre grasse, Par ma plaine de Mai toute herbe s'argente, (Les Cygnes.) CONSERVANT, même en l'apparente anarchie du vers libre, la trace fière du Parnasse, la poésie de M. Henri de Régnier semble le trait d'union entre deux époques: avec la répétition identique chère à Poë: IL y a des Sirènes qui chantent et peignent Leurs cheveux d'algues et qui sont nues; Les trois plus belles sont venues Nager autour de la carène, HENRI DE RÉGNIER On les a vues; C'était sur des mers lointaines .. Mais parfois je crois les entendre Qui rient et chantent Et qui reviennent, Quand le flot est calme et le ciel clair, Car moi je sais toute la mer! Elles ont des cheveux d'algues et des lèvres Peintes selon le pourpre des coraux ; Une parfois rit et élève Ses seins de femme au-dessus de l'eau, Et tend les bras... On dit qu'elles n'existent pas Ou que leurs torses vils se terminent en queues Tandis que leur chevelure semble de l'or, Au soleil; on prétend encor Qu'elles sont méchantes, et que Qu'il est mieux de ne pas y croire (Fragment, L'Homme et la Sirène.) VERHAËREN AVEC la grasse et forte ampleur d'un tableau flamand, dans l'hallucination des fonds empourprés, comme en un de Groux, M. Verhaëren dépeint l'Époque et le Pays — noirs: OH H les quartiers rouillés de pluie et leurs grand'rues! Et les squares, où s'ouvre, en des caries De plâtras blanc et de scories, Une flore pâle et pourrie. Aux carrefours, porte ouverte, les bars: Dressoirs d'ébène et flacons fols D'où luit l'alcool Et son éclair vers les trottoirs. Et des pintes qui tout à coup rayonnent, Dont les larges langues lappent, sans phrases, Ici: entre des murs de fer et de pierre, La force en rut de la matière : Des mâchoires d'acier mordent et fument; Broient des blocs d'or, sur des enclumes, Là-bas : les doigts méticuleux des métiers prestes, Tissent des draps, avec des fils qui vibrent Au long d'un hall de verre et fer, Des bandes de cuir transversales Courent de l'un à l'autre bout des salles, Frôle, par à travers les carreaux gras Automatiques et minutieux, Des ouvriers silencieux Règlent le mouvement D'universel tictacquement Qui fermente de fièvre et de folie Et déchiquette, avec ses dents d'entêtement, La parole humaine abolie. (Les Usines. Les Villes tentaculaires.) Et leurs troupeaux rêches et maigres Par les chemins râpés et par les sablons aigres Aux coups de fouet inépuisés, Des famines qui exterminent : Moutons dont la fatigue à tout caillou ricoche, Boeufs qui meuglent vers la mort proche, Vaches hydropiques et lourdes Aux pis vides comme des gourdes, Sur leurs côtes scarifiées. Ainsi s'en vont bêtes et gens d'ici Par le chemin de ronde Qui fait dans la détresse et dans la nuit Venant, dites, de quels lointains, Passant les bourgs et les bruyères Avec, pour seul repos, l'herbe des cimetières, De chemins noirs et tortueux, Hiver, automne, été, printemps, (Les Campagnes hallucinées. Le Depart.) |