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L'Epitre didactique n'est ordinairement composée que de vers de douze syllabes, à rimes suivies. Chez les anciens, on ne cite guère en ce genre que l'Art poétique d'Horace, lequel n'est autre chose qu'une Epitre adressée aux Pisons. C'est dans cette Epitre que Boileau a recueilli les fondemens de l'Art poétique français, le plus beau monument de sa gloire.

L'Epitre aux Poëtes, par Marmontel, et celle de La Harpe au comte de Schowaloff, sont aussi des Epitres didactiques moins étendues et moins classiques sans doute que l'Art poétique, mais dans lesquelles on rencontre parfois des préceptes que le législateur du Parnasse n'aurait point désavoués. On les trouvera dans ce volume.

L'Epitre philosophique et morale approche quelquefois de la satire, parce qu'elle doit renfermer une critique de mœurs ou d'ouvrages d'esprit; telles sont les Epitres que Boileau a données à l'imitation d'Horace, et dans lesquelles il se propose toujours la ré

forme des abus qui se glissent dans la société ou dans la république des lettres. Ce genre d'Epitre est susceptible cependant d'un peu d'élévation, d'un travail plus appliqué, d'une finesse plus délicate, de tours plus relevés et plus ingénieux, et, en même-temps, d'une exactitude moins scrupuleuse que la satire; car on peut y avancer quelquefois des points de morale, des idées de littérature qui pourraient être contestés, ou même qui auraient un air de paradoxe ; ce que l'on ne doit point se permetttre dans la satire. L'Epitre morale demande moins d'âpreté, moins d'invectives, et, si nous osons le dire, moins de mauvaise humeur que n'en comporte la satire. Dans celle-ci, le poëte fait le personnage d'un législateur austère, d'un sévère censeur, qui, pour rendre odieux le vice et faire indirectement aimer la vertu, emploie les peintures les plus fortes, les figures les plus vives et les traits les plus piquans; dans l'autre, il parle en philosophe qui sait apprécier toute chose; qui remarque les défauts, plutôt qu'il ne

cherche à les corriger ; qui tend plus directement à faire aimer la vertu qu'à détruire le vice, et qui s'étudie moins à rendre un défaut ridicule par des railleries amères, qu'à en faire sentir la discordance par la suite de ses raisonnemens, ou par un badinage ingénieux.

Il était réservé à l'un des poëtes du grand siècle, qui s'était si heureusement emparé des excellens préceptes, de la concision forte et rapide d'Horace, de faire également passer dans notre langue, non pas le fond, mais la forme des Epitres de ce grand poëte latin. Boileau possède surtout l'art d'embellir ce qu'il touche, et de s'approprier les beautés qu'il imite. Il célèbre Louis XIV comme Horace célébrait Auguste; mais il sait présenter ses éloges avec plus d'adresse. Il suffit de citer ces vers si connus, et où la louange est offerte d'une manière si délicate:

Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire.

Et dans ce temps guerrier, si fécond en Achilles, Croit que l'on fait des vers comme l'on prend des villles.

Il semble que, depuis Boileau et Voltaire, on ait pris à tâche de donner presque toujours à l'Epître morale le ton du poëme, et de lui défendre le mélange du genre noble et du genre familier. On doit sans doute éviter les disparates choquans; mais s'interdire le changement de ton, c'est priver l'Epître de deux grands avantages, la variété et le mouvement. En outre, il est impossible que cette continuelle tension de style ne devienne à la longue monotone et fatigante, tandis que les contrastes, loin d'affaiblir les morceaux d'un style élevé, ne servent qu'à les rehausser, et à leur donner plus d'éclat.

La troisième espèce d'Epitres est celle qui roule sur les événemens les plus communs de la vie, et qui tend à instruire d'un fait, ou à entretenir un commerce de société entre des personnes éloignées. On peut y traiter toute espèce de sujets : elle est du genre philosophique, noble et familier; son style peut être gracieux, enjoué, galant, et peindre tour à tour l'amitié, la tendresse, les plaisirs et la

solitude; mais ce genre demande, en général,

du naturel, et plus de délicatesse dans les sentimens que de finesse dans les pensées. On peut y introduire un peu de langueur, pourvu qu'elle ne tombe pas dans le sombre, attendu que ces Epitres ne doivent peindre ni la tristesse ni les vives douleurs : ces sentimens violens, que le chagrin ou le désespoir excite, sont du ressort de l'élégie ou de l'héroïde.

Si vous voulez faire entrer quelque fiction dans votre Epitre, tirez-la plutôt de la nature que de la mythologie; car il ne s'agit pas tant ici de parler à l'imagination, que de se faire sentir au coeur ; et le merveilleux d'une fiction poétique dont l'une est charmée, ne fait souvent sur l'autre qu'une légère impression.

L'Epitre légère ou badine, qui compose le quatrième genre, est tantôt une lettre en vers semée de traits brillans ou délicats, tantôt une série de portraits piquans, ou un persifflage adroit des travers de la société.

L'art consiste à bien nuancer les différentes

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