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L'IMPROMPTU

DE VERSAILLES,

COMEDIE EN UN ACTE

1663.

MOLIÈRE, marquis ridicule.
BRÉCOURT, homme de qualité.
DE LA GRANGE, marquis ridicule.
DU CROISY, poëte.

LA THORILLIÈRE, marquis fâcheux.
BÉJART, homme qui fait le nécessaire.
Mademoiselle DUPARC, marquise façonnière.
BÉJART, prude.

DE BRIE, sage coquette.
MOLIÈRE, satirique spirituelle.
DU CROISY, peste doucereuse.
HERVÉ, servante précieuse.

QUATRE NÉCESSAIRES.

La scène est à Versailles, dans la salle de la comédie.

AU ROI1,

FAIT PAR J.-B. P. DE MOLIÈRE EN L'ANNÉE 1663, APRÈS AVOIR ÉTÉ HONORÉ D'UNE PENSION PAR SA MAJESTÉ.

Votre paresse enfin me scandalise,

Ma muse, obéissez-moi ;

Il faut ce matin, sans remise,
Aller au lever du roi.

Vous savez bien pourquoi;
Et ce vous est une honte

De n'avoir pas été plus prompte
A le remercier de ses fameux bienfaits:
Mais il vaut mieux tard que jamais;
Faites donc votre compte

D'aller au Louvre accomplir mes souhaits.
Gardez-vous bien d'être en muse bâtie;
Un air de muse est choquant dans ces lieux;
On y veut des objets à réjouir les yeux;
Vous en devez être avertie :

Et vous ferez votre cour beaucoup mieux
Lorsqu'en marquis vous serez travestie.
Vous savez ce qu'il faut pour paraître marquis;
N'oubliez rien de l'air ni des habits;
Arborez un chapeau chargé de trente plumes
Sur une perruque de prix;

Que le rabat soit des plus grands volumes,
Et le pourpoint des plus petits.

'L'Impromptu de Versailles fut représenté à Paris le 4 novembre 1663. Dans le courant de la même année, Louis XIV avait fait comprendre Molière dans la liste des gens de lettres qui eurent part à ses libéralités, et qui annoncèrent à toute l'Europe le goût et ia magnificence de ce prince. Molière exprima sa reconnaissance au roi dans la pièce qui porte le titre de Remerciement au Roi. (B.)

Mais surtout je vous recommande

Le manteau, d'un ruban sur le dos retroussé;
La galanterie en est grande,

Et parmi les marquis de la plus haute bande
C'est pour être placé.

Avec vos brillantes hardes,

Et votre ajustement,

Faites tout le trajet de la salle des gardes;
Et, vous peignant galamment,

Portez de tous côtés vos regards brusquement,
Et ceux que vous pourrez connaître,
Ne manquez pas, d'un haut ton,

De les saluer par leur nom,

De quelque rang qu'ils puissent être.
Cette familiarité

Donne, à quiconque en use, un air de qualité.

Grattez du peigne à la porte

De la chambre du Roi;

Ou si, comme je prévoi,
La presse s'y trouve forte
Montrez de loin votre chapeau,

Ou montez sur quelque chose ·
Pour faire voir votre museau,
Et criez sans aucune pause,

D'un ton rien moins que naturel :
Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel.
Jetez-vous dans la foule, et tranchez du notable,
Coudoyez un chacun, point du tout de quartier;
Pressez, poussez, faites le diable

Pour vous mettre le premier;

Et quand même l'huissier,

A vos désirs inexorable,

Vous trouverait en face un marquis repoussable, Ne démordez point pour cela,

Tenez toujours ferme là;

A déboucher la porte il irait trop du vôtre;
Faites qu'aucun n'y puisse pénétrer.

Et qu'on soit obligé de vous laisser entrer

Pour faire entrer quelque autre.

Quand vous serez entré, ne vous relâchez pas;
Pour assiéger la chaise il faut d'autres combats;
Tâchez d'en être des plus proches,

En y gagnant le terrain pas à pas;
Et si des assiégeants le prévenant amas
En bouche toutes les approches,
Prenez le parti doucement
D'attendre le prince au passage,
Il connaîtra votre visage,
Malgré votre déguisement;
Et lors, sans tarder davantage,
Faites-lui votre compliment.

Vous pourriez aisément l'étendre,

Et parler des transports qu'en vous font éclater
Les surprenants bienfaits que, sans les mériter,
Sa libérale main sur vous daigne répandre,
Et des nouveaux efforts où s'en va vous porter
L'excès de cet honneur où vous n'osiez prétendre,
Lui dire comme vos désirs

Sont, après ses bontés qui n'ont point de pareilles,
D'employer à sa gloire, ainsi qu'à ses plaisirs,

Tout votre art et toutes vos veilles;

Et là-dessus lui promettre merveilles.
Sur ce chapitre on n'est jamais à sec.
Les Muses sont de grandes prometteuses;
Et, comme vos sœurs les causeuses,
Vous ne manquerez pas, sans doute, par le bec.
Mais les grands princes n'aiment guères
Que les compliments qui sont courts;

Et le nôtre surtout a bien d'autres affaires
Que d'écouter tous vos discours.

La louange et l'encens n'est pas ce qui le touche,
Dès que vous ouvrirez la bouche

Pour lui parler de grâce et de bienfait,

Il comprendra d'abord ce que vous voulez dire;

MOLIÈRE. — T. II.

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